08 septembre 2020

Venues de l'autre côté du monde

 J'ai reçu un message qui m'est venu de l'autre côté de notre monde. Je l'ai trouvé si beau et émouvant que ma tête et mon coeur ont chaviré. 

Que Martial me pardonne, je le partage avant de recevoir son accord:

Amanu


Dix-huit jours que nous dansons, immobiles, sur les lèvres du volcan. Amanu, un petit atoll dont les trois quarts de la surface ne sont pas cartographiés. Sa ceinture intérieure, turquoise, tranche sur le bleu sombre des profondeurs du lagon. A l'extérieur, le platier. Un vaste plateau frangé d'écume, la verticale de l'abysse, rose, brun, gris lunaire, jonché de débris de corail, semblant le champ d'une bataille prête à recommencer, qui mêle ses silences aux grondements du Pacifique. 
La passe est étroite, le courant fort, 12 nœuds parfois. Une fois franchie, l'oeil seul devient guide, prévenant les massifs de coraux qui affleurent. Devenir matière, glissement fluide, savoir les couleurs de l'eau, effacer notre trace, laisser faire le vent, s'ouvrir la voie vers une infinie absence où l'on ne saura plus rien du monde. Ne l'ébruitez pas : c'est ici qu'il a commencé. 
Quelques humains font encore village, et leurs enfants. Il y a même une école, quatre cloisons légères entre lesquelles l'instituteur tente d'expliquer comment tourne la terre . Mais lui même ne sait plus. D'ailleurs à la récré, il va au bord de la passe, jette un bout de fil à l'eau et écoute le récif que l'océan bat au loin à coup de vagues venues du fond des âges. 
Nous sommes mouillés sous le vent d'un motu à l'Est du récif. Une végétation dense d'arbustes et de buissons sous la cocoteraie abrite les nids d'une colonie de fous de bassans. Nous serons protégés du prochain coup vent et fournis en cocos. Quelques têtes de corail, les "patates ", non loin, pour les plongées à venir. Car dans ce royaume de nulle part, nous vivons de pêche et d'eau fraîche. Et d'amour aussi. Comment ne pas repenser l'histoire de toute une vie, déposée là, sous sa forme la plus nue, chaque aube promettant son jour le plus abouti, notre peau noyée de lumière se frottant au bleu de nos tout premiers mots, ceux de la naissance, ceux dont on jouissait sans les épuiser, avant qu'il faille les réparer sans cesse, et les mener jusqu'ici, pour savoir. Le temps est venu de s'aimer sans retour. De danser, immobiles, sur les lèvres du volcan.
Les jours sont simples, on en perd le compte. Le soleil commande, il n'y a pas d'heures, seulement des nuances. Dans ce monde-ci, la lumière est libre. Aube en pastel, crépuscule flamboyant, et dès la nuit un ciel d'enfance quand, au plafond de mon lit, des constellations imaginaires me mettaient déjà la tête dans les étoiles.
Cet enfant, je le retrouve, sa vie, désormais, c'est du sérieux. Il a fini de jouer. Il se souvient, au large de l'île de Groix, mon père lui avait laissé la barre, la houle était longue, par l'ouest des nuages de plomb, une lumière grise, et dans ses mains toute la puissance de l'océan . Ce fut le moment décisif : il ne vivrait que pour partir, un jour comme celui-ci, sur mon bateau.
Quand nous quitterons Amanu, je ne serai plus tout à fait le même. Sur le récif, un homme à la tête chenue lèvera lentement la main et sourira, comme je lui sourirai et répondrai à son signe, ce frère, mon clandestin.

A l'embrasse, 
M.

Depuis l'envoi de ce message, Catherine et Martial ont embarqué sur Alchimer ils ont maintenant accosté sur l'atoll d'Hao et leur voyage continue...




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