31 janvier 2010

Demain, au panier.

L’analyste n’avait pu masquer un sourire quand le type avait tenté de déplier ses deux mètres douze pour les allonger sur le divan. Au fond, là-bas, les deux quarante six chaussés d'air Jordan incrustées de strass, flambant neuves débordaient, pendouillaient dans le vide alors que sa nuque, près d’ELLE, voulait se caler contre l’accoudoir. Ce divan là, était bien trop petit pour tout ce grand échalas, là.
Pour l'instant, il dépassait des deux côtés.
Toute l'histoire avait commencé au plein milieu de l'année d'avant. Jusqu’à ce moment, rien à signaler, tous vivaient une saison normale. Il était le meilleur marqueur de l’équipe, c’est pour ça qu’ils l’avaient acheté. Marquer, c’est ce qu’on lui demandait de faire et il le faisait avec brio. Son tableau de stats (statistiques, chaque joueur de l’équipe a le sien c’est un peu leur baromètre et leur fiche d’évaluation. Un héritage des U.S.A. où on aime bien ce qui est simple parce que c’est facile à comprendre…) était dans le vert et même un peu au-dessus de celui de la saison précédente. Ses employeurs étaient contents de l’investissement et lui, ravi qu’ils soient contents, donc généreux. Tout était rangé dans le meilleur des mondes des basketteurs possible. Aucune blessure pour l’instant, très peu de retards aux entrainements, en sympathie avec ses coéquipiers, il engrangeait une vingtaine de points par match, presque autant de rebonds défensifs, son nombre de passes décisives était un des meilleurs de l’équipe et ses relations avec la presse étaient ensoleillées, surtout depuis qu’il sortait avec une très jolie journaliste de TV8. Et puis, il y a eu ce match tragique à l’extérieur...
Ce soir là, ce fut un véritable cauchemar. Un seul panier marqué, et encore c'était en contre-attaque, il n’a eu qu’à poser le ballon dans le cercle. Un aveugle unijambiste et manchot aurait réussi à le mettre. Pour le reste, une trentaine de tirs tous sur le cercle: aucun ballon rentré. Il n’a pas joué les deux derniers quarts temps. Toute la semaine qui a suivi, il a travaillé comme une bête de somme pour effacer ce soir maudit. Le samedi d’après match à domicile contre le deuxième du classement. Même punition. Ses tirs partaient magnifiquement bien, les trajectoires semblaient parfaites et puis d’un souffle le ballon n’entrait pas dans le cercle, d'un malheureux millimètre, il évitait le but. Les dirigeants sont allés jusqu’à faire mesurer les dimensions et les hauteurs du terrain, du panneau, du cercle, des balles enfin tout ce qui entrait dans la réussite ou l’échec d’un tir. Une réunion de crise a été provoquée, on en est arrivé à cette idée: Il faut l'envoyer voir quelqu’un. On peut comprendre. Il doit y avoir une raison. Il faut la trouver. Ces types sont, en plus, de véritables coffres-forts... Aux prix où on les paye, il vaut mieux qu'ils soient efficaces. De plus, sa côte risquait de s'effondrer, il allait bientôt devenir invendable... Il y avait urgence. On lui a donné des adresses… Il continuerait de s’entrainer, mais il passerait un test régulièrement. S’il continuait à foutre les ballons à côté, de la cible, ce connard, ne rejouerait pas dans l’équipe. L'ambiance commençait à se tendre...
Il faut imaginer et compatir. Un divan c’est un peu comme un berceau de bras d’humain, c’est souvent doux, parfois accueillant, plutôt dans les velours que dans le béton, lissé, habitué à supporter de la souffrance, des larmes et du malheur. Ça attend en retour la même douceur, la même prévenance, la même attention. Ça n’est pas exactement prévu pour recevoir cent dix kilos de muscles fussent-ils répartis sur deux mètres de longueur. Il n’a rien dit, le divan, quand l’autre s’est affalé dessus. Il n’a rien dit mais on a entendu son long soupir plaintif jusque dans la salle d’attente. La suivante, qui mettait un point d’honneur à arriver une heure avant l’heure, elle en voulait pour son argent, en a sursauté. Comme surprise en plein travail, déjà.
La première séance n’avait pas donné grand chose. Il faut dire que le géant harassé de ses quatre heures d’entrainement s’était endormi comme un bébé. Une régression trop rapide? Et puis, et puis, des tas d’autres avaient suivi. Des tas d'heures durant lesquelles, le grand athlète avait rapetissé jusqu'à convoquer et redevenir, assez souvent, le petit bonhomme "plein de peurs et de colères" qu'il avait été, autrefois... Ces instants là, le divan était encore trop grand. Il avait trouvé qu'ils avaient bien avancé, ELLE et lui quand ELLE avait envoyé en souriant: "Bon, maintenant nous savons, vous et moi, que vous n'êtes ni suicidaire, ni psychotique, ni impuissant..." Au fond, ils avaient, ELLE et lui, mais surtout lui, parcouru un long et douloureux chemin qui les a mené jusqu’à:
"Pourquoi ne vous a-t-il pas laissé entrer dans le cercle? N’allez pas nier, lui, votre père, sait..."
Le temps que cette question trouve, elle aussi le chemin des filets, comme on dit à L'Equipe, ses symptômes ont disparu. Il a consulté encore quelques semaines et puis ils se sont d’un commun accord séparés. Il a pu, son adresse enfin retrouvée, rentrer chez lui.
Avec des baskets quasi neuves…
Qui écouter

Vengeance!

Dimanche matin, humeur tueuse à cause du vent encore, du froid toujours, du réveil comme d’habitude.

Marché de L’Isle sur la Sorgue, des rafales en pagaille, des coups de froid à tous les coins de rue… D’humeur tueuse à massacrante. Comme je passe en toussant auprès d’une vendeuse de poulets morts et grillés. Elle me dit, la plaisante: "Ouhla, ça sent le sapin…"

Je m’arrête. Je me retourne. Je la bouscule:

"Comment le savez vous? Ça se voit tant que ça que j’attaque ma première chimio demain…"

Et je plante mon regard dans ses yeux pour y lire son délicieux malaise.

Vengeance! Vengeance! Tchaaf...

Rose ds vase

30 janvier 2010

Où ça?

___ Papa, maman, je veux faire du hand-ball à 7?
___ Où ça? Mais pourquoi si loin? A part Brassens, on ne connait personne qui vive, enfin, qui dorme là-bas... Et du foot, du volley, du basket à Bâle, non? Désolé, mon amour, mais pas question qu’on déménage pour que tu fasses ton sport, à la noix, là...
Pourquoi pas du tennis à Menton, du javelot à Valence, du hockey sur Gaza, de l'épée à Damas, du golf dans le Morbihan, du grimper à Cordes, du sabre à Chatila, du polo à Shetland, du tir à Misu, des haltères à Evian, du rugby polaire et du tir à l'arc en ciel, aussi, n'importe quoi...
Café des sports Vell

24 janvier 2010

Un direct à la foi.

"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ta droite! Ta droite! avec les cons, Tchaaf! c’est qu’il faut toujours Tchaaf! qu’ils en apportent Tchaaf! la preuve! Tchaaf! Frappe, encore, allez une dernière... Tchaaf! Bien, bien petit!
C’est bon Jean Martin, tu peux souffler... Allez, étirements, douche, massage, une soupe et au lit! Tu as bien travaillé ce soir, je te félicite. Tu ressembleras, peut-être, un jour, à un vrai boxeur…"
Le jeune gaillard rougi comme un homard en fin de cuisson, presque fumant de l’effort fourni, s’était dit en enlevant ses gants puant de sueur: "Une soupe et au lit, j’aimerais ça mais avec ces examens dans un mois s’il croit que je n’ai que ça à faire, dormir…" En lieu et place du repos recommandé par son entraineur de père, il allait rentrer dans son minuscule studio de banlieue, s'avaler un bol de pâtes et mettre son nez, tuméfié par les coups, dans ses bouquins jusqu’à pas d’heure. Les examens approchaient, il terminait d'un côté une licence d’histoire des religions et de l'autre des études de théologie et, il était bien, bien en retard dans ses révisions. Il souhaitait devenir pasteur. Protestant, parce qu’il ne pouvait envisager sa vie sans femme, ni enfant et qu'il aimait bien ce mot là.
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ton jab! Ton jab avec les salauds, Tchaaf! c’est qu’ils ne savent Tchaaf! pas faire autrement!Tchaaf! Tchaaf! Frappe, allez un dernier... Tchaaf!
La boxe, c’était une religion de famille. On entrait dans un ring comme dans une église. en inclinant la tête. Ici, dans cette famille, les coups réglementés pleuvaient comme ailleurs pleuvent les prières. Un combat était une cérémonie. Chez eux, les hommes boxaient. Depuis toujours. Le père de son père avait boxé, son père avait été champion de Touraine deux années de suite (un exploit jamais renouvelé à ce jour dixit les annales de ” Le Petit Tourangeau”) et lui serait boxeur. C'était écrit. Et les femmes s'y mettraient avant que les hommes arrêtent... C’était une chose qui ne se négociait pas, qui ne se discutait même pas. Alors, envisager de la remettre en cause s’était, bien évidemment, révélé très vite impensable! Il en avait pris son parti mais il était hors de question qu’il n’aille pas où sa vie l’appelait. Mais très tôt, vers l’âge de quatre ans, Jean Martin avait reçu ce qu’on nomme un Appel et s’il avait mis longtemps à comprendre d’où il lui était venu, de qui et ce que cette idée même signifiait, il s’en était accommodé et, dès lors, il avait organisé sa vie autour de lui. Il se disait que Battling Jésus (prononcer Rrézouss) lui avait fait signe mais il le gardait pour lui.
En vrai, il avait deux vies. Sa vie intérieure propre, directe, ses choix, ses inclinations ses centres d'intérêt, son avenir et sa vie familiale. Et tant qu’il le pourrait, tant qu’elles n’entreraient pas en conflit trop flagrant l’une avec l’autre, tant qu’il pourrait vivre les deux de front au prix de quelques crochets et détours, il se démènerait pour les vivre. Les deux.
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qui est bien Tchaaf!! Ton swing! Ton swing! avec les truqueurs Tchaaf! c’est qu’ils ne veulent jamais Tchaaf! s'arrêter! Tchaaf! Tchaaf...
Il avait ainsi pas mal menti à son père et à sa famille toute entière, qui lui avait enfilé des gants dès qu’il l’avait senti en âge de recevoir des coups. C’est à dire vers les six sept ans en se glissant gentiment dans la peau d’un futur boxeur alors qu’il ne trouvait son plaisir que dans la lecture de la bible qu’il s’était mis à dévorer dès qu’il avait su lire. Il lui arrivait parfois d’avoir un peu de mal à plonger dans son ouvrage préféré avec des cocards gros comme des œufs de dindes, mais les prières qu’il faisait ces soirs là semblaient suffire. Une fois couché, il se relevait dans le noir et s’agenouillait auprès de son lit pour les psalmodier avec ferveur. Il le faisait tous les soirs, que Dieu fait, gnon ou pas gnon, douleur ou pas douleur, blessure ou pas, combat ou pas…
Pire, dans la cour, lorsqu’il était provoqué par un mignon, lui, qui aurait pu l'allonger d’un coup, d’un seul, au vilain qui l’agaçait, il n’avait de cesse de tendre l’autre joue comme un benêt merveilleux. Il était même devenu la risée de toute l’école qui, sans cesse, venait en vagues incessantes se jouer de lui. Lui qui, tous les samedis en étalait raide des biens plus coriaces, que ces sales gosses imbéciles et lâches, il se faisait tomber dessus par certains de ces morveux de Panurge. C'est dire si toutes ces années l’avaient sévèrement endurci. Ce qui pour un combattant n’était pas si mal. Ce qui pour un chrétien était plutôt bien... Et à chaque instant, lorsqu’il avait à ne pas se battre, il entendait les mots de son père:
"Tchaaf! Tchaaf! Tu verras, ce qu'il y a de bien Tchaaf! avec les emmerdeurs Tchaaf! c'est qu’ils se découvrent Tchaaf! Tchaaf! très vite! Tchaaf! Ton gauche, ton gauche! Frappe, encore, allez une dernière Tchaaf... Bien petit, je crois en toi, moi..."
Celle là le crucifia.
En vrai, pour le futur pasteur qu'il était, chaque coup qu'il donnait ou recevait, c’est sa foi qui prenait...

Antibes Giacommetti 2
A venir: "Sa main au panier"

17 janvier 2010

Dans les brumes de Novembre.


___ C’est l’heure de se lever! C’est l’heure de se lever!
___ Ouais, ouais, ça va on arrive...
Le type un peu chiffonné a attrapé le portable qui venait de sévir dans la chambre. Il en a écrasé les touches au jugé pour le faire taire, puis il s’est dressé sur son lit. De là où il était, il pouvait voir dehors par le petit fenestron à hauteur d'œil couché. Il a vu, alors qu’il faisait encore nuit, que la maison était enveloppée dans un linge épais de brume épaisse. Merde, cette brume… s’est-il dit. Ce n'était pas un poète. Se lever si tôt pour aller, un dimanche à l'aube, s’enfoncer dans ce brouillard… Fallait-il qu'il l’aime, cette fille qui, seule comme une grande, avait choisi course à pieds. Seulement voilà, il fallait que quelqu'un l'accompagne...
Puis, il s’est déplié pour s’extirper de la douce chaleur de la couette. Il s’est couvert les épaules d’un truc qui trainait sur un fauteuil, les fesses d’une chose qui rampait par terre et il a descendu l’escalier de bois dont les marches faisaient un bruit d’enfer. Il est arrivé dans la cuisine et a demandé a la machine à café de lui en préparer un. Comme rien ne se passait, il s’y est mis. Pendant que le liquide noir coulait dans la tasse, il est descendu encore d’un niveau. Il avait fait aménager une grande chambre dans le sous-sol, c’est là qu’elle dormait. Il a gratté à la porte pour faire un peu de bruit, mais pas trop. Comme personne ne répondait, il a ouvert doucement. Il a été un peu surpris, mais tout bien réfléchi, ça lui ressemblait assez… Il l’a trouvée assise sur son lit, réveillée, pimpante, douchée, habillée, coiffée, son sac sur ses genoux, prête à partir.
___ Ben Ma douce tu es déjà prête?
___ Oui Pa! On part dans dix minutes, tu sais bien c’est toi qui a proposé l’horaire. On doit être là-bas vers huit heures… Je cours à neuf.
___ On y sera, ma Belle, on y sera!
Il est remonté boire son café et s’habiller en quatrième. Il a attrapé une tartine au vol, qu’il avalera en conduisant. Ils sont sortis dehors. On n’y voyait pas à dix mètres. Une brume dense comme un nuage d’incendie. Une nuit de presque hiver encore noire, quelques rares voitures passaient au ralenti, ils n’auraient même pas pu en donner la marque. Encore un foutu mois de Novembre. Il n’y avait que les dingues qui étaient de sortie. Les dingues et les sportifs. du dimanche. Ce qui, peut-être, revenait au même. Ils sont montés en voiture, direction la banlieue opposée, cap sur les jardins du Château de Fontenay les Briis. Mais ils n’y allaient ni pour un raout mondain ni pour la fête des cerises. Mi Novembre, c’était le jour du cross de la RATP. Une course à pieds à travers bois, dans les boues, les feuilles mortes et les sols gelés… Enfin, quand il écrit une course, c’est une batterie de courses dont il devrait parler puisqu’il y en avait une bonne trentaine durant tout le dimanche. Par catégories, les plus jeunes commençant, pour finir par la course des As qui réunissait les meilleurs spécialistes. Des kényans, des éthiopiens hauts comme trois pommes, épais comme des haricots verts anorexiques, rapides comme des missiles sol sol, venaient s’y briser les mollets, martyriser les cuisses et, en vrai, s’y geler les fesses, mais arrondir les fins de mois de villages entiers. Il fallait les voir à l’arrivée, des filets de bave le long de leurs joues glacées, prêts à vomir leurs tripes à tout rompre, de l’effort fourni. Il fallait les voir reprendre leur souffle comme des forges en furie, enveloppés dans des couvertures en or de survie… Mais Bon Dieu, pourquoi avait–elle choisi ce jeu là? Qui lui avait mis cette idée en tête? Il y avait tellement de sports de salle où, avec un bon coussin, les parents désignés peuvent s'asseoir au chaud et finir tranquillement leurs nuits. en attendant le passage de la chair de leurs chairs... C’est ce qu’il se disait en roulant dans la brume de cette moitié de Novembre. Elle, derrière, elle s'était rendormie un petit peu. Elle savait ce qui l’attendait. Malgré ses douze ans, c’était déjà sa troisième participation. Ils sont arrivés alors que le jour se levait. Il faisait plus clair, mais on n’y voyait toujours goutte. Il l’a laissée avec ses copines de club et il est allé garer la voiture dans le fin fond des parkings. Heureusement, des navettes autobus avaient été mises en place (l’avantage du cross RATP… pour le cross du Figaro, tu faisais le trajet un journal à la main, mais à pied!). Il a rejoint toute la joyeuse petite troupe qui venait de finir l’échauffement. Elle courait dans une demi-heure et c’est là qu’il l’a vue, en larmes. Il s’est approché et l’a prise dans ses bras: “Mais ma belle, qu’est-ce qui se passe? Tu t’es fait mal, tu as froid?” Elle a répondu: “Non, non, mais j’ai peur! J’ai peur de ne pas être à la hauteur, elles sont toutes vachement fortes devant, je vais être ridicule!”
Tout ce qu’il a trouvé à dire, à dix minutes du départ, cet imbécile de père c’est:” Ma douce, on peut rentrer, tu sais… Il n’y a rien qui t’oblige à faire ça, en tous les cas, pas moi! Je vais chercher la voiture, tu te mets au chaud et on rentre à la maison se recoucher, on n’est pas forcé de se faire mal à ce point là, c’est juste censé faire plaisir d’être là…”
Elle ne l’a pas écouté, elle a tenu à courir, elle a fini dans les trois premières. 
Comme elle était joyeuse dans ses pleurs la médaille autour du cou ! Comme elle était fière sur ce podium ! Comme elle les faisait danser dans les brumes ses deux petites  couettes humides! 
Elle avait de quoi.


Il est vraiment bon que, parfois, les filles n'écoutent pas ce que racontent leurs pères...

Brouillard le thor 2

14 janvier 2010

Une leçon de haute volée.

En ce début d'après midi de Juillet 1962, après avoir survolé l’Atlantique Sud, les soixante cinq passagers du Super Constellation Lockheed assurant la liaison entre l’Amérique du sud et Paris, avaient entendu l’hôtesse leur annoncer l’arrivée sur Dakar où l’engin vieillissant devait se poser pour ravitailler, avant de poursuivre son vol vers Paris Orly et son aérogare ultra moderne qu'on venait à peine d'inaugurer. A l’approche de cette escale, le Commandant de bord, assez bon fleuretiste, avait tenu à saluer l’équipe de France d’épée qui avait été sacrée, quelques jours au paravant à Buenos Aires Championne du Monde et le sabreur niçois Claude A., lui, médaillé de bronze. Alors, ceux ci avaient déplié leurs immenses carcasses du profond de leurs sièges avec bonheur et avaient reçu ces marques de reconnaissance avec une joie sincère. L’ensemble des passagers avait applaudi cette annonce à tout rompre avec un étrange sentiment de fierté de partager ce vol avec des compatriotes distingués. Ces sportifs venaient de recevoir la plus grande marque de reconnaissance qui leur serait jamais témoignée. A l’annonce de l’approche de l’escale, tout le monde a, également, soupiré d’aise et de soulagement. L’étroitesse des sièges et leur inconfort, les bruits forcément incessants des quatre hélices, les vibrations de la carlingue, les "trous d’air" au passage du Pot au Noir avaient sérieusement entamé leur énergie. Ils commençaient à en avoir soupé de ce vol et de sa longueur. Très vite, à ce qu’ils on ressenti, ils comprirent que quelque chose ne volait pas rond. Après une descente régulière, l’avion s’était mis à tourner en cercles au-dessus de la ville. Après un quart d’heure de ce manège, vers le devant de l’appareil, la porte menant au poste de pilotage s’est ouverte. Le Commandant est apparu. En manches de chemise mais l’air sombre. Il s’est adressé aux passagers de vive voix et ce qu’il leur a dit, ils auraient aimé ne pas l’entendre: “Nous avons un problème de train d’atterrissage. Celui-ci, refuse, pour l’instant, de sortir. Nous avons, évidemment, fait plusieurs tentatives mais rien ne se passe. Pour l’instant, nous allons voler en attente de manière à nous donner le temps de régler le problème. Nous sommes en lien avec des ingénieurs au sol et, croyez le, nous tentons de trouver une solution. Il nous reste environ une heure trente de carburant avant de penser au pire." Dans la cabine, malgré le vacarme des moteurs, régnait un silence pesant. A la question si le train devait ne pas sortir, il a répondu que: “Nous tenterions de nous poser sans lui, c’est à dire sur le ventre., mais nous n'en sommes pas là. En attendant, nous allons vous servir une boisson.” Personne n’a osé dire le verre du condamné… Puis il a tenté de répondre le plus calmement du monde, en espérant que cela soit contagieux, à certaines questions angoissées de quelques uns. Et, il les a laissés avec ces nouvelles. Pendant un instant, le silence s’est imposé. L’inquiétude se lisait sur tous les visages, chacun était sensible à la moindre variation de bruit, à chaque mouvement de l’appareil.
Tous, ou presque attendaient que quelque chose se passe mais sans savoir quoi.
Le commandant a fait appeler dans le poste de pilotage le responsable de l’équipe d’escrime qui en est ressorti quelques minutes après. Il s’est dirigé vers Claude A. et ses épéistes. Ceux-ci se sont levés, se sont emparés de leurs housses, en ont sorti leurs armes et, dans l’allée centrale du Super Constellation, les passagers du vol, au début sidérés puis, finalement conquis ont assisté à une démonstration d’escrime… Le maître d’armes a donné à Claude A. une leçon de sabre et les épéistes, eux, ont simulé un d’assaut en s'amusant comme des filous… C’était une époque où l'on pouvait prendre l’avion avec un sabre ou une épée en cabine. La méfiance, la crainte et la peur de l’autre n’avaient pas encore envahi le monde. On pouvait encore monter dans une carlingue, fût-elle à hélice, avec insouciance et légèreté. Alors, dans cet avion en détresse, ces jeunes gens en pleine santé ont fait de l’escrime juste pour combattre la peur de mourir. Au fond, qu'était le but de toute activité humaine sinon celui là? Après une bonne heure de quarte tête, de contre de sixte, de prises de fer, de fentes et de tierce figure bien placés, ils ont évité les quinte banderole à cause des plafonds... tout le monde l'a ressenti ce choc violent sous l’appareil.
Le train venait de sortir de son logement! L’avion convalescent pouvait se poser sans dommage sur le tarmac de Dakar...
Un peu plus tard, en Aout, parmi les serres d’œillets de la campagne de ses grands parents, horticulteurs sur les hauts d’ Antibes, un petit garçon de neuf ans, dont le père était maître d'armes, a appris par hasard, qu’il s’en était fallu de peu, cet été là, pour qu’il devienne orphelin…
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12 janvier 2010

Un transfert de fond.

Le jeune homme, un gamin de dix huit ans gagnait, désormais, à lui seul, grâce au seul talent de ses deux pieds, en un mois, le budget d’une entreprise qui pourrait aisément faire vivre un joli petit nombre de familles. Son contrat avec son nouveau club, avait été signé la semaine passée. Son transfert, maintenant officiel, avait fait couler des cuves d’encre. Lui, en avait rougi de plaisir, son banquier avec. Là, après la présentation aux abonnés, il était rentré chez lui et venait de garer, dans le sous-sol de la villa, sa voiture allemande, une énorme sportive noire, étincelante, sortie d'usine qu’il avait acheté le mois passé pour étrenner son permis tout neuf. Il s’était un peu perdu dans les sous-sols de la bâtisse de magazine, mise à sa disposition par le club, sur les hauteurs du petit port touristique, mais à sa décharge, il n’y habitait pas depuis très longtemps. Il aurait le temps de s’orienter dans les dédales des différentes salles, sauna, jacuzzi, salle de sport, de cinéma, piscine intérieure, des six grandes chambres de l'étage, chacune avec salle de bain etc… Il savait que ce club d’une grande ville du sud à fort accent avait des grands moyens, qu'il n'hésitait pas à employer, mais à ce point là…
Il venait enfin de trouver le séjour grand comme un hall de gare, donnant sur la très belle piscine à débordement, le salon, meublé dernier cri, des meilleurs cuirs, des derniers écrans géants, des derniers équipements, enfin de tout ce qu’il y avait de mieux et qu’il n’aurait donc même pas besoin d’acheter, lui qui, désormais pouvait TOUT se payer. Il s’est défait de son blouson du créateur en vogue qu’il a balancé (le blouson) sur la table basse en marbre blanc, il a enlevé ses chaussures anglaises et sur mesure qu’il faisait fabriquer à Londres , un tuyau d’un de ses potes jouant en première ligue anglaise et qu’il avait rêvé de rejoindre. Ça ne s’était pas fait parce qu’ ils jouaient à peu près au même poste… Il était arrivé le premier, sa “bande” n’allait pas tarder à le rejoindre.
Sa bande, c’était ses frères, et leurs copains qui le suivaient à peu près partout excepté sur le terrain les soirs de match. Parfois, il lui arrivait de ressentir un besoin de calme, mais ça ne durait jamais très longtemps. Pourtant il avait la réputation, dans ce milieu extrêmement fermé d’être ce qu’on nomme un garçon sérieux.
Malgré ses dix huit ans, mine de rien, il exerçait son “métier” depuis dix ans déjà. Depuis ses bougies des huit ans, deux entrainements quotidiens, les matches à jouer, l’hygiène de vie à avoir, le repos presque forcé, en tous les cas obligatoire, si vous voulez être performant et éviter le plus possible les blessures, sur la durée d’une saison voire d’une carrière. Si vous voulez arriver jusqu’où il en était c’était un chemin obligé. Les jeunes joueurs talentueux de son niveau sont des gosses qui ont très vite appris à obéir aux adultes et à bosser ferme… Enfin, bosser… Ils passaient une grande partie de leur temps à jouer au ballon avec leurs potes, ce n’était pas, non plus les chantiers de travaux publics… Il s’est approché des gigantesques baies vitrées alors que les enceintes dissimulées un peu partout envoyaient en force le son du dernier groupe rap le plus écouté dans toutes les banlieues et les vestiaires d’Europe. A cet instant, lui est venue une pensée pour son grand père, Houari, mort l’année passée de l’amiante côtoyée toute sa vie durant dans le cœur de chantiers pourris. Quand ils étaient arrivés d’Algérie, chassés par les “évènements” et l’indépendance toute neuve, ils avaient débarqué dans cette ville et ils étaient restés là juste en face de leur pays. Le père avait alors travaillé dans tout ce qui se présentait et le gamin, depuis qu’il avait commencé le foot n’avait rêvé que de ça, porter le maillot bleu ciel et blanc et jouer au vélodrome. Il y était, son grand père, lui ne le verrait pas jouer dans ce stade. Face à lui, dans le fond, les falaises abruptes et menaçantes du cap Canaille. Une larme lui est venue.
C’est quand elle est arrivé à ses lèvres que le téléphone a sonné. Il est allé décrocher. Une voix qu’il ne connaissait pas:
“Hatem? Bien installé?” Il a dit: “Qui êtes vous?” La voix: “On ne se connait pas encore, mais on ne va pas tarder à faire connaissance…” et puis, elle a raccroché.
C’est une troupe bruyamment excitée qui l’a sorti de sa surprise... Sa bande a débarqué. Il a renvoyé tout le monde assez tôt, à part ses deux frères qui maintenant vivraient avec lui. Demain était le jour de son premier entrainement, il tenait beaucoup à n’être pas trop mauvais. Un dernier coca light, et ils se sont couchés bonne heure.
Vers trois heures, un appel qui n’a réveillé que lui. La même voix: “Hatem, dors bien…” Et puis plus rien. Il n’a plus fermé l’œil de la nuit. Au matin, dans le garage, où il était descendu prendre sa voiture pour se rendre à son premier entrainement, il s’est aperçu que deux pneus étaient à plat. Et, comme s’il était surveillé, appel sur son portable cette fois. “Hatem, Gran tout ça reste entre nous, évidemment…” Il a alors demandé à un de ses frères de l’accompagner. A partir de ce moment, le son de cette voix ne l’a plus quitté. Surtout quand elle n’appelait pas. Il est resté une semaine sans nouvelle d’elle. Et puis un soir, un mois environ après le début de la saison, elle s’est faite très froide et menaçante: "Ça va? Tu te plais au club? Je vais y aller direct, Gran. Tu gagnes beaucoup, beaucoup d’argent pour un jeune homme et là où il y en a, moi je suis. Si tu veux qu’il n’arrive rien à personne de chez toi, il n’arrivera rien et je préfèrerais ça. Seulement, la tranquillité, ça se paie. Je veux une partie de ton fric , une taxe, en somme. Je te ferai savoir pour t'expliquer comment payer et bien entendu, tout ça reste entre nous sinon, crois moi tu ne toucheras plus un ballon de ta vie ou alors seulement avec tes mains. Tu m'as compris? Sinon comme joueur, moi je t’aime plutôt bien, tout ça n'a rien de personnel…” Il avait eu dans les jours qui ont suivi plusieurs signes qui lui ont fait comprendre que la voix ne plaisantait pas.
C’est à partir de cet instant qu’Hatem s’est mis à déjouer. C’est de ce jour là qu’il n’a plus fait partie de l’équipe type. C’est de ce jour que la presse locale s’est déchaînée contre ce jeune joueur, son salaire devenu d'un coup exorbitant, et ce qu’on a appelé ses caprices de star… C’est de là qu’on a commencé à entendre parler de transfert lors du mercato d’hiver… Un transfert de fond, oui…
Hatem n’avait trouvé que cette solution pour se sortir de ce merdier et se débarrasser de ces menaces qui s’étaient faites de plus en plus lourdes, précises et terrifiantes… Jouer mal… Ça le mettait dans une rage infinie… Tous ces efforts, ces sacrifices, ces années de travail pour en arriver là…
Il ne voulait pas penser à ce que Houari dirait de tout ça...

DSC01328

10 janvier 2010

Double faute.

Boyardville. Île d’Oléron. Charentes Maritimes. Juillet 1981.
Le printemps avait été souriant. Dès les premiers jours de Juillet, nous avions plié bagages, fermé la maison de banlieue et, comme nous en avions désormais l’habitude, nous étions venu nous poser, pour deux ou trois semaines dans l’île. Nous étions là depuis quelques jours quand, à la boulangerie, j’ai lu l'annonce du Tournoi de tennis de Saint Trojan qui devait commencer sous peu. Je n’en faisais que deux ou trois par an, histoire, surtout, de ne pas perdre mon misérable classement en quatrième série. C'était peu, mais ça me convenait. S’il est un jeu extrêmement amusant à pratiquer, le tennis a, entre autres, cette particularité de faire que quel que soit son niveau, il ne nous satisfait JAMAIS. Il suffit de voir la mine effondrée des plus grands joueurs du monde à la sortie d’un court pour s’en convaincre. Il n’y a que le premier qui arrive, parfois, à sourire, et encore… Un autre aspect du tennis à connaître, si tu veux t'y mettre, c’est de savoir que, dans toute ta vie de joueur, tu vas passer plus de temps à perdre des matchs qu’à en gagner. (Cest sans doute pour cette raison qu'il peut être une bonne école de la vie...). Il vaut mieux apprendre très vite à serrer la main du vainqueur sans, à chaque fois, rentré chez toi, te frapper les flancs jusqu'aux sangs, avec des boyaux de chat! Alors, quand, en plus on joue en tournoi où tout est changé, juste parce que là, le résultat compte et qu'on perd encore quelques degrés de son niveau de jeu. Alors, on est très vite en colère contre soi, le vent, les balles, les chaussures, la raquette, le soleil, le repas du midi, le sommeil de la veille, l’adversaire, le bruit des avions dans le ciel, cet oiseau de malheur, là qui passe quand tu sers, ces chiens qui aboient juste au moment où tu frappes, les spectateurs qui parlent et ceux qui se taisent et le monde... Entier. Tous, tous, sont, forcément, ligués contre toi et collaborent à ta perte et à ton égarement... Donc, quand on n’a pas, comme moi, l’esprit de compétition, ou, quand on l’a trop et que l’idée même de la défaite est difficilement supportable, on arrive parfaitement bien à ne pas s’amuser du tout en match qui compte. La peur de perdre étant beaucoup plus envahissante que la perspective de gagner. Aussi, pour s'éviter des malheurs, quand on a conscience de ce travers, on fait le moins de tournois officiels possible.
Mais là, nous étions en Juillet, le printemps n’avait été que fêtes, sourires et défilés joyeux, l’ambiance générale était à la bienveillance rigolarde et au bon air dans les poumons. J’avais vingt huit ans, une forme du diable et des jambes de feu. Il ne me manquait qu’un service fiable, un revers correct et, malgré un coup droit vaguement approximatif il m’arrivait de placer la balle quelques fois à l’intérieur du terrain. Simplement, il ne fallait pas que l’échange dure trop longtemps. Mon inconstance expliquait mon faible classement. Mais s’il fallait courir deux heures, j’étais prêt à le faire et surtout j’en avais la capacité. Et, par dessus tout, quand on jouait pour rire, c’est à dire du moment qu’on se foutait un peu du résultat, j’aimais jouer à ce jeu là.
Je me suis inscrit au tournoi. Le premier adversaire, je l'affronterai le lendemain à quatorze heures, il sera non-classé.
Ah, le plaisir d’un retour à la maison en vainqueur… Bon, les proches qui n’ont pas assisté au match ne sont pas forcés de savoir que pour le battu c’était son premier tournoi, qu’il savait à peine compter les points et qu’il servait, tout juste, à la petite cuillère… Quoiqu'il en soit, j'avais gagné, j’avais gagné, point. Le deuxième match, un deuxième tour, donc… Oui, il faut comprendre que quand on joue au tennis, on s'enflamme assez rapidement et les quatre courts en quick du STLTC (Saint Trojan Lawn Tennis Club) avec sa buvette en carton et ses grillages rouillés, vous ont, très vite, des allures d’un Rolland Garros des Charentes… Le temps d’une victoire au premier tour, par exemple…
Je suis arrivé une demi-heure en avance pour le deuxième match. Mon adversaire s'est pointé un peu après moi et dès que je l’ai vu, j’ai su que mon après midi était fichue et surtout que je n’allais pas rigoler. La soixantaine sportive, un bandeau de pro dans la calvitie coupant en deux son front luisant, la dernière raquette à la mode, la tenue intégrale de ce joueur du moment, celui qui avait marqué cette saison, cet américain gaucher et colérique dont le nom commençait par un hamburger… Il m’avait à peine serré la main (mon adversaire, pas l’américain) sans doute déjà concentré et entré dans son match… Nous avions échangé les balles d’échauffement habituelles. Comme prévu, j’étais maintenant fixé, j’allais rencontrer un emmerdeur de vieux crocodile qui avait dû, dans sa jeunesse, être classé à un très bon niveau et qui descendait de classement au fur et à mesure qu’il soufflait ses bougies d’anniversaire. Leur plus grand plaisir à ces gars là, c’était de battre des petits jeunes qui cavalent partout, simplement en renvoyant UNE balle de plus qu’eux dans le court et, Bon Dieu ça, qu’ils savent bien le faire!
Dans le premier set, jusqu’à quatre partout il n’y eut rien à signaler. Nous faisions gentiment autant de fautes l’un que l’autre et tout ça s’équilibrait gentiment… La pression d’un deuxième tour? C’est à quarante quinze qu’il a annoncé ma deuxième balle dehors… Alors que j’avais servi un ace… J'ai bougonné intérieurement, cela ne m'arrivait pas si souvent, mais je n’ai rien dit. Quelques balles après, j’étais mené quatre cinq , service à suivre pour lui… Dans le jeu suivant, il m’a annoncé deux balles fautes alors que l’une n’avait même pas touché l’intérieur de la ligne… Ce type trichait. Il trichait comme le sale môme qu’il était, le temps d’un match d'été, redevenu. Combien de points m'avait-il volé de puis le départ, ce salopard? Le temps que je me pose ces questions... Il a gagné le premier set six quatre. Je suis revenu vers la chaise, j’ai fourré ma raquette et ma serviette dans son sac, j’ai attrapé ma bouteille de flotte et je suis sorti du court. Il est sur son banc, médusé. Quand je passe à sa hauteur, derrière le grillage, il me dit:
___“Mais... vous ne pouvez pas partir, je n’ai pas encore gagné, il reste un set!”
Sans le regarder, je lui ai envoyé:
___“Je ne perds pas avec des tricheurs! Tu m’as volé trois points, tu es prêt à tout pour gagner, tu as gagné, je me barre!” Il en a lâché sa raquette. Comme un gamin à qui on arrache son jouet, il a tenté:
___“Vous ne pouvez pas partir comme ça!”
___“Je vais me gêner! Que tu gagnes, passe encore! Que tu me battes, JAMAIS!”
Et j’ai filé. Ah comme je me suis plu en fanfaron! Ah comme j'ai été fier d'être ce bravache! Je n'arrêtais plus de me répandre sur mon éclat de pétard à mèche! Et de conter la tête de l'autre, là tout seul sur son court, derrière son grillage, comme un giscardien défait...
Aujourd'hui, je sais que ce ne sont qu'un immense orgueil et une vertigineuse peur de perdre qui m'ont poussé à déserter le champ de bataille...
Double faute...
Jambes Tennis
A suivre: "Transfert de fond..."

08 janvier 2010

Plus dure sera le chut...

Derrière lui, une vingtaine de coureurs du groupe "élite". Ensuite, ce serait au tour de la quinzaine de fous furieux, les tout jeunes rookies, ceux qui finissent par mourir avant d'avoir vécu, ceux qui veulent arriver avant d’être partis et qui ne savent pas encore, eux, ce que "peur" signifie. Ce mot ne faisant pas plus partie de leur vocabulaire que de leur univers. Leur jeunesse les rendant évidemment inconscients, immortels, indestructibles et pour tout dire, effrayants. Jusqu’à leur première évacuation en hélicoptère, brisés, rompus comme une quinte de doigts dans une poignée de main de marin. Maintenant, c'était aux gagnants potentiels de s'élancer...
Un nuage dense de buée, dû à la respiration de tout ce joli monde, flottait sur l'aire de départ, réduite à une peau de chagrin, de LA descente de l'année. Dans le bas, on entendait les cris des spectateurs au passages des roquettes humaines qui dévalaient à intervalles réguliers le versant glacé de la montagne mythique.
Devant lui, le type qui venait de s’élancer et de plonger son corps dans le vertige de la pente avait déjà disparu dans le premier et très serré gauche, juste avant la Grande Combe de la Bonnette, aspiré par le blanc, la pente et le gaz. Avant de se jeter, le colosse autrichien, qu’il avait battu d’un quart de seconde la semaine passée lui avait jeté un regard chargé d’une mauvaise intention accrochée à l’œil. Puis, il avait posé ses lunettes sur son casque et s’était balancé. Revanchard ? Blessé ? Cherchant à l'intimider ? Jusque là, la frousse, qui n’avait fait que planer au sommet de cette piste, comme un oiseau de proie survole une plaine, avait été comme étouffée par le silence presque absolu qui y régnait. Elle était restée assez loin de lui. Mais là, à cause de ce regard, elle avait manqué l’envahir. Heureusement qu’il n’était pas né de la dernière neige. Il avait suffisamment d’expérience pour savoir la chasser. Il était même sur l’autre versant de sa carrière et c’est peut être aussi pour cette raison que des jeunes chiens baraqués et autrichiens se permettaient de le regarder, parfois en loups de faïence d’un regard qui pouvait vouloir dire: “Encore là, vieux?” Qu’ils se rassurent, il n’en avait que pour une saison ou deux. Et ce n’était pas la naissance récente de ses deux jumeaux qui le ferait changer d’avis. Au contraire, il avait bien l’intention de skier avec eux deux un peu plus tard. De skier, de courir ou de nager… A cet instant précis, il n'y pensait pas. Il visualisait pour la trentième fois de la matinée cette descente que tout le monde s’accordait à penser de dingues… Il revit: de suite après le plongeon de départ, le grand gauche très serré, puis la combe toujours congelée de la Grande Bonnette, les S en dévers très ondulés du Grand Aigle, le premier grand saut de la forêt où il valait mieux rester sur la ligne gauche, avant le deuxième saut, la Bosse du Scaphandre, le seul endroit pendant lequel on pouvait souffler un peu et ainsi de suite jusqu’à la droite vertigineuse de l’arrivée… Cette fois, il en était certain, il ne pouvait rien lui arriver, ce matin, la peur, ce n’était pas encore ici qu’elle s’emparerait de lui.
Là, c’était à lui. Il s’approcha de la ligne, entra dans la minuscule cabine en bois chauffée d’une résistance électrique, salua les eux officiels d’un signe de tête, posa ses deux bâtons de l’autre côté du portillon, les planta du mieux possible dans la glace, se tendit de tous ses muscles, inspira dix bons litres d’air glacé et se jeta.
C’est dans le deuxième saut que tout s’est joué, dans le seul endroit où la longueur du vol permettait de se relâcher. Quand tout se passait bien, on avait pour une bonne demi seconde de paix, de tranquillité. Certains même, les plus aguerris , disaient qu'ils arrivaient à distinguer les visages de personnes connues parmi les spectateurs massés en dessous, le long des filets de sécurité mais, très peu, se risquaient à tenter de le faire. A cet instant, il a juste pensé à la photo de ses deux gamins, celle qu’il glissait à chaque course dans sa combinaison, du côté gauche de la poitrine, comme un talisman protecteur. Pendant le vol, il en est sorti. Il a revu l’image posée, ce matin, sur la table basse de la chambre de l'hôtel. Un moment, le téléphone a sonné, il s’est levé pour répondre. Et puis il est sorti après avoir raccroché. Il était en retard. Il n'a pas pris la photo de ses deux amours sur le verre de la table. Il aurait dû. C'est ce qui lui est venu en tête alors qu'il planait Son cœur s'est vidé... Juste avant la réception, il s'est ressaisi, il a réussi à évacuer de son cerveau toutes ces bêtises de superstitions, de grigris. Pas assez vite. Pas assez vite. Il a très mal atterri. Son ski gauche a mordu violemment la glace. De suite après, il a perdu son équilibre. La suite a été terrifiante. Dans le même temps, il a ressenti deux ou trois douleurs épouvantables. Il n'aurait pas su dire où. La dernière chose qu’il a vu, au travers d'un nuage de poudre blanche, c’est, diffus, le rouge intense des barrières de sécurité… Et puis, plus rien que le silence et une forme d'apaisement.
Désarticulé, dans la barquette, l’hélicoptère et son semi-coma, il espérait qu'il pourrait, au moins, remarcher avec eux.
Un jour.
Thollon Lac

05 janvier 2010

Fin de partie...

Le gaillard proche du double mètre et de cent vingt kilos de muscles, concentré sur ses chaussures à crampons vissés en alu, bardé d’élastoplast comme un rôti prêt à cuire, enduit jusqu'à luire, d'une pommade au camphre, assis sur un banc de vestiaire quelques minutes avant un match important du Top Douze, renâclait à ce qu’il entendait, en ce moment.
Il n’en pouvait plus des : "Vous allez me les défoncer et me la mixer menu cette bande de tapettes auvergnates, faisez m’en du hachis... Parmentier, je compte sur toi ! "ou les: "Poindan, les yeux, vise les yeux, Bon Dieu!", les: " Adam: Mord les!". Les: "Qu'est ce qu'on va tondre cet après midi? La tarlouze! On va la couper menu, on va leur montrer qui a les plus grosses sardines à ces tantines, on va leur faire rendre l’âme à ces fiottes, on va leur montrer ce que c’est que d’avoir des couilles et qui c'est qu'a les plus grosses…" Les: "Vous savez ce qu’ils disent dans votre dos ces pourritures ? Que vous posez dans un calendrier pour vous faire reluire, voilà ce qu’ils disent ces empaffés d’auvergnats, ces paysans, ces boeufs de montagne! Où vous allez leur marcher ?" Et les autres de hurler : "Dessus ! Où ça ? Dessus! Dessus quoi? La tête... Aïe aïe aïe!!!"
Tout ça était d'un goût... Et ça durait, ça durait dans ces instants d’une infinie finesse… Puis les gars, remontés comme des pendules se jetaient dessus les uns, les autres en se frappant les poitrines comme des gorilles en colère. Bref un joli tableau peint à la téstostérone mixée d’adrénaline… Il n’en pouvait plus, le joueur concentré. Il était resté assis à la fin de la causerie, il s’était contenté de faire tourner sa tête pour s'échauffer les cervicales. Et puis, il était resté là à s’efforcer de ne plus rien entendre. Il s’entrainait à ce que le flot d’ordure déversé reste à l’extérieur de lui et ne lui entre dans aucune oreille. Il y arrivait de mieux en mieux, du reste.
Lui, prostré dans son coin, il aurait préféré entendre parler de:
"Rigueur, concentration, discipline, défense, combat, on avance, on ne recule pas, ensemble, solides, solidaires", mais non, c’était encore l’ancienne école qui parlait, enfin qui éructait… Ces horreurs d’appels à la castagne, à la haine, à la violence.
Il lui avait pourtant demandé plusieurs fois de mesurer ses propos d’avant match, il lui avait demandé de bannir définitivement tout ce langage guerrier et insultant. Il lui avait demandé de ne plus se servir de cette imagerie dépassée et finalement imbécile. Il pensait qu’on pouvait parler de combat, de défense agressive sans forcément tout rapporter aux « burnes », ses tailles, sa virilité, sans tout raccourcir à une si stupide et si déplacée, histoire de glandes. Il lui avait dit qu’il ne voulait plus entendre ces torrents d’injures grossières mais c’était, sans doute, plus fort que lui, l’autre y revenait sans arrêt. En monnaie d'échange? Comme une habitude? Pour éloigner les "soupçons"? Par crainte?
Il lui avait dit, lorsqu’ils étaient au calme, dans l’immense loft mis à la disposition de l'entraineur par le club et dans lequel ils vivaient ensemble, en secret : « Que tu sois mon coach ne change rien à l’affaire, un jour je vais te quitter si tu persistes… » était-il même allé jusqu’à le menacer…
Ce soir là, avant de se lever pour sortir du vestiaire et s’engager dans le couloir qui mène au terrain, en fuyant le regard de l’entraineur qui le cherchait des yeux, le gaillard de près de deux mètres et de cent vingt kilos de muscles s’était dit, tristement :
« Cette fois, c’est trop, je finis ce match et j’arrête... je le quitte. »
Dormir 1

02 janvier 2010

Une soirée d’enfer…

Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices (l'arrivée imminente de deux mille dix?). Chacun y avait mis du sien. Au tout début, tous avaient, déjà, accepté le principe général et ça, rien que ça, était une avancée. Ce simple évènement n’était pas gagné d’avance… Ils auraient été très peu à parier sur la réussite de l’entreprise. On savait bien que les haines les plus tenaces c’est au cœur même des familles qu’elles se terrent. Les gens se connaissaient trop bien… Les amours profondes ne sont qu'à un geste ou une parole des plus féroces rancunes. Il y a une feuille de papier à cigarette entre l'adoration et le massacre. Il suffisait d'ouvrir les bouquins d'histoire ou même les journaux pour le confirmer tous les jours...
Elle, voilà déjà une année entière qu’elle essayait de rendre cette réunion possible, une année de tractations, de négociations, un an complet qu’elle étalait du baume du tigre sur les blessures et qu'elle essayait en massant de réduire la taille des cicatrices.
Et là, cette fois, nous y étions, enfin…
Elle avait bossé toute la journée pour décorer la maison, préparer le repas… Dites hé bien sûr que je lui avais filé un coup de main, vous me prenez pour qui ? Elle avait levé le pouce vers les cinq heures et s’était fait couler un bain chaud. Elle s’était accordé une heure au calme, avec des bougies allumées sur le rebord de la baignoire comme elle avait lu dans ce magazine un peu gnan gnan pour les jeunes filles modernes…(Magazine qui soit dit en passant n'avait pas entendu parler ni de Copenhague, ni d'économies d'eau potable...) Quoi, moi ? J’ai continué, en bas, à surveiller, voir si tout se passait bien en cuisine mais surtout dans le four et ensuite, j’ai pris une douche, vite fait… En toute fin, en les attendant, sagement installés dans les canapés, (pas ceux au saumon, ne faites pas les malins…), on a descendu gentiment quelques flutes, dans l’encore calme de la baraque. On a même sifflé une bouteille entière, si vous voulez savoir! On s’est rappelé en s'amusant que le dernier repas qu’on avait pris tous ensemble datait quand même du changement de millénaire… Une paille… C’est dire si la brouille avait été épaisse. Il faut dire que le chalet qu’on avait loué, ce soir là, gardait encore aujourd'hui, des traces de cette maudite soirée… Ce début d’incendie sur la façade… Cette vague noirceur aux abords du toit… Ces deux arbres morts dans un jardin dévasté... Finalement, dix ans après on en était venu à sourire. Mais ça resterait entre nous, pas question d’en parler ce soir. Pas question de réveiller les vieux démons, pas question d'attiser les vieilles braises…
Ils étaient tous bien arrivés aux heures à peu près annoncées, aucun n’avait décidé de mettre le bazar avec des horaires improvisés et fantaisistes. Ça faisait UNE année qu’elle se préparait cette fête. Ça n’avait pas été facile à organiser, j’ai autant aimé le dire, de suite...
Comme on pouvait malheureusement le craindre un petit peu, la hache de guerre est vite sortie de dessous la pelouse et le calumet a plongé dans le trou ainsi ouvert! En vrai, les armes se sont mises à causer dès l’ouverture de la porte : L’une a dit, faussement admirative, vaguement moqueuse, dans sa moustache mal épilée: « Une jolie tenue de soirée, en plus… » il a été entendu : « Elle l’a sortie des surplus d’Emmaus… » Et voilà, l’ambiance fût d’un coup, aussi plombée qu’une incisive noircie… Plus rien de ce qui était entendu ne l’était comme c’était dit et la méfiance avait viré avec grand fracas la bienveillance de la pièce et même de l’appartement. Il se dit que l’immeuble entier en a été touché. Quand l’autre couillon après avoir trempé ses lèvres dans la flute m’avait demandé dans un vilain rictus si, par ici, la mode était au champagne chaud, j’avais failli lui envoyer le magnum dans la figure et puis je m’étais dit que je ne le ferai que quand il serait vide… Son: "J'plaisante!" juste derrière ne m'avait fait sourire qu'à minima. Il faisait partie, ce galeux invité, de cette cohorte assez nombreuse de hyènes qui vous envoient un méchant coup de serpe aux jugulaires et tout de suite après le modèrent d'un: " Je rigole!" qu'ils souhaiteraient apaisant... Chiens que vous êtes, aucun pardon possible, le mal EST fait!
J’avais servi les autres flutes sans en ajouter davantage mais en serrant bien fort les deux mâchoires l'une contre l'autre. Autant pour me taire que pour me calmer…
Dans la pièce désormais sous haute tension, le silence était de plomb et les sourires crispés. Il n’y avait que nous deux qui rigolions bien franchement… On avait pris un peu d’avance dans le vidage des coupes… Au bout d’une demi-heure, bizarement, alors que l'ambiance était polaire, la température avait monté de plusieurs thermomètres… Et les vérités bonnes à taire ont commencé à voleter dans le séjour… Au début ça faisait des petits bruits doucets quand elles tombaient sur la tête de l’un ou l’autre. Un peu comme des fientes de pigeons vous atterrissent sur les épaules à la sortie des églises et font sourire les voisins... Et puis ça s’est mis à faire un boucan de tous les diables. Chacun en prenait pour son grade… Il faut comprendre aussi : personne ne s’était parlé pendant ces dix années… Forcément, la rancune, ça s’accumule… Alors, quand, soudain, le barrage cède, tout fiche le camp. Et c'est la bienséance qui est emportée en premier, vous pouvez me croire…
C’est quand l’autre gros crétin de Robert, un futur ex-beau frère, mais qui ne le savait pas encore, plombier, mari de Jeanine, cette imbécile de cousine, méchante comme une armée de teignes, a éclaté avec un marteau la baie vitrée du four pour en sortir la dinde et faire mine de la balancer sur cet idiot de Paul que ça a commencé à dégénérer pour de bon… Tout le monde s'est mis à hurler. Paul a tiré sur la nappe pour s'en faire une toge, que son costume ne soit pas tâché, Jeanine était agrippée, d'une main aux faux cheveux du Robert de l'autre à un de ses deux yeux et lui hurlait de lâcher la dinde..." On ne touche pas à la nourriture, on ne joue pas avec les dindes! (pathétique!). Josiane, elle, après avoir arraché les guirlandes autour du Nordmann, s'en prenait à ses boules. Elle les détachait une à une et visait chaque tête qui passait à sa main. Elle était habile, la mauvaise... Les quelques enfants qui étaient là avant de s'y mettre, eux aussi en trépignant et sautant sur place, regardaient le spectacle affligeant de ces adultes arriérés, un tantinet médusés. Bref, je vous laisse imaginer le tableau... Jamais convive n'avait si bien porté son nom... Un enfer sur terre, au quatrième... Ce n'est que bien plus tard, dans leurs voitures, en constatant leurs ecchymoses, qu'ils se sont dit: "On ne leur a même pas souhaité une bonne année, à tous ces cons..."
Une seule information, au milieu de cette générale mêlée, humains que nous étions, pour ce qui était de la haine et de la bêtise, personne n'avait trop vieilli en dix ans... Pour l'intelligence, la bienveillance et la paix, il nous faudra encore attendre, un peu. 
Un millénaire ou deux...

Billes rouges 3

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