26 juin 2017

Rallumer les feux.

Trois jours de fête, déjà vécus et racontés en Juin 2014 mais là, comme je reviens de l'édition 2017, je propose à nouveau le récit. Si, entre temps, d'autres sont venus, certains sont malheureusement partis. Beaucoup trop loin.

Quand c’était la bonne période, les bons jours, ils s'arrangeaient pour y venir. 
Mieux, tous attendaient ces moments avec impatience.
Alors, les jours venus, ils déboulaient de là où ils étaient partis vivre. Ils venaient de Brisbane de Singapour ou de La Haye, de Rognonas ou de Gap, ils descendaient du Nord ou montaient du Sud, d’Allos ou de Beauvezer, ils venaient de là où la vie les avait envoyés. De partout, mais ils s’arrangeaient pour venir, ces jours là. Passé un certain âge, on ne refuse pas grand chose à son enfance.
Ça durait trois jours. Pendant trois jours de leurs vies d’adultes, ils allaient s’en retourner au temps où ils courraient en sandales dans le village et les alentours. Ils revenaient à Colmars les Alpes pour fêter la Saint Jean. Jean le Baptiste. C’était la raison invoquée et, bien entendu, c’était un prétexte. Un prétexte à se retrouver, à se donner des nouvelles, à en prendre, à se souvenir et à se compter...
Le village s’était préparé à les accueillir, il s’était fait une beauté, il s'était sorti de la vague torpeur dûe aux premières chaleurs, il avait fleuri ses balcons, tondu son pré, renouvelé ses vitrines. Il ouvrait large ses bras pour recevoir tout son grand monde. Encaissé, posé dans un rétrécissement de montagne, cerné par deux torrents vifs, fermé au Nord et au Sud par deux forts, encerclé par ses hauts remparts comme des avants bras de lutteur turc, on avait habillé ses fortins d’une armée de drapeaux neufs qui claquaient au vent en faisant signe que ça allait se passer là, dessous. Un peu partout, on avait nettoyé les vitres, fleuri les bacs et balayé les ruelles. Eux, les humains n’étaient pas de reste, ils se faisaient beaux et s’habillaient en dimanche, en cantinières ou en pompiers, même en plein milieu de semaine.
Il était question de cérémonies, de rites et de traditions mais il s’agissait en vrai de se reconnaître faisant partie de la même tribu et, au fond, de se serrer un peu les coudes et les coeurs face aux hivers et aux rudesses des temps, face aux forces dévastatrices des torrents quand ils entraient en colère, face aux froids, aux neiges, face aux friches des terres, aux éboulis des resta quels, aux départs des jeunes, à la mort des anciens, aux déserts des villages, à la perte des repères. Il s’agissait de tout cela : Lutter contre ce qui désunit, isole, éteint, vide, sépare, défait. S’unir quelques jours contre la froideur des absences et les vides des laissé par les absents, contre la solitude et le temps qui passe.
Alors oui, pendant ces trois jours, pour s’embrasser, on s’embrassait. Pour se toucher, on se touchait. On se serrait, on vérifiait que l’autre était encore chaud, aussi vivant que soi, on se sentait, on appartenait au même groupe, à la même bande, à la même équipe, au même groupe, à la même tribu, au même village, à la même histoire quel que soit le conteur. Et, miracle, il suffisait d’être ami avec un d’ici pour en être également.
Alors, oui tout cela se faisait aussi en levant le coude et en vidant des verres. Le plus souvent de l’amitié. À ce qui nous lie. Sans doute parce que l’alcool libère un peu plus, les gestes, l’âme et la parole et que ça  facilite les effusions. Ici, l’amitié on ne se contentait pas de l’arroser, on l’inondait.
Les fêtes duraient trois jours. Elles étaient un savant mélange de république et de paradis. Pour tout dire, on y faisait sonner le clairon au beau milieu de l'église.
Le premier soir, de la Saint Jean Baptiste, qui n'est pas très loin du solstice d'été, après les retrouvailles en famille, à la nuit tombée on se rend en cortège dans un pré à la sortie du village et le feu est mis à un pin dressé sous la musique joyeuse d'une fanfare approximative. Alors, dans le noir revenu, les pompiers rendent hommage aux leurs et brûlent aussi le bouquet de fleurs séchées de l'an passé. Ensuite, il te faut aller boire un verre ou deux à cause de la fraîcheur tombée sur les épaules et peut-être, pour préparer le lendemain. Disons que cette soirée du feu te sert... d'échauffement. Ce pin qui flambe a dans l'idée de nettoyer l'année passée et de rallumer la flambée de vie. 
Le deuxième jour, à l’aube, on monte la statue du Saint protecteur, le Baptiste (les hommes mêlent souvent la foi à leurs petites affaires…) vers une chapelle dans les bois, posée près d’une source vive, la soif de Dieu est salutaire, à dos d’hommes ou de femmes, enfin, à dos de vaillants puisque, le tout, se monte  à pied. Depuis le village, il y en a bien pour une belle heure, pour les plus jeunes. Le reste peut  y aller en voiture jusqu’à un parking à quelques pas de la chapelle. Ce sera pour les feignants  et les anciens. Comme ici on pense à tous, ceux qui ne peuvent plus marcher y sont montés en jeep crapahutante et chahuteuse ce qui amuse beaucoup. Là-haut, vers la fin de matinée, il y aura une première messe. En plein air, sous les arbres de la forêt, accompagnée des vols des insectes, des chants des oiseaux et des cris d’enfants. Les premiers arrivés pourront s’asseoir sur des bancs de bois, les autres resteront debout dans la clairière. Ensuite tout ce petit monde revigoré par la parole divine ira se rafraîchir à la source. Un verre de pastis dilué dans de l’eau de montagne. Enfin, UN  verre… Ce sera  davantage, c’est simple, on en partage un à chaque fois qu’on croise une tête connue. C’est dire si on en descend... Tout le village et les rattachés sont là. Alors du monde, on en rencontre... Ensuite on partage le repas à même le sol. C’est pendant ce repas que les souvenirs s’échangent, que les enfances se retrouvent et se souviennent. C’est là qu’on se rappelle, c’est là qu’on s’embellit les moches et qu’on s’enjolive les belles. C'est là qu'on peut voir des gamins d'environ la soixantaine s'éclabousser de rires et de niches et de galéjades. Comme avant. C'est là qu'on peut entendre un officier du culte gentiment saoûl raconter la blague de savoir quel est le plus petit paradis du monde? Et dans un éclat de rire répondre: Hé bé le soutien gorge et tu sais pourquoi? Dans un éclat de rire: Parce qu'il n'a que deux saints, pardine!
Enfin, rassasiés de souvenirs et de paroles, un peu soûls, on redescend la lourde statue du Saint, à pied, toujours à dos de solides, pour le ranger dans sa niche de l'église jusqu’à l’année prochaine. Soi, on se redescend... comme on peut. Certains tanguent plus que d’autres... Certains feront des pauses effondrés dans le vert doux de prés bienveillants... D'autres mettront du temps avant d'arriver, la pause sera longue. Le soir, il y aura bien les vêpres au village pour les plus fervents des croyants.
Le lendemain, c’est LA grande journée. On l'appelle le jour des «Aubades ». Tout un cortège d'enthousiastes, va parcourir le village en long et en large  et à la fin de travers pour certains: les pompiers armés de fusils, les cantinières en costumes, une fanfare et les citoyens du village qui le veulent vont rendre visite à ce qui compte d’institutions. On commence par le curé qui fait un discours, bénit la foule et on boit un verre ou deux en se souvenant. Ensuite, on se rend, en musique, à la mairie où le Maire fait un discours et on boit un verre ou deux en souriant d’avant. 
L’étape d’après ce sera la gendarmerie à l’autre bout, à l'entrée du village. Le chef gendarme accueille, discourt. Là, il y aura moins de monde, et pour cause, chez les gendarmes, on n'y boit pas. Le cortège vaguement épuisé remonte alors vers le Bar du France. Là, c'est le comité des fêtes qui verse à boire un verre. Ou deux, pendant qu’on se raconte. Et enfin, la caserne des pompiers qui s’est mise sur son trente deux recevra la fanfare et la foule pour qu’on y parle d'avant et qu'on y boive un verre, ou deux ou trois… Pendant tous les trajets, les pompiers armés s’amuseront à tirer en l’air des coups de fusils pour faire tomber des branches entières d’arbres. Un élagage rapide, efficace et bruyant. Epuisés, titubants, les volontaires mangeront dans le hangar des pompiers accueillants, jusqu’à l’heure des vêpres où se rendront les vrais croyants. Les autres iront au comptoir du France vider un verre ou deux, certains sortiront les boules histoire de s'en dire encore quelques bonnes en se racontant  ou s'inventant d'autres bêtises faites quand ils étaient gamins.  Du reste, pendant ces trois jours, les mères  qui laisseront traîner les oreilles finiront par  en apprendre de belles… 

Voilà, si vous aviez survécu à tous ces verres, vous étiez chanceux de la vie et montés de partout à Colmars les Alpes pour fêter comme il le mérite la Saint Jean Baptiste. Vous aviez également rallumé votre feu intérieur.
Ainsi fait, ceux d'ici ils avaient passé trois jours avec  leurs enfances. Et nous avec eux.  Il leur fallait maintenant redevenir adultes tout le temps d'une année entière. 


À elle seule, cette perspective, si peu réjouissante, méritera bien un... dernier verre…







2 commentaires:

M a dit…

Il est des rituels sympathiques, jusqu'au moment où quelque chose comme une absence vient plomber le ciel et quelques autres coups de pied au cul de la vie et des souvenirs. Mais les avoir vécus, déjà, est un trésor

chri a dit…

@M C'est exactement ça... Le plaisir de se retrouver er d'un coup le ciel s'assombrit en pensant aux empêchés qui étaient là l'autre fois...

Publications les plus consultées