27 mars 2021

Leurs deux prénoms

Ils étaient nés au siècle d’avant, la même année. Leurs deux prénoms disaient leur âge.

Entre eux, ils ne s’appelaient que par eux. Tout au long de leur si longue vie commune, ils ne s'étaient jamais affublés de surnoms tendrement stupides. L'infinie tendresse qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre n'était jamais passée par ces artifices. Au début, ils avaient même un temps songé à continuer de se vouvoyer et puis, ils avaient renoncé. Ce n'était pas de leur classe. Pour les autres, ils se disaient compagnons... comme ils aimaient à le penser depuis bien longtemps. Eux deux, seuls.

Ils n'avaient pas, non plus souhaité avoir d'enfant. Le notre, si l'on veut vraiment en avoir un, sera notre amour s'étaient-ils dit au tout début de leur voyage commun. C'est que ça demande une attention particulière si on veut éviter qu'il se dilue dans le temps, qu’il s’effiloche, qu’il s’étiole... Et comme on a l'intention de rester ensemble jusqu'au bout du bout... Mais bien sûr, mais bien sûr... murmuraient les autres dans leur dos en pensant à mal. Et puis, les autres s'étaient séparés ou étaient morts alors qu'eux se mélangeaient encore les doigts. Ils se regardaient toujours émerveillés comme on regarde une pile de verres en cristal posée dans le souffle du vent.

Ils ne faisaient rien l'un sans l'autre. Ou alors parfois une séparation de quelques heures pour frissonner, pour éprouver le manque, la peur d'être sans, l'inquiétude... Ils avaient passé leurs vies à bâtir ce miracle comme on construit un mur de pierres sèches. Il faut d'abord les arracher à la terre, puis les façonner, puis les assembler, entre elles, qu’elles tiennent, sans colle. Leur amour c'était ça : un mur de restanque en pierres érigé comme une passerelle entre eux et le monde.

Des deux, c'était elle la femme forte, la poigne, la main. Enfin c'est ce qu'ils donnaient à voir. Lui se glissait bien dans le personnage du mené par le bout du nez. Lui, répétait à qui voulait l'entendre que pour tout ça il faut s'adresser à elle, c'est elle qui sait, c'est elle qui s'occupe de ça, c'est elle qui décide. « Voyez la patronne ». De cette façon, il avait la paix. On ne l'embêtait pas avec les contingences, les paperasses, les comptes, les obligations, le devoir. 

     À propos de tout ça, on ne lui demandait rien. On savait qu'il ne saurait pas.

En vrai, quand ils s'étaient réparti les tâches, elle lui avait laissé le futile, le surprenant, l'incongru, le sel, quoi. Ils s'en étaient accommodés. Ils en avaient même rajouté pour l'extérieur, pour la galerie.

Ainsi quand ils travaillaient, ils avaient ensemble tenu une boutique de vaisselle et droguerie en haut de la rue. Elle tenait les comptes et la vente et lui s'occupait des relations publiques et de la manutention. Pour les relations publiques, son boulot était d'aller descendre un canon avec les fournisseurs, les représentants ou même les clients. Le soir, il rangeait la vitrine et descendait les rideaux de fer. Quand il lui arrivait de casser une coupe de fruits en pâte de verre, elle caressait bienveillante : « Il n'y a que ceux qui ne font rien à qui il n'arrive rien ! » Pendant qu'il préparait la boutique pour le lendemain, elle, debout contre la caisse, elle s'allumait une celtique et en la gardant au coin des lèvres, elle faisait les comptes de la journée en l'encourageant quand ça devenait lourd.

Ils vivaient dans l'arrière boutique, deux pièces sombres comme un cœur de cendrillon qui tremblaient de tous leurs meubles à chaque passage du métro sous leurs oreillers.

Puis les années ont passé. Ils ont fini par vendre le commerce et l'arrière boutique quand il n'a plus pu manipuler le lourd à cause de son dos. Ils n'avaient cotisé à rien, alors ils ont parié de vivre sur l'argent de la vente bien entamé après l'achat d'un studio en ville. Ce qui leur importait c'était de rester ensemble.

Désormais, leur vie tenait en peu de chose.

On se débrouille sans rien demander à personne se disaient-ils. Le monde a assez à faire pour n'avoir pas à s'occuper de nous. On ne veut rien de personne puisqu'on a tout ce qu'il nous faut. Nous. On est encore ensemble après toutes ces années, notre vie on l'a réussie là.

Pour les voir, ce n'était pas très difficile. Ils allaient au grand marché du Boulevard le samedi matin et parfois le mercredi, mais il ne fallait pas y venir de bonne heure. Ces jours là, ils s'habillaient comme en dimanche, se faisaient beaux, présentables, précisaient-ils. Ils avaient la matinée pour ça. Ils se sentaient aussi plus dignes.

Parce qu'eux le finissaient plutôt, le marché. À force, les commerçants avaient fini par les reconnaître et leur mettaient de côté ce qu'ils ne pouvaient pas vendre, ce qu'ils auraient jeté. S'ils préparaient une cagette pour eux deux, ils auraient pu le faire pour des tas d'autres.

Oui, parce que nous vivions désormais dans une saloperie de monde où deux, comme on dit, petits vieux qui avaient travaillé toute une entière vie avaient à peine de quoi survivre et étaient obligés de fouiller dans le reste de nos poubelles pour se nourrir...

Puis ils rentraient, épuisés, honteux, leurs cabas presque pleins à bout de bras avec de quoi faire en légumes pour quelques jours.

Célestine est morte en Juin. De chagrin. Quelques semaines après le départ de Gaston. Un matin, il ne s'est pas réveillé. C'était fini pour lui. Du jour où il est comme on dit: parti, elle a tenté de lui survivre puis elle s'est étiolée comme une plante sans tuteur. À quatre vingt seize ans. On les a retrouvés allongés côte à côte sur leur lit. Comme ils s'étaient vidés de leur amour, leurs corps étaient presque secs. Ils étaient restés ensemble toute une vie. Ils allaient le rester pour l'éternité. Si ça n'était pas un bel amour...

Désormais, seuls, leurs deux prénoms disaient leur âge... 

22 mars 2021

Pique et pique et

 Après un épisode longuement douloureux et, pour tout dire assez emmerdant, dû à une hernie discale dont, je ne m’étais, finalement pas si mal sorti, puisque j’avais évité l’opération chirurgicale et, donc, les anesthésies hasardeuses, les maladies nosocomiales, les réveils improbables, les erreurs toujours possibles d’un chirurgien sous burn out, j'étais, enfin, redevenu, presque, moi-même. Ainsi, semblant réparé, du moins dans les grandes fonctions, je me remettais à courir comme un lapin dératé. Ça tombait bien, dans certains endroits, on en fêtait, ces jours-ci, la toute nouvelle année ! 

J’étais alors, tout entier à la joie de ma jeunesse (rigole !) reconquise, de mes forces nouvelles retrouvées ! Nom de Dieu de Nom de Dieu, le printemps qui allait bientôt pointer son joli museau rose n’allait pas en croire ses oreilles… (oui, de lapin, si tu veux !). Il allait voir ce qu’il allait voir ! Tout à cet état d’esprit sanguin, mais d’un sang plus que neuf,  un bon cent dix, je grimpai, cinq à cinq, les marches de l’escalier ce qui, hier encore, m'était un épouvantable chemin de croix à vingt six stations, quand, d’un coup, la pointe acérée d’une sagaie Peul d’apparat s’est fichée, pile, profond entre L4 et L5. Oui, là, dans le cœur même du disque, au nœud de la protusion! 

Ô gazelle foudroyée en vol par les griffes  acérées d’un guépard agacé... 

Ô vol planant d’une buse  perforée par une flèche au curare empoisonnée... 

Ô course affolée d'un lapereau rattrapée par la griffe acérée d'un chat affamé... 

En quatre. J’étais plié en quatre et, au beau milieu des marches, des larmes de rage et d’impuissance me sont montées à tous les yeux. Je n’ai plus bougé pendant un long moment. Je me suis joué un film où il était question de fauteuil, à roues, de handisport, de ces merveilleux sièges montant les étages, de véhicules aménagés, à moi les places bleues  du parking Ikéa, à moi les cartes GIC, à moi les premiers rangs dans les concerts... Mais finies les salles trois et quatre de l'Utopia d'Avignon et quelques autres endroits dont j'ai renoncé à dresser la liste... La douleur violente un tantinet apaisée, je me suis demandé si je devais, maintenant, monter ou descendre. Poursuivre ma route ou revenir en arrière, avancer ou reculer. Si je montais, j’aurais à redescendre pour ouvrir aux secours, si je descendais, n’allais-je pas, en plus dévaler les quelques marches qui me séparaient du canapé et risquer la fracture d’un membre ? Remarque, au point où j’en étais autant que le samu se déplace pour du solide. Si l'on peut dire... Disons du solide qui casse...

J’ai en finale, choisi de monter pour aller m’allonger sur le lit. Je ne l’ai pas atteint. Enfin si, j’y suis arrivé mais seulement à ses pieds. Je n’ai pas réussi à y grimper dessus. Je suis resté couché, en boule, sur le tapis. C'est ainsi que l'’année du lapin, qu’on célébrait hier encore, devint en vrai, l’année du chien de fusil. J’ai réussi à trouver une position qui ne me faisait pas souffrir. Je me suis dit que je n’allais plus en bouger. Jamais. De ma vie. On allait, dans un siècle ou deux me retrouver momifié sur le tapis de ma chambre, recroquevillé comme une vieille chose informe...

Après une heure ou deux, j’ai quand même envisagé d’appeler à l'aide J’avais, dans mes contacts une armée d’ostéopathes, d’acupuncteurs, de chiropracteurs, de phytothérapeutes, de kinésithérapeutes, de chamanes, de tripoteurs aux mains d'or, de guérisseurs, de gourous, d’imposeurs de mains, de masseurs chinois, thaïlandais, indiens,  bantous, des qui travaillaient selon des méthodes toujours ancestrales, évidemment, avec des pierres de lave du Stromboli, des fleurs de Brahms, des rameaux de la Brie, des badines  en bambous  du Bénin, des poussières de roches du Tibet, des poudres d’insectes séchés… J'avais même le zéro six perso de Corine Monbrun, c'est dire! Tout l'annuaire parfait, du magasin parfait: À la clinique des dos brisés.

J’ai opté, cette fois, pour un acupuncteur que je ne connaissais pas encore, hé oui, il me fallait attendre d’avoir le dos en deux pour aller consulter, dont on m’avait donné l’adresse lors d’un diner, en me disant que lui, soignait tellement bien qu'une fois soulagé, on regrettait même, de ne plus avoir mal… C’est dire!

J’ai fini par me saisir de mon calepin et j’ai appelé. J’ai eu un peu de mal à me mettre d’accord avec lui à cause de la langue… Il ne parlait pas très bien la mienne, et moi très mal la sienne. Quand on est en face on peut s’en sortir par les gestes mais au téléphone avec un dos en miettes cela m’a causé quelques litres de sueur. J’ai noté l’adresse et je lui ai dit : j’arrive ! Oui, en finale j’avais compris qu’il avait en quelque sorte un service d’urgence et visiblement mon état le réclamait. J’arrive, j’arrive… C’était dit un peu rapidement. Entre là où j’étais et la voiture, en bas dans la cour, il y avait un monde.

Ce fut un monde à franchir.

Je vais glisser, c’est le cas de le dire, sur la descente des escaliers en rampant, la fermeture de la maison, la montée en voiture et le trajet pour arriver jusqu’à son cabinet que j’ai eu un peu de mal à trouver. C’était au beau milieu du quartier asiatique. Il fallait, je vous le donne en mille, traverser l’odeur mêlée d’encens à la fleur de rose et de porc au caramel de la salle d’un minuscule restaurant chinois. Pour l’acupuncture c’était un bon point. En effet, je me méfiai toujours un peu des acupuncteurs occidentaux comme on se méfierait d’un boucher végétarien... Maître Shui m’attendait en préparant le service du soir. Un tablier blanc immaculé autour de la taille. Ne me dites pas que vous n’êtes jamais allé chez un thérapeute un peu spécial ou alors c’est qu’il ne vous est jamais rien arrivé! Quand on est plié en deux, on va n’importe où!

Ah vous êtes là ! A-t-il dit quand il m’a vu. Un deuxième bon point, Maître  Shui était un être perspicace. Dans ses deux professions, ça aide.

Il m’a fait entrer dans une petite pièce où il faisait une chaleur torride. Il y avait pas mal de désordre, elle n'était pas très feng, mais comme il y faisait aussi clair qu'au fond d'un sac de champignons noirs, cela passait. Il y avait au centre, une table de massage. Je me suis déshabillé du haut et du bas et je me suis allongé sur le ventre. Enfin, c’est Maître Shui qui m’a demandé tout ça. De moi-même, je serai resté courbé en deux comme un roseau plié par le vent ! Après m’avoir demandé où j’avais mal, perspicace mais pas trop, il a sorti des tas de longues et fines aiguilles d’une boite en métal et a commencé à me piquer. Il m’en a collé un peu partout dans le dos, de la nuque aux tendons d’Achille, des dos de la main aux omoplates. Dans la pièce, flottait un air de musique asiatique. Douce, mais asiatique. En peu de temps, je me suis retrouvé piqué de deux centaines d'aiguilles, comme une poupée vaudou à qui on voudrait un mal de chien... Il m’avait balisé tous les méridiens possibles, il avait assuré le coup, j’ai pensé. Je me suis vu me dégonfler mais c’était pour me faire sourire un peu. Voilà deux bonnes heures que cela ne m’était pas arrivé. Et puis, Maître Shui est sorti. Il devait avoir un plat sur le feu. Cette odeur de cuisine dans son vieux cabinet...

Après un long moment, j’ai bien senti que je me décontractais, que je me relâchais, que je me liquéfiais, même. Je commence à m’endormir, ma parole… Je suis bien, il fait si chaud ici, je n’ai plus mal, je m’endors, je sombre, je m’en vais, je pars, je suis parti…

Comme je ne dors absolument jamais sur le ventre, j'ai été bébé en un temps où cela nous  était totalement interdit, comme j'ai oublié où j’étais et dans quel équipage, j’ai eu LA plus mauvaise idée qui soit de la soirée… J’ai entrepris de me retourner. Pour me mettre sur le dos…

 

C’est le hurlement que j'ai poussé après ma chute qui a fait surgir Maître Shui de sa cuisine, un wok en flammes dans sa main droite...

J'atterrissais en douleur pendant que Maitre Shui, délaissant un temps ses aiguilles, flambait ses légumes sautés au saké...





19 mars 2021

Comme un bel accident

C’est un peu après  la sortie d'un très long virage que je n’ai plus rien maîtrisé. Ma vie est partie en sucette pile à cet endroit là. 

Jusque là tout s’était plutôt bien passé. C’était une belle journée de Juillet installée dans une tiédeur raisonnable, sous un ciel bleu limpide d’un seul tenant, le vent d’hier l’avait nettoyé, sur  une autoroute pas trop fréquentée, lors d’un trajet que je connaissais par coeur.  L’engin que je pilotais neuf de bas de gamme, même s’il avait en commun avec les Facel Vega ou autre Aston Martin un volant, un moteur et quatre roues, il en était très éloigné du confort légendaire mais si on mettait à fond le volume sonore du lecteur de CD, la musique pouvait étouffer tous ses bruits parasites si agaçants pour l’oreille, bref il suffisait de n’être pas trop exigeant sur le confort et les kilomètres s’entassaient gentiment sous le plancher. Chaque mètre accumulé me rapprochait sans trop d'encombre de la fin du voyage. Je ne pensais pas si bien dire. On commençait à apercevoir les premiers signes d’une arrivée prochaine, les champs se rétrécissaient comme des peaux de chagrin, les pylônes électriques se dressaient comme une armée prête à en découdre, les bandes de bitumes s’élargissaient, les panneaux publicitaires étaient de plus en plus présents en menaçants, les avions de ligne au dessus passaient de plus en plus bas et le trafic s’intensifiait légèrement. Encore quelques hectomètres et ce serait la barrière du péage. Il s’agissait maintenant de ne pas manquer l’aiguillage vers la bonne autoroute finale.

J’allais attaquer un long virage à gauche qui me remettrait sur la route venant de l’Est quand je me suis aperçu que je roulais un peu trop vite. À force d’avancer à une certaine allure, on ne fait pas gaffe, on ne se donne plus la peine de ralentir, on garde la même pour doubler, on ne décélère pas quand les courbes se pointent, on s'endort un peu sur ses lauriers. C’est exactement ce qui m’est arrivé. J’ai laissé le pied droit sur la pédale. Au fond. En début de virage, tout s’est bien passé mais c’est à la fin que ça s’est gâté. En vrai, je ne sais toujours pas, des années après, ce qui m’est réellement arrivé. Je suis encore aujourd’hui absolument incapable de décrire avec précision ce qui s'est passé. Je me souviens juste d’une sorte de longue glissade et d’un désordre incroyable dans l’habitacle de la voiture. Tout ce qui n’était pas fixé s’est mis à voler autour de moi. Tout ce qui était posé sur le siège passager l’a quitté : Cartes, sac, portefeuille, portable, appareil photo, cigarettes du paquet, lunettes, boites de cd et ça tournait, ça tournait, ça n’en finissait pas de tourner. Et puis, le gris de la barrière de sécurité s’est jeté sur l’avant de ma bagnole. Il n’a pas aimé, l'avant. Il s'est comprimé comme un poumon malade. Après le choc que j’avais un peu amorti en serrant fort les bras, j’avais aussi la ceinture, quand le silence est revenu une jolie fumée blanche est montée droit dans l’azur. Le radiateur, explosé, venait de rendre l’âme ainsi sans doute qu’une grande partie du moteur. J’ai dégrafé ma ceinture, je suis sorti de la voiture, la porte a couiné, bien heureux de n’avoir pas de miroir, je devais avoir une de ces têtes d’abruti apeuré, hébété, perdu.

Je me suis assis sur le gris gondolé. Au passage, j’ai attrapé une clope qui trainait sur le tapis de sol et je me la suis allumée.

C’est là que ma vie a basculé. Elle est arrivée d’en face, elle avait tout vu de l’accident, elle s’était garée en quatrième sur la bande d’arrêt d’urgence et elle avait, cette folle, traversé les deux fois quatre voies en cavalant. Elle avait franchi ça comme qui rigole, sa jolie silhouette dansante si légère au-dessus des obstacles... Je l’ai juste vue se pointer lumière dans la lumière, j’en avais rarement vu d’aussi jolie. Une débutante en quarantaine, brune presque noire, aux cheveux très très courts, un sourire éclatant, une robe de soie collée à elle à cause de la chaleur, aussi courte que ses cheveux, bronzée comme une baguette sortant du four, des yeux d’un vert à le peindre, profond, dense, une sorte de miracle sur jambes fines…  Une Marie Madeleine tenant une bouteille d’eau minérale à la main et me l'offrant :

___ Ça va ? Vous n’avez rien ? J'ai tout vu, dites, vous avez eu chaud, c'est votre jour de chance, aujourd'hui... Votre voiture par contre, comme une Bourvil d’autoroute : Elle va rouler beaucoup moins bien maintenant…

___ Je me doute, j’ai dit bêtement.

Elle s’est assise sur le gris pendant que j’appelais l’assurance. Je voyais bien qu’elle me regardait, qu’elle me jaugeait. Je me sentais scruté. Quand j’ai raccroché, après qu’ils m’aient promis une dépanneuse dans le quart d'heure qui vient, elle m’a fixé et, le plus sérieusement du monde, elle a posé entre nous :

___ Ça tombe bien votre accident, finalement, je vais passer huit jours à Ré dans une maison que des amis me prêtent, j’y vais seule mais je déteste ça. Vous ne viendriez pas la passer avec moi, cette semaine ? Pour vous remettre ? Je vous emmène et je vous ramène… Pendant qu'ils réparent votre voiture? La maison est grande, en bord de plage, il y a plusieurs chambres et même une piscine...

J’ai laissé un temps de silence, je ne voulais pas qu’elle pense que je suis un garçon facile et puis, vaincu, j’ai menti sans vergogne :

___ Heu... Je n’ai rien à faire les jours qui viennent et en plus, je ne suis jamais allé  à Ré… 

Mon jour de chance, elle avait dit… 

Rien d'autre.




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