Après un épisode longuement douloureux et, pour tout dire assez emmerdant, dû à une hernie discale dont, je ne m’étais, finalement pas si mal sorti, puisque j’avais évité l’opération chirurgicale et, donc, les anesthésies hasardeuses, les maladies nosocomiales, les réveils improbables, les erreurs toujours possibles d’un chirurgien sous burn out, j'étais, enfin, redevenu, presque, moi-même. Ainsi, semblant réparé, du moins dans les grandes fonctions, je me remettais à courir comme un lapin dératé. Ça tombait bien, dans certains endroits, on en fêtait, ces jours-ci, la toute nouvelle année !
J’étais alors, tout entier à la joie de ma jeunesse (rigole !) reconquise, de mes forces nouvelles retrouvées ! Nom de Dieu de Nom de Dieu, le printemps qui allait bientôt pointer son joli museau rose n’allait pas en croire ses oreilles… (oui, de lapin, si tu veux !). Il allait voir ce qu’il allait voir ! Tout à cet état d’esprit sanguin, mais d’un sang plus que neuf, un bon cent dix, je grimpai, cinq à cinq, les marches de l’escalier ce qui, hier encore, m'était un épouvantable chemin de croix à vingt six stations, quand, d’un coup, la pointe acérée d’une sagaie Peul d’apparat s’est fichée, pile, profond entre L4 et L5. Oui, là, dans le cœur même du disque, au nœud de la protusion!
Ô gazelle foudroyée en vol par les griffes acérées d’un guépard agacé...
Ô vol planant d’une buse perforée par une flèche au curare empoisonnée...
Ô course affolée d'un lapereau rattrapée par la griffe acérée d'un chat affamé...
En quatre. J’étais plié en quatre et, au beau milieu des marches, des larmes de rage et d’impuissance me sont montées à tous les yeux. Je n’ai plus bougé pendant un long moment. Je me suis joué un film où il était question de fauteuil, à roues, de handisport, de ces merveilleux sièges montant les étages, de véhicules aménagés, à moi les places bleues du parking Ikéa, à moi les cartes GIC, à moi les premiers rangs dans les concerts... Mais finies les salles trois et quatre de l'Utopia d'Avignon et quelques autres endroits dont j'ai renoncé à dresser la liste... La douleur violente un tantinet apaisée, je me suis demandé si je devais, maintenant, monter ou descendre. Poursuivre ma route ou revenir en arrière, avancer ou reculer. Si je montais, j’aurais à redescendre pour ouvrir aux secours, si je descendais, n’allais-je pas, en plus dévaler les quelques marches qui me séparaient du canapé et risquer la fracture d’un membre ? Remarque, au point où j’en étais autant que le samu se déplace pour du solide. Si l'on peut dire... Disons du solide qui casse...
J’ai en finale, choisi de monter pour aller m’allonger sur le lit. Je ne l’ai pas atteint. Enfin si, j’y suis arrivé mais seulement à ses pieds. Je n’ai pas réussi à y grimper dessus. Je suis resté couché, en boule, sur le tapis. C'est ainsi que l'’année du lapin, qu’on célébrait hier encore, devint en vrai, l’année du chien de fusil. J’ai réussi à trouver une position qui ne me faisait pas souffrir. Je me suis dit que je n’allais plus en bouger. Jamais. De ma vie. On allait, dans un siècle ou deux me retrouver momifié sur le tapis de ma chambre, recroquevillé comme une vieille chose informe...
Après une heure ou deux, j’ai quand même envisagé d’appeler à l'aide J’avais, dans mes contacts une armée d’ostéopathes, d’acupuncteurs, de chiropracteurs, de phytothérapeutes, de kinésithérapeutes, de chamanes, de tripoteurs aux mains d'or, de guérisseurs, de gourous, d’imposeurs de mains, de masseurs chinois, thaïlandais, indiens, bantous, des qui travaillaient selon des méthodes toujours ancestrales, évidemment, avec des pierres de lave du Stromboli, des fleurs de Brahms, des rameaux de la Brie, des badines en bambous du Bénin, des poussières de roches du Tibet, des poudres d’insectes séchés… J'avais même le zéro six perso de Corine Monbrun, c'est dire! Tout l'annuaire parfait, du magasin parfait: À la clinique des dos brisés.
J’ai opté, cette fois, pour un acupuncteur que je ne connaissais pas encore, hé oui, il me fallait attendre d’avoir le dos en deux pour aller consulter, dont on m’avait donné l’adresse lors d’un diner, en me disant que lui, soignait tellement bien qu'une fois soulagé, on regrettait même, de ne plus avoir mal… C’est dire!
J’ai fini par me saisir de mon calepin et j’ai appelé. J’ai eu un peu de mal à me mettre d’accord avec lui à cause de la langue… Il ne parlait pas très bien la mienne, et moi très mal la sienne. Quand on est en face on peut s’en sortir par les gestes mais au téléphone avec un dos en miettes cela m’a causé quelques litres de sueur. J’ai noté l’adresse et je lui ai dit : j’arrive ! Oui, en finale j’avais compris qu’il avait en quelque sorte un service d’urgence et visiblement mon état le réclamait. J’arrive, j’arrive… C’était dit un peu rapidement. Entre là où j’étais et la voiture, en bas dans la cour, il y avait un monde.
Ce fut un monde à franchir.
Je vais glisser, c’est le cas de le dire, sur la descente des escaliers en rampant, la fermeture de la maison, la montée en voiture et le trajet pour arriver jusqu’à son cabinet que j’ai eu un peu de mal à trouver. C’était au beau milieu du quartier asiatique. Il fallait, je vous le donne en mille, traverser l’odeur mêlée d’encens à la fleur de rose et de porc au caramel de la salle d’un minuscule restaurant chinois. Pour l’acupuncture c’était un bon point. En effet, je me méfiai toujours un peu des acupuncteurs occidentaux comme on se méfierait d’un boucher végétarien... Maître Shui m’attendait en préparant le service du soir. Un tablier blanc immaculé autour de la taille. Ne me dites pas que vous n’êtes jamais allé chez un thérapeute un peu spécial ou alors c’est qu’il ne vous est jamais rien arrivé! Quand on est plié en deux, on va n’importe où!
Ah vous êtes là ! A-t-il dit quand il m’a vu. Un deuxième bon point, Maître Shui était un être perspicace. Dans ses deux professions, ça aide.
Il m’a fait entrer dans une petite pièce où il faisait une chaleur torride. Il y avait pas mal de désordre, elle n'était pas très feng, mais comme il y faisait aussi clair qu'au fond d'un sac de champignons noirs, cela passait. Il y avait au centre, une table de massage. Je me suis déshabillé du haut et du bas et je me suis allongé sur le ventre. Enfin, c’est Maître Shui qui m’a demandé tout ça. De moi-même, je serai resté courbé en deux comme un roseau plié par le vent ! Après m’avoir demandé où j’avais mal, perspicace mais pas trop, il a sorti des tas de longues et fines aiguilles d’une boite en métal et a commencé à me piquer. Il m’en a collé un peu partout dans le dos, de la nuque aux tendons d’Achille, des dos de la main aux omoplates. Dans la pièce, flottait un air de musique asiatique. Douce, mais asiatique. En peu de temps, je me suis retrouvé piqué de deux centaines d'aiguilles, comme une poupée vaudou à qui on voudrait un mal de chien... Il m’avait balisé tous les méridiens possibles, il avait assuré le coup, j’ai pensé. Je me suis vu me dégonfler mais c’était pour me faire sourire un peu. Voilà deux bonnes heures que cela ne m’était pas arrivé. Et puis, Maître Shui est sorti. Il devait avoir un plat sur le feu. Cette odeur de cuisine dans son vieux cabinet...
Après un long moment, j’ai bien senti que je me décontractais, que je me relâchais, que je me liquéfiais, même. Je commence à m’endormir, ma parole… Je suis bien, il fait si chaud ici, je n’ai plus mal, je m’endors, je sombre, je m’en vais, je pars, je suis parti…
Comme je ne dors absolument jamais sur le ventre, j'ai été bébé en un temps où cela nous était totalement interdit, comme j'ai oublié où j’étais et dans quel équipage, j’ai eu LA plus mauvaise idée qui soit de la soirée… J’ai entrepris de me retourner. Pour me mettre sur le dos…
C’est le hurlement que j'ai poussé après ma chute qui a fait surgir Maître Shui de sa cuisine, un wok en flammes dans sa main droite...
J'atterrissais en douleur pendant que Maitre Shui, délaissant un temps ses aiguilles, flambait ses légumes sautés au saké...
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