26 février 2017

Nous aurions dû mourir.

Nous aurions dû mourir...
C’est la seule phrase qui me paraisse un peu intelligente quand je repense à cette nuit là. En même temps, si cela nous était arrivé, je ne serais pas là pour la raconter, la nuit. Puisque je serais mort.
Et je n’aurais pas eu non plus la vie que j’ai eue, si j’étais, cette nuit précise, calanché comme normalement cela devait arriver.
A-t-on eu de la chance ? Avons nous été protégés par je ne sais quels anges gardiens, par je ne sais quelles fées, par je ne sais quel destin bienveillant ? Comment savoir ? Que peut-on répondre à cette question ? On ne peut pas savoir, puisque rien de définitif ne nous est arrivé. Mais, logiquement ça aurait dû nous arriver. Nous avions tout fait pour que ça arrive. Nous avions pris tous les risques, nous avions accumulé tout ce qu’il fallait faire pour que l’issue de cette soirée nous soit fatale. Sur le coup nous ne nous en sommes évidemment pas aperçu, c’est des années après que ça nous est venu, en y repensant, en nous rappelant cette nuit particulière, en nous en reparlant. C’est avec les « Tu te souviens de cette virée ? La vache ce qu'on s'est pris! » que sont venus les « On était très cons quand même à ces âges», puis, les «  On a bien failli y rester cette nuit là. Tous. ».
Nous étions quatre amis de quasi biberon puisque nous nous étions connus vers l’âge de six sept ans. Nous avions passé des étés ensemble à camper sous des tentes improbables, à chanter à tue-tête devant les flammes vives de feux de folle joie, à construire des cabanes de bois mort, à apprendre à récurer des casseroles avec de la cendre et du sable, à ramper dans les orties pour nous endurcir la couenne, à nous maculer de boue pour devenir invisibles, à éplucher des patates pour des purées collectives, à traquer les empreintes d’animaux et savoir les reconnaître, (on fait ça avec une poignée de plâtre, de l'eau et un livre des castors juniors…), à réparer des pneus de vélo crevés, à servir la messe devant un autel de rondins dans des clairières pastorales, bref nous avions été, ensemble, louveteaux… De joyeux petits louveteaux à leurs cheftaines aux jambes touffues…
C’est dire si on en avait traversé des moments intenses.
Maintenant, nous avions, comme tous les autres enfants fini par grandir et nous faisions partie depuis quelques années déjà de la même équipe de sport. Nous avions lâché les shorts en laine et l’église glacée pour d'autres en coton et des gymnases surchauffés. Nous étions passé du  lait au demi pression, des cheftaines aux mollets poilus aux petites amies, du missel à Pilote, des cantiques au rockn'roll.
Nous avions grandi.
Ce soir là nous devions jouer dans un bled à cent cinquante km de chez nous. Un gymnase perdu dans une campagne pluvieuse. Le père de Bernard lui avait prêté sa voiture. Une DS flambant neuve avec le plus puissant des moteurs. Un bijou de vitesse et de confort. Nous étions cinq dans la bagnole. A l'aller et au retour. On tenait à l'aise. Deux devant, trois derrière la musique à fond... Bernard conduisait.
Nous avons perdu le match, ils nous attendaient au tournant là-bas, l’arbitre aussi nous avait salement assaisonné. En plus, les douches étaient gelées. Nous avions trouvé un bar ouvert près de la gare. Quelques bières plus tard nous sommes rentrés. A fond.


C’est au coeur de la nuit,  en revenant, consolés, de notre défaite, que nous aurions dû mourir… 




22 février 2017

Le pantalon de Paul.

Il a pris une grande inspiration, il a bloqué tout l’air englouti dans ses deux malheureux petits poumons  et il franchi la porte, aveuglé, à la fois par le soleil, qui l’a frappé en pleine face et par la honte qui, elle, l’a, d’un coup, submergé.
Paul s’est retrouvé seul dans la cour de l’école qui faisait comme un grand rectangle ceint de murs, dix minutes avant la récréation de dix heures. Six vieux marronniers taillés de près y donnaient au printemps une ombre protectrice, en automne des projectiles parfaits et de feuilles à dessiner, mais là, on était en février et pas une feuille sur aucune branche, pas un marron dans aucune poche. 
Dans les classes des étages du dessus, les autres pouvaient plonger leurs regards sur lui. Sans les voir, surtout parce qu’à cet instant il ne regardait que ses pieds,  il les a sentis s’agglutiner aux fenêtres et sans les entendre il a su qu’ils commençaient à rire de lui. Paul a fait les premiers pas, les mains sur la tête comme elle le lui avait ordonné. Enfin, les premiers pas, il fallait l’écrire vite parce qu’il ne pouvait pas vraiment s’agir de pas. Disons qu’il a avancé. Deux tours, elle avait dit. Vous m’entendez, Paul, deux tours complets et ne trichez pas. Je vous surveille. Elle l’avait vouvoyé. Oui, en ce temps là on pouvait vouvoyer les gamins mais les humilier, également.
Quand elle l’avait surpris un peu plus tôt en classe en train de farfouiller sous la table, elle avait interrompu le cours, comme elle savait si bien le faire. Tout le monde craignait ça. Elle était crainte pas seulement parce qu’elle était la femme du directeur mais surtout parce qu’elle avait une réputation de sévère. De vielle vache, oui. Ça, on ne le disait que sur le chemin du retour, et encore quand on était loin très loin de l’école, de peur qu’elle ne nous entende. Il ne l’avait pas vue, elle était arrivée par derrière, par l’autre rangée, il ne l'avait pas entendue non plus, elle collait des coussins de feutre sous ses semelles de chaussures exprès pour ça. Ils venaient de finir la dictée du matin, ils relisaient et elle soulignait les pièges probables, les fautes possibles. Il y en avait une ou deux à chaque ligne et lui n’en manquait aucune. Après ce mauvais moment, en revenant de la récré, ils avaient gym et Paul, lui, c’est ce qu’il préférait. Parce que ça bougeait, parce qu’on ne restait pas assis des heures entières, parce qu’on ne s’y ennuyait pas autant qu’avec l’autre là… Alors il avait voulu s’enlever le pantalon long, en velours sous lequel en s'habillant le matin, il avait mis un short, justement pour la gym. C’est à cet instant qu’elle avait fondu sur lui comme une buse sur un campagnol, comme un éclair sur un marronnier. Elle avait hurlé:
Mais Paul, vous êtes malade ? Que faites vous avec votre pantalon baissé ainsi sur les chevilles pendant la correction de la dictée ? Un silence de plomb fondu avait envahi la classe, tous les regards s’étaient tournés vers lui, il avait été comme un lapin nain sous une volée de flèches.
Mon ami, oui, elle disait mon ami mais ils n’avaient pas du tout la même conception de l’amitié. Mon ami, donc, pour votre punition vous allez me faire deux tours de cour les deux mains sur la tête et gardez donc votre pantalon sur les chevilles, ça va nous amuser. Deux tours vous m’entendez ? Que nous ayons le temps de bien rire.

Paul avait eu envie de mourir ce matin de Février.

En rentrant chez lui, il était allé dans le fond du jardin avec un sac plastique plein et une boite d’allumettes. La mère de Paul s’est longtemps demandé ce qu’il avait bien pu lui passer par la tête pour que ce gosse foute le feu à son pantalon.

13 février 2017

Vous les flammes.

Oh pardon. J’ai fait,  gêné. Excusez moi.
Ce n’est rien, vous n’avez pas fait exprès ?
Je n’ai pas réussi à savoir avec certitude si elle avait envoyé un point d’interrogation après le mot exprès mais j’aurais mis ma main à couper qu’elle en avait posé un. Un petit, discret, qu’on pourrait avoir quelque  peine à percevoir. Mais il y était, certain. En me reculant d’un pas dans la file d’attente, je venais de marcher sur un de ses deux pieds. Elle portait des sandales à hauts talons superbes, avec une fine bride de cuir noir, qui habillaient ses deux jolis pieds aux ongles magnifiquement rouges. Quand elle s’est retournée, j’ai remonté le tout, d’en bas, lentement et j’ai embrassé (du regard) la plus jolie silhouette que j’avais jamais vue. On était en Avril, il faisait doux, les robes et les bourgeons étaient de sortie. Même pour aller au cinéma. La sienne était légère comme une soie fragile avec de minuscules fleurs en motifs répétées, une ceinture fine à la taille, un sac sur une épaule nue, des cheveux très courts, presque ras, bruns, presque noirs, ses oreilles vêtues d’une simple perle de culture très claire, sa nuque si embrassable. Très attirante, en tous les cas. Ce qu’on appelle, avant même de la connaître, une beauté fraîche, gaie, pimpante. Sans aucune moquerie. Elle était belle comme ce printemps qui s’amène. Et je lui avais écrasé un pied. Quel crétin. On allait voir le même film, elle s’est assise au dernier rang, pile dans le milieu de la rangée, là où j’avais l’habitude de me placer.  Je n’allais pas changer mes coutumes pour une fille fût-elle une beauté renversante. Je me suis assis à côté d’elle, mais j’ai laissé un siège entre elle et moi.  Ca se faisait dans les salles un peu vides. On voulait bien être ensemble dans le noir mais pas les uns sur les autres, on avait ses limites. On ne se serrait qu’entre connaissances. Avec tous les autres, on se laissait une distance, on s’accordait une avancée possible, une sécurité. Dans ce monde, on avait gardé les cochons avec personne. En vrai, aller vers l’autre ce n’était pas si facile, c’était même tout un sacré bazar.
 Une fois installés, j’ai regardé droit devant moi. Tout le film. Pas une seule fois je n’ai jeté un œil vers elle. C’est là que j’ai compris qu’il se passait un truc. J’étais tendu comme les câbles d'un téléphérique et ce n’était pas le film polonais en noir et blanc sur la vie d’une nonne sous la neige qui allait me relâcher. Une merveille de film et un si beau prénom. Sur le générique, je me suis mis à comploter. Il faut que je lui parle, il le faut. Je dois y arriver. Oui, parce que les rencontres j’avais plutôt l’habitude de ne pas les faire, voyez. J’étais du genre à laisser passer mes chances, à ne même pas les voir quand elles se pointaient, en tous les cas à ne rien comprendre. L’anneau je ne l’avais pas eu souvent au bout du bâton, si je peux me permettre. Mais cette fois, cette fois, ne serait pas comme les autres. Je vais me jeter à l’eau, je vais me lancer, je vais me débrouiller pur qu’on aille boire un verre, avoir un 06, un prochain rendez vous.
Elle était désolée mais elle devait retourner à son travail, elle y avait laissé son smartphone, elle ne connaissait pas son numéro, (je m’appelle rarement vous savez) elle n’avait pas une minute à elle, mon boulot si prenant, alors, forcément, deux heures encore moins… Vous comprenez, n’est-ce-pas ?
Pendant qu’elle me lançait sa tirade, au beau milieu de la foule du parvis du complexe huit salles, elle me souriait gentiment avec une étincelle de malice bienveillante dans l’œil. Moi, je la fixais bêtement…

Elle, elle regardait, presque étonnée, les flammes de l’amour dévorer lentement les ventricules vides de mon petit cœur d’artichaut.








08 février 2017

Les temps perdus.

C’était juste en face du bahut, comme un long et étroit couloir enfumé. 
Nous y passions une bonne partie de nos journées.
Nous y allions quand nous séchions, quand un prof était absent, quand nous avions une heure à perdre, avant d’aller en cours, en en sortant, en début de journée, en fin. Nous avions notre table, vers le fond, un peu plus dans le sombre que celles donnant sur la rue et nous ne buvions que des cafés parce qu’ils étaient moins cher. Nous tutoyions le serveur et nous faisions la bise à la patronne qui avait fini par nous aimer bien.
Nous y sommes entrés les premières fois vers la fin du premier trimestre de seconde et nous avons persévéré jusqu’à la fin juin de l’année du bac, soit pendant quatre longues années. Oui, quatre, certains d’entre nous ayant échoué au premier passage. Nous y avions rendez-vous et une fois installés, nous nous adonnions à l’art de perdre notre temps, en ne refaisant rien d’autre que le monde, mais tout le monde. (Vu l'état dans lequel il est, on aurait dû s'y atteler davantage... Du reste, depuis, c'est lui qui s'est bien chargé de nous refaire...) Nous parlions, nous riions, nous y recopions les cours que nous n’avions pas pris,  nous révisions nos colles, nous y terminions nos devoirs et nous y finissions d’apprendre les leçons. Nous nous y aimions, aussi, parfois, en nous y embrassant sur les banquettes de cuir rouge, vaguement dissimulés par le nuage de  fumée des clopes des autres tables. Nous nous y disputions aussi,  comme des chiffoniers. En vrai, ce ventre enfumé, nous était un sas, un sas avant la vraie vie, avant celle qui nous attendait à la sortie du Lycée, un boyau de passage entre l’adolescence et l’âge adulte que nous traversions en bande pour avoir moins peur. Là dedans, nous nous sentions moins seuls, davantage armés, protégés par les présences, la chaleur, l’amitié et les rires des autres, de ceux du clan. Nous y perdions notre temps, mais nous en avions tant devant nous à cette période de nos vies. Au fond, il ne comptait pas, il n’était pas un personnage, il n’était rien, il s’étirait même en longueurs dans des après midis sans fin, affalés jusqu'à l'heure où il nous fallait rentrer.  Nous ne nous rendions pas encore compte qu’il passait. Si vite.
L'antre s’appelait : Le temps perdu. 
Il n'existe plus, il a disparu.
Le temps, lui, était devenu un fast-food et nous, les vieux épais que nous fustigions, ceux dont nous nous moquions, maintenant pressés par ces jours qui défilent à folle allure, effrayés par les heures qui nous rabougrissent, qui nous rabotent et nous minent, minute après minute en nous poussant inexorablement aux fesses, vers la fin. Vers notre éternité.
Nous, nous  avons arrêté de fumer. 
A nous, désormais, d’être effarés par le peu qui nous reste à vivre, sidérés, entamés par la fin qui, déjà, s’amène.

Quand elle sera là, sous nos pieds, nous en aurons, du temps à perdre...


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