15 octobre 2018

Un soir de début d'automne


                              Alors que le premier feu de la saison ronronne, en passant près de la fenêtre, je vois au dehors, un fin croissant de lune montante, claire dans un coin du ciel gelé de ce début de nuit limpide. Là-bas, au village, une demie d’heure qui sonne.
Une étoile s’allume tout près du croissant. Au loin, vers l’Ouest, l’horizon rougit encore de ses tous derniers rouges. Un ciel rouge qui danse et cette intensité étonne. 
Le noir, comme une escouade de chats de gouttières s’empare des tuiles des toits. Il s’installe comme une pâte liquide au fond d’un plat, qui s’insinue sur le métal et s’emprisonne. Puis il règne. En maître. Autour de la virgule lumineuse, un concert d’étoiles est désormais visible à notre œil nu. Elles toutes scintillent dans le froid qui frappe à la vitre. Le vent, lui marmonne. 
Une pie s’envole et se pose près d’une fumée fumante de ce début d’automne.
C’est que dans les maisons, on a allumé les feux alors que dehors le froid s’impose, les rafales marmonnent.
La voix hésitante, qui parfois détonne, chargée d’émotion d’une chanteuse envahit la pièce. C’est un concert enregistré en public à Montreux en mille neuf cent soixante seize. Il y a une vie. Un condensé de tristesse pure qui s’abandonne. Une solitude qui s’époumone. Cette nuit là, une femme tempête, intime, pleure et ordonne, un piano entre les doigts comme une piéta, une Madonne.
Là-bas, blanche, en volutes, déterminée, comme le vent d'un coup cale, la fumée monte au ciel droite comme une colonne. Un signe adressé à plus haut?
La fatigue, maintenant, nous pèse sur les épaules. Un soir en pays neutre, une raison vacille et déraisonne. Nous frissonnons toujours, mais c’est, désormais davantage que le froid. Notre joie profonde,  si déplacée.  
Qu’avec le temps, elle pardonne.
Je regarde au dehors, au-dessus de la maison, du jardin, du quartier, de la ville, des hommes.
Dans le noir de la nuit, parmi les milliards de scintillements je me dis que j’aimerais savoir qu’une étoile Nina, s’y nomme. 





13 octobre 2018

Un p'tit bilan des deux tiers.

Au moment des grands virages, des épingles à cheveux, celui des changements de cap, des arrivées au refuge, des pauses pipis, on peut prendre le temps d’un vague examen du parcours avant d’entamer la suite. Celui de regarder dans le rétro, voir le chemin parcouru, comme une sorte de bilan provisoire, un ptit bilan des deux tiers dira-ton. 
Avec un peu de chance, désormais il n’en reste plus qu’un à vivre: 
Je suis divorcé, officiellement, administrativement, judiciairement depuis vingt six ans en vrai depuis trente, je vis seul. J'ai des acouphènes. J’ai deux enfants merveilleux, deux petits enfants pareils, un troisième qui s’annonce. Aucune chimiothérapie subie pour l’instant,  aucune trace suspecte sur aucun des deux poumons, ni ailleurs.
Je n’ai toujours pas de prothèse ni à aucune des deux hanches, ni à aucun des genoux. J’ai, encore, toute ma prostate. J’aime boire un verre de temps en temps mais je ne suis pas alcoolique.  J’aime l’eau minérale gazéifiée type Vals, Badoit mais pas trop  Perrier dont je trouve les bulles agressives. J'ai des acouphènes. Je n’ai plus de cheveux sur le dessus du caillou, une grandissante clairière les remplace, moi qui les ai si longtemps portés longs. J’aimais beaucoup cette sensation du vent et de la main, pas seulement une des miennes, qu’on passe dedans. Quand ils ont commencé à foutre le camp, j’ai tout coupé, court à la Jean Marc Barr dans le Grand bleu. À dire vrai, j'ai un peu espéré mais je n'ai eu que la même coupe,  rien du reste. Le pire avec un défaut c’est d’essayer de le cacher, ainsi, je n'ai jamais porté de talonnettes. J’ai un bon gros paquet de kilos en trop. J’ai arrêté de fumer depuis plus de dix ans maintenant. Il arrive qu’à certains moments, j’en ai encore envie. Si j’ai du mal à perdre, c’est que suis gourmand. Salé davantage que sucré mais je ne suis pas trop regardant, dès l’instant où c’est bon. Je ne porte jamais de montre ni de bijoux. Je n’ai ni tatouage, ni percing. Les acouphènes me pourrissent parfois la journée. Je n’ai jamais mangé dans un restaurant gastronomique renommé. Je me suis promis d’aller un jour passer un week end ou deux jours chez Bras à Laguiole. Je ne suis allé ni à Papeete, ni à Berlin, ni à Novossibirsk… Il vaudrait mieux que je dresse la liste des endroits où je suis allé, elle serait moins longue. J’aurais aimé être comédien. Je l’ai été, un peu, à ma façon pendant quarante ans à tenter de vendre des trucs à pas mal de gens qui n’en voulaient pas. J’aime le cinéma, le théâtre, les spectacles vivants. Je commence à recevoir dans ma boite mail des pubs pour des montes escaliers électriques ou des obsèques réussies.
Si je suis tombé amoureux assez souvent, j’ai aimé quatre fois et autant que je puisse être juge, j’écrirais que j’ai été aimé deux peut-être trois. Sur les deux ou trois, l’ai-je été pour moi-même ou pour d’autres obscures et inconscientes raisons, qui peut dire ? Qui peut avec une certitude définitive répondre à ça ? Je suis allé voir quelqu’un pendant des années. On me doit quelques voyages,  un agrandissement de maison ou une piscine, au choix.
Je suis sensible. Assez ? Trop ?
J’aime qu’on m’aime même si je trouve ça étonnant. Ça m’émeut. Je suis contre les acouphènes.
J’aime arriver, j’aime pas partir. J’aime quand les gens arrivent, je n’aime pas quand ils partent. Je n’aime pas jeter, ni passer les éponges.
J’ai perdu plein d’amis, un divorce ça crée du débarras, je m’en suis fait d’autres qui ne savent rien de ma jeunesse. J’en ai gardé certains, peu. De toutes façons les vrais amis ne se comptent que sur les phalanges d’un seul doigt d’une seule main. J'ai pu, je peux, je pourrai me comporter comme un abruti. Je le sais, il me faut faire avec.
Les quatre femmes que j’ai aimées étaient belles comme des avions, si on a un penchant pour l’aviation, comme des locomotives si c’est le train qui intéresse. Elles étaient vraiment jolies. Elles le sont sans doute encore mais je parle du moment où je les ai aimées. Je n’ai eu des enfants qu’avec une. 
Je suis saisi par un beau paysage, une belle vue, un horizon lointain mais également par le cloître d’une abbaye avec un penchant pour les cisterciennes ou une nef vaste comme un océan. Groggy devant un couchant somptueux ou un ciel de traîne, un orage tempétueux, une forêt d’automne et d’autres trucs qui font se sentir vivant. Il faut que je me débarrasse de ces acouphènes.
Je n’aime pas trop les gens quand ils sont nombreux, en groupes, en foules, en assistances, en publics, en queues, en hordes, en bouchons, en files, en audience, en salles… Je les préfère en tête à tête, en silences, en intimité. Je n’ai ni la fibre du commerce, ni celle de l’argent mais j’aimerais être riche à ne pas compter. Je suis nul en conflits et pas très fort en compétition. La peur de perdre? Je n'aime pas perdre.
Je suis curieux. Pas tant des autres que de ce qu’ils vivent. J’oublie les dates, les prénoms mais pas les visages, ni les histoires. J’aime rire, sourire, je suis mauvais à l’oral. J'ai un côté Miss France. Je pleure au cinéma. Comme douze millions deux cent vingt sept mille personnes dans ce pays, j’ai écrit. Deux livres. Un qui ne sera jamais publié, un autre qui sortira bientôt. Faire des enfants écrire un livre, une vie réussie, non ? Et pourtant, j’ai encore quelques trucs à faire. J'en ai marre de ces putains d'acouphènes.
J’avais un boulot que j’ai gardé quarante ans. Je suis désormais sur la voie de garage et ça ne se fait pas dans la douceur et l’accompagnement. J’ai été rayé des cadres. Aussi, je trouve que cette mise à l’écart que j’ai, pourtant attendue, voulue, désirée, demandée est somme toute d’une  violence brutale. Et ce temps qui est passé si vite. Ces deux tiers qui ont filé à si folle allure… 

Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie, 
et l'aimer même si le temps est assassin 
et emporte avec lui les rires des enfants 
et les mistrals gagnants et les mistrals gagnants


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