15 novembre 2020

Revenues de l'autre côté du temps

En 1988 Yves Simon faisait paraître chez Grasset un petit livre appelé Jours Ordinaires. Dans ce livre, des textes très courts qui laissaient pas mal de blanc sur les pages. Parfois il n’y avait qu’une ou deux phrases et donc beaucoup de blanc. Et quand dans un livre imprimé il y a plus de blanc que de noir on est à la limite de l’entourloupe.

J’y avais vu comme une  invitation à profiter du blanc offert et donc à le noircir et y écrire. Aidé du hasard, j’ai retrouvé ce livre : Sous le texte d’Yves  Simon et sur le blanc restant de la page 9,  j’avais écrit :

 

Et aux nombreux blancs de ce livre, je tracerais des phrases qui ne m’appartiennent déjà plus puisqu’elles ont été écrites hier.

(Je le ferai au crayon noir pour qu’elles restent effaçables. Il ne faut surtout jamais faire confiance à sa mémoire qui tire le principal de sa force dans sa capacité à oublier).

 

Page 10

J’avais trouvé dans une décharge clandestine des lettres manuscrites d’une belle écriture ronde et sereine. Des lettres d’amour parmi des poubelles. Etait-ce le lieu obligé de la fin de tout amour ?

Extraits :

Les choses s’enveloppent du poids des souvenirs comme d’un manteau déchiré… Alors, je marche à pied mais ça devient le sol sous tes pieds, alors je m’assois sans bouger et ça devient les gens dans la rue, alors je ferme les yeux et c’est le sang qui bat ou le froid de l’hiver dans mes mains…

Lettres de Jean Luc Godard à Anna Karina trouvée dans les bois de Meudon.

 

Page 11

À la vérité j’étais très fier d’avoir croisé la trajectoire de cette fille d’une suffocante extravagance. Songez-y, quand je me suis retrouvé amputé de presque tous les liens avec une bonne partie de moi-même c’est à dire elle et qu’il arrivait de nous rencontrer elle me jetait d’un ton léger :

Et toi ? Ça va, toi ?

 

Page 12

Avant hier, il nous tombait sur les épaules une pluie particulière. Lourde, dense, voilà très exactement c’était une pluie pesante. Comme si l’orage des souvenirs douloureux avait soudain choisi d’éclater. Avant hier il pleurait des souvenirs. Deux jours après j’en étais encore humide.

 

Page 13

J’avais passé quelques jours dans un pays du Sud de l’Europe. J’y étais allé pour fuir des forces qui me tiraient vers ailleurs. J’y étais allé, aussi pour écrire quelques lettres qu’elle ne lirait sans doute pas.

Je me souviens qu’avant de quitter définitivement le Portugal, j’avais acheté un billet de loterie dans une baraque de Totobolà et je l’avais jeté aussitôt pour ne jamais savoir ce que j’avais perdu.

 

Page 14

Rester à jamais insensible à tous ces bras qui s’ouvrent pour dire je t’aime.

Et être persuadé d’avoir complètement tort.

 

Page 15

Derrière les vitres géantes d’un aéroport, une mouche lutte pour sortir. Et si nous étions comme elle, libres mais seulement libres de nous briser les ailes ?

 

Page 16

Nous voguions depuis trois jours déjà. Enrègle générale c’est à ce moment que les ennuis commencent. Cette fois il ne se passa rien. Rien ni de notable ni inquiétant ni dangereux.

Nous sommes rentrés tristement soulagés.

 

Page 17

Quand j’ai vu le voile de velours léger soulevé par un vent dévoilé, il m’a pris l’envie de partir là-bas, tôt…

 

Page 18

Quand on n’a pas d’ami, la pire des choses c’est de s’en faire parce que quand on en a un, la pire des choses c’est de le perdre.

 

Page19

Au fond, vieillir ça devait ressembler à ça. Etre capable de transformer ses impatiences les plus virulentes en attentes immodérées. Comme je n’avais plus le sien, de temps, il me restait tout le mien.

 

Page 20

Oh Mon Dieu, j’étais exactement dans l’état d’esprit d’un type qui vient de passer trois ans de sa vie à creuser une tunnel sous sa baraque et qui débouche au beau milieu de l’Atlantique. Sans la clé du radeau de survie.

 

Page 21

Retrouver dans toutes ces vielles photographies l’immense place prise par l’absence.

 

Page 22

J’étais allé seul mais avec des centaines d’autres rire au spectacle de ce qui me faisait pleurer. C’était donc ça un grand humoriste. J’avais ri ce soir là comme rarement. C’était bon à pleurer.

 

Page 23

La solitude c’est encore ce que l’on a inventé de mieux pour être seul.

 

Page 26

Il y avait, dans ce restaurant de l’Algarve la voix chantantes des cent quatre vingt six centimètres de Philomènià et ses regards en coin vers l’étranger seul à sa table. Aimait-il les filles pour ne pas les regarder ainsi ? Devait-elle se dire.

Oui, oui, il les aime. Mais pas toutes. Pas fou.

 

Page 27

Oh la contagion des doutes ! Vivre avec des certitudes gâchait pas mal d’heures. Fallait-il que le ciel soit d’une pureté limpide pour croire à son insolence.

Et très vite, dans le fond, quelques malheureux nuages…

 

Page 28

Conquérir n’est rien. Un jeu peut-être. Reconquérir est une autre histoire. Simplement par ce que l’on connaît ce qu’on risque de perdre. Il ne faut pas se tromper.

 

Page 29

Quand on en veut aux autres c’est bien entendu pour éviter de s’en prendre à soi-même. Avoir compris ça permet d’éliminer pas mal de pensées négatives  pour les autres évidemment.

 

Page 30

L’imparfait est un temps parfaitement imbécile.

 

Page 34

Et si, pour toujours, j’étais passé à côté de la mienne ?

Alors ne jamais passer à côté des gens qu’on a le bonheur de croiser en les regardant encore un peu. Dans le fond.

 

Page 39

Et si la vérité était une condition essentielle de l’instant. Ce qui est vrai là ne l’était pas et surtout ne le sera plus. Avec ça, on n’est pas prêt d’être certain de quelque chose si ce n’est de la caresse du vent ou de l’intense clarté d’une nuit d’étoiles. Alors, ne croire qu’en sa peau et être parfaitement animal, en toute conscience.

 

Page 43

__ Allez les filles, ne restez pas dans ce courant d’air gelé, vous allez attraper la mort.

___ Ça t’embêterait beaucoup peut être ?

___ Non, ce qui m’embêterait c’est que ce soit contagieux.

 

Page 44

Extrait :

« Et joyeux non anniversaire ma bien aimée de loupi de loop de good woulfe. »

Jean Luc Godard à Anna Karina.

 

Page 45

Une petite fille très méchante à une autre très gentille :

___ Tu sais ce que tu seras toi plus tard ?

___ Non.

___ Rien.

 

Page 48

Aimer quelqu’un, c’est l’aimer pour lui même et pas pour la magie qu’il a de vous rendre heureux. L’aimer pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il provoque en vous. Pour ça, il faut savoir s’asseoir sur un banc et le regarder vivre en dehors de soi. Surtout en dehors de soi.

L’abîme... Cela voudrait dire qu’on ne peut aimer vraiment que l'autre importe autant que soi.


Page 51

Quand on n’a plus rien à dire, il faut énormément de courage pour continuer à se taire.

 

Page 53

Rien que ça, une fois encore, une fois seulement avant la prochaine : Mes doigts autour des siens et sa tête sur mon épaule, abandonnée. Nos deux vies juste quelques secondes encore emmêlées.

 

Page 56

Arriver une fois, une seul à photographier… Une odeur. Celle d’une peau par exemple et pouvoir ainsi s’en repaître pour son seul plaisir. Une seule fois pour toujours.

L’ennui du plaisir c’est qu’il n’est intense que s’il est partagé. Rien de grave, allez, une odeur ça diffuse.

 

Page 57

Contempler son visage dans le miroir, chaque jour le même, chaque jour différent. Pour s’en convaincre regarder une vielle photographie. Puis la jeter.

 

Page 62 

Ecrire c’est dessiner des mots comme on prend des remèdes, sans penser que ça guérit en étant sur que ça aide...

 

Les voilà remontées à la surface ces phrases comme des lumignons d'avant. 

Peut-être que je n’aurais pas dû. Les écrire.




4 commentaires:

Brigitte a dit…

Et pourquoi tu n'aurai pas du ?
Ma préférée celle sur la solitude !
Belle fin de semaine à toi

lisa a dit…

C est très beau papa!

chri a dit…

@ Brigitte Merci à toi aussi

chri a dit…

@ Li Oh toi....

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