26 avril 2019

Dans les yeux de Marie (Portraits de femme 11)

Ma belle, ma toute belle. Mon petit bout de femme malade:
Comme il paraît grand ce lit pour toi toute seule dans ce vieil hôpital sordide. Comme tu sembles perdue dans le jaune pâle des draps de l'Assistance Publique. Comme ton pauvre corps s’est rapetissé, comme ton vague sourire en me voyant entrer dans la chambre s’est vite voilé, comme ta main s’accroche à la mienne, comme tu as peur, comme tu as mal, comme tu es courageuse de ne pas te plaindre. On a baissé les rideaux de plastique blanc pour que le soleil ne te morde pas les yeux. Il règne une lumière qui t'est familière, c'est celle des serres d'oeillets où tu as passé ta vie et une ambiance étrange, un mélange de terreur et de douceur. C’est sans doute dû à cette sale odeur qui rode. Assis sur le rebord du lit tous nos doigts mêlés, les tiens déformés par l’arthrose, une vie dans la terre et l’eau froide des bacs à fleurs ça laisse des traces, les miens tremblants de frousse et de rage mêlées. Je fais comme toi, je ferme les yeux et je te revois dans ta campagne un foulard noué sur la tête, belle comme une Anna Magnani des asparagus, fleur parmi les fleurs, courbée en deux sur les boutures à couper, sur les fils à nouer, sur les œillets à cueillir. Les pieds dans l'humide d'une boue dense, la tête dans les étoiles. C’est courbée qu’à chaque fois je t’y revois. Et pourtant il n’y en a pas de plus droite que toi.
Sauf quand tu piquais des cigarettes dans le paquet de ton homme, mon grand-père, pour me les refiler en douce. C'était dans un paquet blanc des Kent à bouts filtres, des américaines... Si un jour j’ai un cancer, je te le devrais, en partie… Du pancréas, le tien, celui qui te recroqueville, aujourd’hui. Une tumeur maligne pour une douceur maline. Qui te fait me dire dans un souffle devenu faible, si faible, toi qui était forte, si forte: « Je n’y arrive plus, je n’ai plus envie, je ne veux plus être couchée, je veux être debout... » Qui t'empêche de te nourrir toi, toi qui se mettais en cuisine comme on s'habille en dimanche. Vous ne l'avez jamais vue, vous, d'un coup de fourchette magique faire d'une boulette de pomme de terre un gnocchi parfait? Elle les faisait par mille et c'était mille magies.
On venait de loin pour gouter ses calamars. À l'américaine, aussi.
Au plein milieu des serres de fleurs coupées, le Château de mon enfance, ta maison, enfin: le cabanon. Un cabanon n’est pas une cabane dit la chanson. Pas loin. Désormais chaque jour qui passe j'en vois la clé. La grosse clé de métal, elle est accrochée chez moi,  au mur  près de l'entrée. Elle protège les vivants de la maison. Le cabanon était une seule pièce en dur, presque perdue entre les serres, au beau milieu de la campagne, un ancien mazet qui vous servait de chambre et le reste autour construit en châssis de verre. Il y avait encore l'anneau de métal auquel, autrefois, on accrochait la mule. Protégé du soleil par un cerisier qui donnait des fruits gros comme le poing, rouges comme le sang, des bigarreaux d'un autre monde. Collée à lui, une pièce fraîche tout l’été. Il y avait dedans les frigos, les bacs pour tremper les œillets, les roses et la table à monter les bottes. Cinquante fleurs par botte, cent bottes à chaque envoi... Entre les deux, un citronnier qui, lui, sans mentir, pondait des citrons gros comme des pastèques. Plus loin quelques pêchers qui nous faisaient les babines humides.
C’est là que j’ai passé mes étés d'enfance. C’est là que tu t’échinais jusqu’à pas d’heure. Il les fallait bien rangées, ces bottes pour les vendre à la Criée. Tu me l'as sans doute transmise ta main verte ...
On imagine mal, quand on a huit, neuf ans, qu'on court toute la sainte journée pieds presque nus sous un soleil écrasant, qu'on côtoie des vies d’esclaves. Tu en étais une, d'esclave. Au toujours si beau sourire. Une belle femme disait-on de toi. J'ai su plus tard que tu avais eu une jeunesse dansante... que la vie avait  un peu gâtée, une esclave de la terre, accrochée à elle parce que c’est comme ça, c’était ton chemin, ton destin. Une vie qu'on ne discute pas, qu'on ne remet pas en cause et cette campagne où tu trimais était mon terrain de jeux. Mon préféré de tous.  On l'imagine assez mal surtout quand l'esclave ne se plaint pas, quand il a l’élégance de sourire. À chaque fois que j’en repartais j’en avais les larmes aux yeux jusqu’à l’âge de seize, dix sept ans. Après, on s'endurcit. Un peu. Et puis, un jour on perd la première de ses grands-mères, Jeanne, vidée de toutes ses forces quand l'amour de sa vie s’en était allé. C’est quand ceux là nous abandonnent que notre enfance meurt.
En passant devant la salle de pause des infirmières, je les ai vues les oreilles tendues, les yeux humides écouter Arno chanter "Dans les yeux de ma mère", sa voix de fin de nuit rocailleuse m’a poursuivi jusque dans l’escalier et dehors, j'ai murmuré avec lui : "Dans les yeux de Marie"… en sachant, bien, au fond, que je venais de te voir vivante pour la dernière fois.
De la colère et des larmes me sont venues.
Dehors, le jaune éclatant des mimosas explosait en silence. Saletés de boules jaunes. 
Il arrive que, le mimosa, putain, parfois,... pue.


21 avril 2019

Prune (Portrait de femme 10)

__ Ah ça on peut pas dire, elle nous aura bien fait chier. Jusqu’au bout.
Ils sont là, les têtes baissées, presqu’en cercle sous une pluie violente et glacée, une de début Novembre. Ils sont là sur un parking devant le cimetière, entourés d’immeubles, au cœur pollué d’une banlieue sinistre d’une ville sans âme. Ils sont quatre, ils sortent comme allégés d’un crématorium (Quel joli mot qui vous a un petit côté caramel mou...). L’un allume une cigarette, deux qui peuvent être jumeaux se parlent en douce, l’une, la plus jeune, toute de noir vêtue tient entre ses deux bras une urne funéraire contre laquelle elle semble se réchauffer. L’un, l’ainé sans doute, celui de la clope, dégoulinant de flotte, les épaules trempées, dans un souffle, parlant assez fort pour couvrir le bruit des gouttes sur les capots des voitures :
__ Ah ça on peut pas dire, elle nous aura bien fait chier jusqu’au bout.
__ Un peu de respect quand même fait l’un des deux sans trop y croire.
__ Quoi dis moi que j’ai tort ? Calancher en Novembre alors que ça fait deux ans qu’on attend, elle n’aurait pas pu faire ça en Juin ? Au moins on se les gèle pas, en Juin. Et puis si un jour on m'avait dit que je devrais casquer pour la récupérer, merci bien...
__ Arrête, c’est notre mère malgré tout, tu pourrais modérer… Au moins aujourd’hui…
__ Notre quoi, as tu dit ? Notre mère ? Elle ? Ah ça si il y a un truc qu’elle n’a jamais été c’est bien notre mère ! Tu as vu où que c’était ça une mère ? Qui  t’as élevée, toi ? C’est elle ou c’est moi ? Notre mère ? C’est la meilleure de la journée ! Il faut que je te rappelle tous les soirs de toutes les semaines de tous les mois de toutes ces années où elle foutait le camp, où elle disparaissait dans les valises d’un type de passage et qu’elle nous laissait seuls au monde à nous démerder avec rien. Combien de fois elle t’a emmené en vacances, ta soit disant mère ? Combien de fois elle est venue te chercher à l’école ? Combien de goûters  t’a-t-elle préparés ? Combien de chansons pour s’endormir elle t’a appris ? Combien de fois es-tu allé quelque part avec elle ? Cette femme là, elle vivait de temps en temps avec nous, de passage. Entre deux hommes, entre deux boulots, entre deux amours. Tu te rappelles que notre père en est mort de chagrin et qu'on s'est occupé de tout parce que Madame était ailleurs ? Tu t’en souviens de ça ? Dis ? Tu sais Prune il y des choses qu’on ne peut pas oublier. La seule chose un peu jolie qu’elle t’ait donnée cette femme là, enfin ce qu’il en reste et que tu tiens dans tes bras, c’est tes yeux verts. Pour le reste tu n’as rien reçu d’elle,  pas même  ton prénom. Prune c’est moi qui t’a appelé comme ça.  Elle,  figure-toi qu’elle avait choisi Cindy. Alors, tu vois bien. Je n’exagère pas, je ne dis pas du mal, je ne charge pas la barque, je fais le bilan. Et il n’est pas très jojo le bilan, si tu veux mon avis. Et ne va pas t'imaginer qu'elle nous a donné davantage à nous trois. Elle a été équitable. Nous avons reçu exactement la même chose que toi, c'est à dire, rien. 
Les deux autres qui n’avaient rien dit se sont approchés d’elle,  ils ont entouré Prune de leurs bras solides et lui ont soufflé à l’oreille :
__ Il a raison tu sais. C’était pas une bonne mère parce que ce n’était pas une mère. Regarde, elle ne nous a rien laissé d’autre que quelques dettes et deux, trois manteaux pourris. Tout ce qu’on possède aujourd’hui, le petit peu qu'on a c’est à nous que nous le devons, pas à elle.
L’un a essuyé une larme qui venait de naître au coin de l’œil de Prune et puis il a lancé :
__ Bon, si on rentrait, maintenant ?
Ils se sont engouffrés dans la bagnole et sont partis sur les chapeaux de roues. Pendant le trajet, ils ont gueulé ensemble sur un truc qui passait à la radio, qu’ils aimaient chanter à tue-tête. Pour une fois ça tombait bien. Et puis, ils ont ri, aussi.
Arrivés chez eux, ils se sont un peu bousculés dans l’entrée et Prune a lâché l’urne qu’elle tenait dans les mains. En tombant, en arrivant au sol, elle s’est ouverte et une bonne partie du gris des cendres s’est répandue en pluie fine sur le lino blanc de l’entrée...
__ Oh merde !
Prune a filé dans la cuisine. Elle est revenue un balai et une pelle à la main.
Alors, l’ainé dans un éclat de rire a lancé :
__ C’est le comble : Elle qui a toujours détesté tout ce qui est ménage, de près ou de loin, finir dans une pelle… En cendres et poussières, brossées par les poils d’un balai. Quelle misère. C’est à pleurer.
Les trois autres étaient pliés.
Au bout d’un moment d’une petite voix mais toute ferme, à genoux:
EndFragment
__Va chercher l’aspi, tu veux, a dit Prune, je m’en sors pas avec la pelle…

15 avril 2019

La sans (Portraits de femmes 9)

À part la tristesse et le faucon pélerin, on n’avait jamais vu un truc fondre sur un autre à une telle vitesse et une détermination si implacable. J’avais pas posé le pied en dehors de la bagnole qu’elle était à un mètre et m’adressait la parole.
Je n’avais rien vu venir, je ne m’étais pas aperçu de suite de sa présence plongeante. Il faut dire que je venais de passer deux heures au volant d’un four, thermostat huit et, à mon âge, après  deux cent bornes de ce régime là, la seule chose dont j’avais besoin était de me dégourdir les jambes et la vessie. Aussi, j'avais mis le clignotant à droite à la première station service venue. Je me foutais pas mal de la marque, je n’avais aucune préférence un peu comme si j’avais eu à choisir entre Al Capone et Pablo Escobar… Du moment que les toilettes, le sandwich étaient propres et les caissières souriantes, je me fichais bien du reste.
Comme je faisais le trajet régulièrement, j’avais fini par les connaitre toutes. Celle-là était dans la case correcte. Et bien que les filles y soient payées comme un peu partout désormais avec un lance-pierre quand ce n’était pas à coups de pieds au cul, elles restaient joviales au-delà du nécessaire ce qui rendait les kilomètres plus faciles à avaler.
___ S’il vouplait, vou allez où ?
___ Heu Bonjour…
Elle avait la trentaine, blonde avec des mèches, cheveux longs, fine, plutôt jolie, les yeux légèrement maquillés et un accent à couper au cutter. Europe centrale, à la musique j’aurais dit Europe centrale. C’était Pologne.
Si j’avais été elle, je ne me serais pas habillée comme ça en cette saison mais je n’étais pas elle. Des bottes en cuir noir sur un jean, un débardeur vert et du jean on voyait nettement sous le débardeur le haut d’un collant bleu marine. Un collant sous le jean ici en Juillet ?
___ S’il vous plait ? Vous allez où ?
___ Je vais aux toilettes…
___ Meuh non voyage voiture où vous allé?
___ À Antibes.
___ Vous pouve prrendre moi jousqu’à prochain sorrtie lé zadrretsse ?
Coincé. En montrant les toilettes, j’ai dit :
___ Oui, d’accord, je vous emmène, mais avant, je vais là-bas et je reviens, attendez moi là.
___ C’est que j’ai valises deux et grros sacs, là bas… Elle me montre un tas de valises et de  sacs pas dans une forme olympique regroupées sous un arbre. Les deux valises vaguement éventrées ne semblaient plus tenir fermées que par une sangle qui les bardait. Les deux sacs Leclerc Edouard en plastique eux, étaient si fatigués et si pleins qu’ils suffoquaient…
Elle avait toute sa vie avec elle cette fille là, je me suis dit…
___ Gens pas prrendre moi, oiturres pleines…
On était le treize de juillet, jour de départ en vacances sûr que les bagnoles fermaient mal. Pour trouver un peu de place où mettre tout ce barda, il faudrait avoir un trente tonne vide.
___ On va trouver de la place, je reviens.
Quand je suis revenu, j’ai compris qu’elle avait bien bien mal au dos et que je devais aller chercher ses sacs et ses valises.
J’y suis allé j’ai installé le tout à l’arrière et j’ai été surpris de vois que ça tenait. Ça ne sentait pas très bon mais ça tenait.
Et on a démarré. Je n’aime pas trop poser de questions aux gens que je ne connais pas, je n’en pose déjà pas à ceux que je connais… La peur de l’intrusion… Je n’aime pas que ça ressemble à un interrogatoire et en même temps n’en poser aucune peut vouloir dire que vous vous foutez pas mal de ce qu’il vit… Le fil n’est pas si épais que ça…
On a fini par parler comme deux vieux potes de Bardot, Belmondo et Delon, de la côte qu’était un bel endroit mais fait pour les riches, du soleil qu’est pas bon pour la peau, du boulot qu’elle allait avoir comme aide soignante dans une maison de retraite, de Plascassier où elle avait habité, de la Pologne d’où elle venait, des loyers qui sont hors de prix, de la vie qu’est difficile, de la clim qu’est bien agréable quand il fait si chaud mais que c’est idéal pour choper un rhume, des médocs qui sont si chers, de son magasin préféré qu’était Lidl… Bref d’un peu tout ce qui fait la vie. J’en prenais, j’en laissais et au fond, je me disais qu’elle n’avait pas une vie facile et que les paquets que j’avais enfourné à l’arrière de la voiture était toute sa vie….
On est sorti aux Adrets, je n’ai pas pu la laisser là, je lui ai proposé de l’emmener jusqu’aux prochains mousquetaires, elle avait faim, elle n’avait pas mangé depuis le matin, elle voulait faire des courses avant le soir puisque le lendemain, elle craignait qu’il soit fermé….
On a fait dix bornes pour le trouver, j’ai porté ses paquets à l’intérieur du magasin et je lui ai souhaité bonne chance…
___Gé soui dézole gé né pa arrrgent…
___ Mais, vous en auriez, je n’en voudrais pas, je n’ai pas fait ça pour être payé…
___ Ah non vous Mossieur Chri pas comprrendrre… Vous pouvoirr donner un peu arrgent pour manger moi ?

Quel crétin je faisais! Evidemment qu’elle n’avait pas un rond sur elle… J’ai ouvert mon portefeuille et lui ai donné un des deux billets bleus qui y étaient rangés.

Sur le coup je ne lui ai pas demandé où elle dormirait le soir, bien qu’aucun orage ne soit annoncé dans le secteur, je crois que j’ai eu peur de sa réponse…

08 avril 2019

Julie, qui sème la vie (Portrait de femmes 8)

Elle est fine comme un crayon papier bien taillé. Pas un gramme de gras. Une pointe sèche. Une femme qui marche, mieux, une qui court.
Qui sortaient de son gilet jaune de chantier d’autoroute, le visage et les bras déjà brunis de ceux qui passent leur temps dehors et les mains de ceux qui travaillent avec. Une silhouette élancée de coureuse  longues distances. Elle est sèche comme une ficelle bien cuite sortant du four. Les cheveux gris blancs coupés très court, presque ras, une petite perle de culture ronde claire à une oreille, un sourire large comme un Atlantique, un jean tombant sur des baskets qui ont été blanches, un accent américain à couper à l'Opinel. Des yeux bleus Paul Newman. Elle n’est pas provençale d’origine et n’a pas de la tapenade dans la voix, ça c’est certain. Elle a un sécateur à la main et s’active en bord de route, au pied du haut mur ceinturant et soutenant le petit village provençal perché à flanc de falaise de La Roque. Elle travaille sur une bande de terre d’un mètre de large et d'une centaine de long qu’elle façonne, modèle, bine, sème, plante, nettoie, ratisse, embellit à son gré. Pour le nôtre. 
Son jardin des remparts est en bord de route, le long du village, visible par tous, sans même descendre de voiture.
J’ai rangé mon engin à deux roues au bord de la route et nous avons papoté elle et moi comme deux vieux potes d’un quart d’heure qu’on était. Elle venait des amériques et elle avait travaillé au New Yorker, elle s'était réfugiée dans ce village un peu perdu (pas un commerce, pas un médecin, pas une galerie, juste un château hôtel là-haut).Elle en avait un peu après les gens du village qui regardaient d’un mauvais œil tout le travail qu’elle abattait, qui trouvaient qu’elle en faisait beaucoup, que c’était louche quelqu’un qui fait les choses, d’autant plus qu’elle faisait tout ça  gratuitement. Dans ce pays où plus de la moitié des gens se sont choisis une jeune députée blonde, nièce d’une autre, au discours de repli sur soi, d’exclusion et de rejet de tout ce qui n'est pas d'ici, ce n’était pas très étonnant. Elle avait un peu de mal avec ça parce qu’elle s’échinait aussi pour eux. Pour son plaisir à elle d’abord évidemment mais également pour le leur.
Ici, il n’y a que le maire qui est un peu content dit-elle. Tu parles, elle lui embellissait gratos son petit village perché du Vaucluse et, sans doute, un paquet de gens comme moi passait par là pour, simplement, admirer son explosion de couleurs, ses déflagrations de formes, ses entrelacs savants de tuteurs de branches fines de bois tressées, ses grillages attendant les hampes de volubilis, les rhizomes d’iris flambants neufs prêts à mauvir, jaunir bleuir ou blanchir. 
Là, elle était en train de gratter au pied les roses trémières qu’elle avait débarrassées des branches de l’an dernier. 
Et tout ce que ça me coûte... Je ne reçois pas un centime de personne. Ceci dit sans plainte. Mais il faut accomplir son œuvre et ce jardin c’est le mienne.
Tu parles que le maire était heureux. Il avait une cantonnière qui venait bosser tous les jours, lui fournissait les graines, les plans, les boutures, qui s’achetait ses propres outils, ne comptait pas ses heures, nettoyait le chantier et ne demandait rien en échange, qu’un peu de reconnaissance.
« C’est mon projet de fin de vie.. » m'a-t-elle dit en souriant mais d’un coup plus grave. 
À l’heure où le projet de vie de certains est de s’en mettre plein les poches, quitte à devenir député, voire Président, le sien est simplement d 'embellir nos vies en nous en mettant plein le coeur et les yeux et en cultivant son jardin.
Que soit fleurie comme elle le mérite l’âme de l’embellisseuse de La Roque sur Pernes.
Merci à vous Madame, je repasserai pour la floraison des trémières  en pensant à Giono L'homme qui plantait des arbres pour pouvoir dire:

Quand je réfléchis qu’une femme seule, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable.

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