07 août 2022

L'étoile fuyante

Depuis que, par souci d’économie et une volonté de diminuer la pollution lumineuse, la mairie avait eu la bonne idée d'éteindre tous les lampadaires du village entre minuit et cinq heures du matin c'était comme si le ciel nous avait été rendu. 

Dans le chemin qui dessert mon jardin, j’en avais deux espacés de trente mètres qui éclairaient comme un Zénith de campagne. Avant, pour avoir accès aux étoiles, aux passages des satellites, aux filantes, il fallait soit monter dans la colline, soit s’installer dans un coin du jardin et viser un camembert de ciel riquiqui. Maintenant à minuit cinq on voyait ce qu’on allait voir. La voute, au-dessus de nous, n’était dérangée que par le vol agité des chauves souris et leurs frrrrr frrr irréguliers. À l’instant où les lumières orangées des lampadaires s’éteignaient, le ciel s’allumait. À nous l'univers et ses constellations, à nous les Alchor, les Mizar, les Bételgeuses, à nous la lune, Saturne et ses anneaux, à nous Vénus,  à nous Arcturus, la Grande Ourse et la petite casserole, à nous Cassiopée, à nous le vertige et le cœur serré d'émotions.

Dès que les lampes cessaient d’éclairer les ruelles, on prenait un matelas, un oreiller et on allait s’allonger au beau milieu de la pelouse,  couvert d’une serviette de bain pour éviter les attaques de moustiques, la tête bien calée. Alors, on plongeait dans l ‘infini des immensités immenses. Quelques minutes après que l’œil se soit un peu habitué au presque noir, le spectacle commençait. Ici la trace claire d’un satellite fendant le ciel à allure lente et régulière, au loin l’intermittence des feux d’un avion puis nous arrivait le son de ses moteurs à plus de dix kilomètres de notre tête. Là cette étoile plus brillante que les autres, la première à étinceler dans l’encore lumière du jour déclinant, la première à éclaire la nuit comme chante l’autre. Et puis les filantes. Alors elles ! Elles sont imprévisibles et peuvent provenir de partout. Quand elles apparaissent elles tracent dans le noir comme une ligne droite avec une sorte de sifflement, elles peuvent être de plus ou moins longue durée selon leurs tailles, je suppose et puis le noir revient et puis d’autres encore illuminent. Leur vision est nette mais fugace, extrêmement brêve dans le temps et pourtant leurs courses peuvent laisser des traces marquées de leurs passages. Elles nous servent aussi de compteur, de limite. Une fois installés nous nous disons allez trois filantes et je rentre et tant que nous n’avons pas vu les trois, nous restons la tête dans les étoiles. Certains soir c’était plus rapide qu’à d’autres.

Ce soir là, nous nous en étions donné quatre. C’est à la deuxième que tout est arrivé. Ça s’est passé pile dans l’Ouest. Le matelas au sol était orienté dans l’axe Est Ouest. La tête à l’est. La première j’ai failli  la manquer. Elle est venue du Nord, là bas à droite juste au dessus des grands pins voisins. Une trajectoire très courte d’une luminosité faible, une petite filante d’échauffement j’ai pensé. À peu près dix minutes d’attente et je n’ai pas été déçu. Elle est venue de l’Ouest face à moi à environ dix degrés d’écart. Une longue trajectoire sifflante une lumière d’un longue durée et de suite comme un choc dans le jardin à quelques mètres du matelas puis et une légère fumée. Je me suis levé d’un bond, j’ai pris mon téléphone et je suis allé voir à l’endroit de la fumerole. L’herbe était brûlée sur un bon mètre carré. J’ai pu voir un trou assez peu profond dans la pelouse le sol était si sec et au fond de ce trou d’une dizaine de centimètre comme une petite masse, de la taille d’une boule de pétanque. Au début j’ai pris ça pour une boule informe. Je me suis dit que j’avais une chance incroyable, je la prenais sur la tête ou même sur le corps j’avais de fortes chances de ne pas voir le jour se lever. Excité comme une armée de puces, je suis allé remplir une bouteille d’eau que j’ai versée sur la boule pour la refroidir. Je suis alors allé dans le garage ou j’ai attrapé une paire de gants de jardins, elle je l’ai enfilée. Je me suis dit que ce n’était pas le moment de me cramer les mains en la saisissant. J’ai sorti la boule encore fumante du trou. Je l’ai éclairée avec la lampe de mon portable. C’est là que j’ai vu que ce n’était pas une boule informe. 

C’était comme une tête réduite de jivaro mais là, la surprise m’a laissé sur le cul. Cette boule, vous n'allez sans doute pas me croire,  était l'image du Z, vous vous rappelez, le Z, le gars qui nous avait pollué l’atmosphère tout le printemps pendant la campagne présidentielle celui qui avait disparu des médias, celui dont on n’entendait plus parler depuis, maintenant de long mois. Il était reconnaissable entre mille, on avait tellement vu sa tête. Après avoir salué l'exploit d'avoir réussi à réduire une telle grosse tête, je l’ai balancée dans le puits du compost, au moins, s'il se décomposait qu'il soit utile à quelque chose, en me disant : Merde! Même là-haut sur Algol dans la constellation de Persée ils n’en ont pas voulu, ils nous le renvoient direct! 

Ils ont dû s'en débarrasser, eux aussi.




01 août 2022

Devant soi

Comme j’avais une heure devant moi et qu’il faisait une chaleur à habiter dans un congélateur, j’ai décidé d’aller m’offrir un petit pot citron vert, melon chez les Freto.  La maison Freto, c’était trois jeunes garçons, trois amis, qui avaient fait équipe pour ouvrir un glacier bien qu’il y en ait déjà pas mal sur L’Isle. Seulement, chez eux, les glaces étaient bonnes, leurs sourires et leurs énergies engageants tout comme la musique diffusée sur la grande terrasse à l’ombre des platanes juste en bord de Sorgue. Tout pour séduire, du reste, bien qu’ils aient ouvert il n’y a pas si longtemps, ça ne désemplissait pas.

Une fois chez eux, j’avais discuté un peu le bout de gras avec l’un des « frères » et puis j’étais allé m’installer un peu plus loin sur les quais avec mon petit pot pêche caramel (on peut changer d’avis, oui ?) et ma cuillère. Je m’étais assis sur la plus haute des marches. C’est là que je l’ai vu qui était assis lui sur la terrasse  la plus près de l’eau, les pieds trempant jusques aux mollets. Il était torse nu, un jean en bermuda et ce qui m’a surpris c’est qu’il n’avait pas pris le temps d’enlever ni chaussette, ni chaussure et à partir des mollets donc,  tout trempait dans la flotte qui galopait à cet endroit ressérré.

J’entendais d’où j’étais qu’il marmonnait en faisant  de grands gestes et il n’avait personne à son côté. Il devait même y aller assez fort parce que ses mots n’étaient pas tous couverts par le bruit du courant. Cependant comme je suis curieux j’ai un peu tendu l’oreille et s’il me fallait quelqu’un pour bien me saper le moral, j’avais trouvé mon champion. Visiblement le gars d’une soixantaine bien entamée n’était pas seul dans sa tête aux cheveux hirsutes et pourtant clairsemés. Il parlait à un autre, absent mais qui paraissait là assis tout contre lui. Dans la main qu’il agitait une canette géante de 7,2. Il en mettait un peu partout.

La retraite, la retraite beuglait-il en s’interrompant, le retirement comme disent les anglais (monsieur avait des langues) est typiquement une chose, un état auquel on ne pense que quand on est en activité. Tu vois, on peut  la désirer, l’espérer, l’appeler de ses vœux certains jours plus que d’autres, certains mois plus que d’autres et puis, un jour on y est. Et là, c’est le bordel, tout change, on bascule dans un autre monde. Celui des payés à rien foutre. T’imagine la gueule que font les autres, t’imagine comment ils te regardent, t’imagine comme ils t’en veulent  tous ceux qui continuent de trimer ?

Mais là, mon gars, ça peut vriller. Tu vois, c’est comme la richesse, on en rêve quand on n’a pas un rond. Ben oui, les riches ne rêvent plus à le devenir puisqu’ils y sont ! On ne pense pas à Venise quand on est à Venise, on y pense quand on est à Sarcelles ou à Bobigny.

C’était un peu décousu mais ça tenant à peu près la route, on voyait où ils voulaient en venir tous les deux…

Il a pris un temps puis il a froncé les sourcils comme s’il cherchait un truc et il a repris son fil :

Avoir du temps devant soi est la chose la plus désirée quand on n’a pas une minute, mais quand on a toutes ces heures à remplir devant nous à pas savoir quoi foutre puisqu’on a le temps de tout faire largement, rien ne presse et si on ne finit pas ce soir on fera demain… On n'a le désir de faire que si on n’a pas le temps de faire.

C’est comme tous ceux qui ont du fric : Une fois que tu as douze montres à cent mille comment avoir envie d’une treizième ? Si tu peux te payer toutes les bagnoles de la terre est-ce qu’une seule peut te faire vraiment envie? T'imagines le bazar dans la tête de ces jeunes gens de vingt ans qui touchent à tout cet oseille? Comment veux-tu qu'ils ne virent pas zinzins! Il y a trois manières de flinguer les gens avec l'oseille: Ils en ont trop ça leur tue le désir, pas assez, ça leur pourrit la vie et juste assez ils ont peur de perdre et n'osent pas espérer davantage.

Il s’est interrompu net et il a sauté d’un coq à un autre âne :

Ils commencent à me faire chier tous ces cons de riches à racheter des hectares de vignes pour faire du mauvais rosé comme s’il n’y en avait pas assez de vin pas bon en rouge. Ou en blanc. Oui ou en blanc, aussi. Ah je donnerais cher pour les voir à genoux dans la terre en train de sarcler un pied d'olivier, tiens. Le retour aux racines, mon cul.

Cette fois j’étais rincé. 

D’un coup j’en ai eu marre de l’entendre débiter sa si désespérante logorhée, je me suis levé et je l'ai laissé à ses délires en m'éloignant.

Je suis retourné chez les Freto. Pour me soigner.  J’ai demandé un truc à DEUX boules. Comme ils ne proposaient pas encore lexomil, xanax,  j’ai pris verveine, pêche.





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