28 juillet 2021

Celui là

 Celui là, nom d’un covid, il était si  beau que je ne l’ai même pas vu venir.

En cette fin d’après midi, les épaules alourdies, le corps entier harassé par la chaleur, qui avait pesé depuis le tout début du matin naissant, fatigué, transpirant, j’avais enfourché mon terrible engin et j’avais pris la direction de la ville la plus proche. Une ville plutôt touristique où je savais qu’en cette période les terrasses étaient accueillantes et que j'y verrais du monde. C’est ce dont j’avais besoin: Me poser, bien à l'abri de la grosse lampe, m’asseoir en terrasse et regarder les gens passer. Ne rien faire d'autre que me raconter des histoires à leur propos, m’inventer des films, en gros me changer les idées. J’avais mes habitudes. Une terrasse à l’ombre d’une collégiale. Je m'avachis sur un fauteuil en rotin, de préférence au pied de cette façade de bar connue dans le monde entier grâce à une simple photo en noir et blanc, je commande une eau gazeuse tranche sans glace pour me faire bien voir de ma diététicienne chérie (si jamais elle passait devant le café) et je regarde déambuler. Je m'invente les vies des passants qui passent, j'autopsie, je dissèque, je spécule, j'essaie de mesurer la quantité d'eau qu'il y a dans le gaz des couples, l'eau de boudin faisant très souvent place aux hilarants des débuts, je cherche à savoir qui à la main, qui est en train de la perdre, qui l'a déjà perdue, qui précède, qui suit, qui dirige, qui se soumet, qui des deux est en souffrance, qui des deux vit dans l'ennui,  qui, tout en étant là,  n'est déjà plus avec l'autre... J'essaie de prédire leur espérance de vie ensemble, la  durée de leur existence commune, de leur association comme on parle d'une association de malfaiteurs... Ma longue et désastreuse expérience de ces emballements enthousiastes qui deviennent des liens tumulteux, puis des frictions fracassantes me parle et me dicte les avis émis. Parfois je vois clair, je devine, je mettrais une main à couper et d'autres fois  je ne sens rien. Ils ne me disent rien. Du reste ils ne se disent rien non plus, le silence s'est installé entre eux comme un poison mortel. Ce ne sont pas les plus heureux.

Après trois ou quatre gorgées, je ne sais plus, ils sont arrivés par la droite, ils allaient vers la boulangerie. J’ai vaguement vu les deux premiers c’est la troisième qui m’a attiré le regard. Comme ils étaient déjà passé, je l’ai vue de dos. Elle n'avait pas plus de cinq six ans, des cheveux châtains longs raides en presque liberté vaguement domptés par un élastique de bazar blanc, un tee shirt clair,  un pantalon large dans un tissu de bayadère coloré comme un été espagnol dont le bas balayait le sol en soulevant la poussière du bitume ce dont elle semblait se foutre comme de l’an quarante. En bout de ligne, elle portait à ses pieds de petite fille une paire de sandales de cuir blanc aux boucles détachées. Elle avait une démarche aérienne et semblait ne pas toucher le sol de ses sandales et ne regardait rien autour d'elle. Elle semblait danser au son d'une musique qu'elle seule entendait. Elle suivait à quelques pas un couple de jeunes gens qui se donnaient la main dont l'homme pilotait une poussette dans laquelle était assise un petit garçon bien plus jeune que la fillette. Ils avançaient d’un pas de touristes en posant leurs yeux un peu partout sur les choses à voir devant eux.  Ils ne s’occupaient pas de ce qui pouvait se passer derrière eux. Et derrière eux suivait cette princesse qui avait l'air d'être dans son monde, un autre que le notre.

Ils m’ont dépassé et une fois qu’ils se sont un peu éloignés, la petite fille s’est retournée vers moi comme si elle avait senti que je la regardais. Alors dans un geste d’une élégance folle elle m’a envoyé un sourire irradiant en me faisant un petit signe de la main. J’étais baba mais je lui ai rendu et son signe et son sourire. Et puis elle a tourné la tête. Je les ai suivis du regard. Ils sont allés jusqu’au coin de la rue et puis ils ont fait demi-tour.  Ils sont repassés devant moi et m’ont à nouveau dépassé.

Alors, cette fois, avec son petit geste de la main et un second sourire à vous réconcilier avec les plus imbéciles représentants de l’espèce humaine, elle m’a envoyé à haute voix en insistant bien sur le "re" : "Et re coucou!"

Et ce re coucou là, si spontané, avenant, amical, je ne l’ai pas vu venir. Il m'a diastolé le coeur. Et la tête. Et la tête.

Il fallait s'en convaincre, c’est peut-être le sourire enjoué des petites filles qui sauvera le monde.




22 juillet 2021

Dehors

Bien sûr, il y eut ces douces soirées s’éternisant, bien aidés par les robes claires de vins frais…

Bien sûr, il y eut ces instants de partage sous le silence infini des étoiles tremblantes…
Evidemment, nous nous sommes étonnés de ces chaleurs étouffantes et nos pas plombés nous ont portés, le soir, vers des eaux espiègles, galopantes et fraîches…
Oui, nous y avons passé de jolies soirées dans les salles de spectacles de cette ville en fête dont certaines sous un ciel de pépites... Je pense à tous les mirages de ce cirque sous la lune…
Oui, avec les amis de passage, il y a eu quelques débuts de nuit peu sages, seul, le vide éparpillé des bouteilles permet encore de s’en souvenir…
Bien sûr, je t'ai aperçue deux ou trois fois de dos dans le magma d'une foule assise à une terrasse ou dans le reflet opaque d'une vitrine mais... ce n'était pas toi...
Oui, oui, il nous est arrivé de nous endormir dans le creux accueillant d’un hamac multicolore et surtout doux et parfois même en dehors des heures légales de sieste…
Oui, nous avons bu des apéritifs au sortir des petits déjeuners, juste en secouant les nappes et débarrassant les bols…
Bien sûr, il y eut ces bains interminables dans des piscines nouvelles endimanchées par les ferveurs des capucines...
Bien sûr, nous avons mangé des poissons grillés … plus que de raison … entre boire et mal cuire nous avions choisi…
Oui, nous sommes allés nous asseoir aux couchants, face au paysage pyromane en train de se foutre en feu, alors, c’est aussi dans nos yeux et nos âmes qu’il était l’incendie à éteindre…
Oui, nous avons parlé fort autour de certaines donnes de cartes devant l’insolente chance des uns et la terrible déveine des autres, la roublardise maudite des uns, la maladresse insigne des autres…
Oui, oui, nous avons parfois pleuré devant des animaux aplatis le long des routes empruntées…
Oui, nous nous sommes repus de salades estivales dans des bouges de travers à des heures impossibles…

Et oui nous nous sommes endormis sous les trajets lumineux des satellites croisant parmi les étoiles…
Bien sûr, nous avons croisé le sillage de beaux humains et navigué dans les eaux de belles humaines ce qui nous a même fait dire qu'il suffirait de pas grand chose pour qu'on s'en sorte, enfin...
Oui, nous avons dormi la nuque en vrac sur des plages bondées, cuisant à l'implacable chalumeau d’un soleil d’enfer…
Bien sûr, nous nous sommes trempés les pieds, les chevilles et les jambes dans des fraîcheurs entrevues à l’ombre noire des sous-bois de rencontre…
Evidemment, nous avons pesté contre tous ces autres, qui avaient le tort d'être là, au même endroit que nous, au moment où nous y venions….
Evidemment, j’ai souvent pensé à ce que tu pouvais faire à l’instant même où je faisais quelque chose que d’ordinaire il nous arrivait de faire ensemble…
Oui, nous avons perdu du temps à l’ombre de grands arbres sur des places animées à parler de tout, surtout de rien, enfin juste à parler et même s’y taire… Il arrive qu’en ne se disant rien de très profond, on s’en dise un peu quand même… Et que la légèreté, en fin de compte, pèse son poids…
Oui, nous avons eu des envies de valises pour des bouts de monde de préférence inconnus mais finalement pourquoi partir ailleurs alors qu’on peut être aussi mal en restant ici ?
Evidemment, durant ces jours, nous avons prononcé davantage de bêtises que de phrases impérissables...
Bien sûr, nous nous sommes dit qu’on ne nous y prendrait plus et que les prochaines seraient différentes, qu’il fallait nous croire sur parole… 

Sur paroles de vent...

Et puis, il nous a fallu rentrer. Rentrer dans le rang de l’âge, forcés par le temps.

Enfin ce sont nos corps qui s’en sont chargé parce que nos cœurs, eux, y sont bien restés, dehors.




20 juillet 2021

La ratatouille, la vraie

Préambule obligé pour que les choses soient bien claires :

Une vraie ratatouille est aussi longue à préparer qu’elle est prompte à être engloutie.

Une vraie ratatouille n’est pas une escouade de n’importe quels légumes d’été cuits  ensemble, en même temps dans un même faitout. (Heu toi qui est si malin explique un peu comment on pourrait  les cuire ensemble mais pas en en même temps...)

Une vraie ratatouille n’est pas une brouche informe de légumes marinés dans l’huile d’olive. Ne cherche pas ce qu'est une brouche, je l'ai inventée. Un mélange de brouet et de bouche?

Une vraie ratatouille est presque meilleure froide que chaude.

Une vraie ratatouille se mange aussi le lendemain et les jours d'après si on en a préparé une grosse quantité.

On ne s’absente pas pendant la cuisson d’une vraie ratatouille. On reste sur le pont. Concentré. Vigilant. On n'a rien à faire d'autre de plus important qu'elle.

Voilà, c'est dit.


On prend un oignon, (Bien sur qu’on le pèle l’oignon…), de l’ail un poivron rouge, on coupe tout ça en petits dés et on fait revenir dans une poêle avec un soupçon d’huile d’olive. Quand c’est prêt on met de côté. 

Dans la même poêle désormais vide, on peut ne pas la laver, on jette les courgettes coupées en petits dés, elles aussi avec un peu de thym et quand elles sont presque cuites on les met de côté. On peut y ajouter quelques petits dés de pommes de terre nouvelles.

On refait la même opération avec les aubergines ET les tomates dans la même poêle. Pelées, les tomates. À ce propos il existe désormais un éplucheur de tomates qui est valable aussi pour les pêches, enfin les fruits à peau fine, et qui fonctionne très bien, plus besoin de s'ébouillanter les doigts... Le jus des tomates va imprégner les aubergines et ainsi nécessiter moins d’huile d’olive. Et bim le bedon. 

On y ajoute du thym, une feuille de laurier.

Ensuite et seulement ensuite, quand tout est presque cuit, on siffle un grand coup et on rassemble tout ce joli monde, on les mélange délicatement dans un plat qu’on enfourne couvert pour terminer la cuisson et un peu assècher le plat.

Sel, poivre. On peut ajouter des olives mais alors celles de Nice, les petites. On surveille la cuisson. Au fond, il est là le grand secret de la cuisine, c'est un peu comme l'amour il faut être présent à ce qu'on fait.

En veillant, on peut s'autoriser à boire un ou deux verres de blanc frais pour ne pas attraper la chaleur et vaincre l'impatience.

Quand c’est bien cuit et donc ni brûlé, ni baigné dans le jus des légumes on sort le plat du four et alors là seulement là on peut être fier de soi, on vient de réaliser une vraie ratatouille.

On peut esquisser quelques pas de mambo dans la cuisine bien aidé par le troisième verre de blanc en chantant : "C’est moi qui l'a faite. C’est moi qui l’a faite."

Uniquement si c'est bien vous qui l'avez faite. 

Il va de soi que si jamais c'était Jean Claude qui s'y était collé vous chanteriez sur le même air enjoué et triomphant:

" C'est Jean Claude l'a faite. C'est Jean Claude l'a faite."




Ratatouille dite de MarieLu

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