J'ai reçu un message qui m'est venu de l'autre côté de notre monde. Je l'ai trouvé si beau et émouvant que ma tête et mon coeur ont chaviré.
Que Martial me pardonne, je le partage avant de recevoir son accord:
Amanu
Dix-huit jours que nous dansons, immobiles, sur les lèvres du volcan. Amanu, un petit atoll dont les trois quarts de la surface ne sont pas cartographiés. Sa ceinture intérieure, turquoise, tranche sur le bleu sombre des profondeurs du lagon. A l'extérieur, le platier. Un vaste plateau frangé d'écume, la verticale de l'abysse, rose, brun, gris lunaire, jonché de débris de corail, semblant le champ d'une bataille prête à recommencer, qui mêle ses silences aux grondements du Pacifique.
La passe est étroite, le courant fort, 12 nœuds parfois. Une fois franchie, l'oeil seul devient guide, prévenant les massifs de coraux qui affleurent. Devenir matière, glissement fluide, savoir les couleurs de l'eau, effacer notre trace, laisser faire le vent, s'ouvrir la voie vers une infinie absence où l'on ne saura plus rien du monde. Ne l'ébruitez pas : c'est ici qu'il a commencé.
Quelques humains font encore village, et leurs enfants. Il y a même une école, quatre cloisons légères entre lesquelles l'instituteur tente d'expliquer comment tourne la terre . Mais lui même ne sait plus. D'ailleurs à la récré, il va au bord de la passe, jette un bout de fil à l'eau et écoute le récif que l'océan bat au loin à coup de vagues venues du fond des âges.
Nous sommes mouillés sous le vent d'un motu à l'Est du récif. Une végétation dense d'arbustes et de buissons sous la cocoteraie abrite les nids d'une colonie de fous de bassans. Nous serons protégés du prochain coup vent et fournis en cocos. Quelques têtes de corail, les "patates ", non loin, pour les plongées à venir. Car dans ce royaume de nulle part, nous vivons de pêche et d'eau fraîche. Et d'amour aussi. Comment ne pas repenser l'histoire de toute une vie, déposée là, sous sa forme la plus nue, chaque aube promettant son jour le plus abouti, notre peau noyée de lumière se frottant au bleu de nos tout premiers mots, ceux de la naissance, ceux dont on jouissait sans les épuiser, avant qu'il faille les réparer sans cesse, et les mener jusqu'ici, pour savoir. Le temps est venu de s'aimer sans retour. De danser, immobiles, sur les lèvres du volcan.
Les jours sont simples, on en perd le compte. Le soleil commande, il n'y a pas d'heures, seulement des nuances. Dans ce monde-ci, la lumière est libre. Aube en pastel, crépuscule flamboyant, et dès la nuit un ciel d'enfance quand, au plafond de mon lit, des constellations imaginaires me mettaient déjà la tête dans les étoiles.
Cet enfant, je le retrouve, sa vie, désormais, c'est du sérieux. Il a fini de jouer. Il se souvient, au large de l'île de Groix, mon père lui avait laissé la barre, la houle était longue, par l'ouest des nuages de plomb, une lumière grise, et dans ses mains toute la puissance de l'océan . Ce fut le moment décisif : il ne vivrait que pour partir, un jour comme celui-ci, sur mon bateau.
Quand nous quitterons Amanu, je ne serai plus tout à fait le même. Sur le récif, un homme à la tête chenue lèvera lentement la main et sourira, comme je lui sourirai et répondrai à son signe, ce frère, mon clandestin.
A l'embrasse,
M.
Depuis l'envoi de ce message, Catherine et Martial ont embarqué sur Alchimer ils ont maintenant accosté sur l'atoll d'Hao et leur voyage continue...
11 commentaires:
Quel texte magnifique, merci du cadeau Msieur M.
C.
Comme il va droit au cœur planter la beauté, la douceur, l'humilité... l'humanité ! On va les écouter pousser dans nos petits cœurs à nous, promis
Merci Messieurs de le vivre et de le partager
"Les jours sont simples, on en perd le compte" Ce devrait toujours être ainsi ...
Beaucoup de douceur et de tendresse qui me vont droit au coeur.
Belle fin de semaine
Une belle histoire de l'amour et de la mer.
Papy René
Ou Papy, des deux!
qui se passe-t-il donc, pour, à vous lire, etre touché à ce point.
chaque fois, à ce point.
la beauté, la simplicité, et la vérité. une vérité. des choses, des gens, de la vie.
de la beauté de la vie.
je viens vers vous de temps en temps, après vous avoir connu pour vos mots sur Castelane, puis d'autres sur Nina Simone.
je n'arrive à retrouver ni l'un, ni l'autre. pourriez vous me guider ?
je vous souhaite une bonne journée, merci pour la douceur de ces mots.
Pierre, posé sur un atoll, accroché aux Monts de la Madeleine
@ Pierre
Oh Merci à vous Pierre, posé sur un atoll, accroché aux Monts de la Madeleine!
(Pour retrouver des textes il faut, et ce sera fastidieux aller dans les archives sur la colonne de droite...)
Pour Pierre PS Préciser que je n'ai pas écrit Amanu mais que c'est un ami qui l'a fait!
PPS PPS A Pierre Nina Simone c'était le 3 décembre 2016 et le titre est Un soir d'hiver
Aaaaah, que ce texte me parle !
Je me revois entrant dans la passe de Rangiroa sous gréément de fortune il y a... 35 ans !
Ici les mots sont si justes, si beaux, si lumineux qu'on en est emporté.
MERCI à l'auteur, merci de l'avoir publié
@ Nathalie Oh le plaisir de recevoir un signe de vous. J'espère que tout aille bien pour vous.
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