28 août 2018

Vers l'automne.

On  s’avançait gentiment vers l’automne. 
Il fallait n’avoir jamais quitté de sa vie le centre ville pour ne pas s’en apercevoir. Même ceux qui habitaient en banlieue s’en étaient fait la remarque. Alors, là...
Les locations avaient fait le vide, les coffres des bagnoles le plein, les enfants étaient repartis, les fontaines et les fauteuils des terrasses redevenaient accessibles.
Si, au beau milieu du jour, la chaleur était encore écrasante, presque plus encore  qu’en Aout, désormais les petits matins pouvaient être noyés dans les bancs d’une brume légère, à peine posée sur les terres labourées de près, maintenant,  le cœur des nuits flirtait à la limite du frais, obligeant à se couvrir les jambes au premier réveil, certaines feuilles du figuier qui avait tant donné, étaient devenues jaunes en une nuit, dans les champs poussiéreux du manque d’eau, où les tournesols avaient été coupés la terre se fendait de longue  à cause du sec, sur les étagères de la cave les bocaux de confitures étaient à nouveau pleins, les écorchures des bras,  traces vives de la récolte de mûres en bord des routes, commençaient à cicatriser, le soir, au dessert, si tu voulais pouvoir encore trier dans ton assiette, il fallait se mettre à table un peu plus tôt, le noir s’en venait vite. La nuit, les étoiles filantes avaient fini de laisser leurs traces dans le noir, le jour, dans les rues, les rires en cartables passaient en bandes à heures fixes, on pouvait entendre la cloche de l’école sonner les heures des récréations, dans les maisons, on n’avait pas encore vraiment rangé les serviettes de bains dans le fond des placards, elles restaient là, lavées, pliées mais à portée de dos au cas où un dernier jour à la mer, avant qu’elle refroidisse, s’organiserait sans crier gare. Dans les vignes, si les rangées, comme les grappes, devenaient noires c’était aussi de monde, chacun un sécateur à la main remplissant les caisses de grappes obèses. Au marché des fins de semaine, malgré le desséchant manque de pluie, on commençait à voir les premiers champignons débarquer d’Italie ou de Roumanie enfin de ces pays où là-bas, il avait, enfin, plu…
On allait entrer dans l’automne, et, d’après ce que me disait mon petit doigt,  ce n’était pas encore cette saison que tu poserais tes valises sur le pas de la porte, avant d’appuyer un doigt sur la sonnette pour que je vienne t’ouvrir avec un large sourire étonné…
Il avait même ajouté, ne mâchant pas ses mots, ce salopard, qu'en vrai je pouvais toujours me brosser.
Ce que dans le fond...  j'allais faire.  
Comme on ne peut raisonnablement pas prévoir ce que l'avenir nous réserve, ce sera ou AVC ou coup de foudre? 
Dans les deux cas, Il faudra penser à rester... présentable.


15 août 2018

Ma Marinette.

Ma belle, ma toute belle. Mon petit bout de femme malade:
Comme il paraît grand ce lit pour toi toute seule dans ce vieil hôpital sordide. Comme tu sembles perdue dans le jaune pâle des draps de la Publique Assistance. Comme ton pauvre corps s’est rapetissé, comme ton vague sourire en me voyant entrer dans la chambre s’est vite voilé, comme ta main s’accroche à la mienne, comme tu as peur, comme tu as mal, comme tu te tais. On a baissé les rideaux de plastique blanc pour que le soleil ne te brûle pas les yeux. Il règne ici une ambiance étrange, un mélange de terreur et de douceur. C’est sans doute dû à cette sale odeur. Assis sur le rebord du lit tous nos doigts mêlés, les tiens déformés par l’arthrose, une vie dans la terre et l’eau froide ça laisse des traces, les miens tremblants de frousse et de rage mêlées. Je fais comme toi, je ferme les yeux et je te revois dans ta campagne un foulard noué sur la tête, belle comme une Anna Magnani des asparagus, fleur parmi les fleurs, courbée en deux sur les boutures à couper, sur les fils à nouer, sur les œillets à cueillir. Les pieds dans l'humide d'une boue dense, la tête dans les étoiles. C’est courbée qu’à chaque fois je t’y revois. Et pourtant il n’y en a pas de plus droite que toi.
Sauf quand tu piquais des cigarettes dans le paquet de ton homme, mon grand-père, pour me les refiler en douce. C'était des Kent à bouts filtres dans un paquet blanc... Si un jour j’ai un cancer, je te le devrais, en partie… Du pancréas, le tien, celui qui te recroqueville, aujourd’hui. Une tumeur maligne pour une douceur maline. Qui te fait me dire dans un souffle devenu faible, si faible, toi qui était forte, si forte: « Je n’y arrive plus, je n’ai plus envie, je ne veux plus être couchée, je veux être debout... » Qui t'empêche de te nourrir toi, toi qui se mettais en cuisine comme on s'habille en dimanche. Vous ne l'avez jamais vue, vous, d'un coup de fourchette magique faire d'une boulette de pomme de terre un gnocchi parfait? Elle les faisait par mille et c'était mille magies.
Au plein milieu des serres de fleurs coupées, le Château de mon enfance, ta maison, enfin: le cabanon. Un cabanon n’est pas une cabane dit la chanson. Pas loin. C’était une seule pièce en dur, presque perdue entre les serres, un ancien mazet qui vous servait de chambre et le reste autour construit en châssis de verre. Il y avait encore l'anneau de métal auquel on accrochait la mule. Protégé du soleil par un cerisier qui donnait des fruits gros comme le poing, rouges comme le sang, des bigarreaux d'un autre monde. Collée à lui, une pièce fraîche tout l’été. Il y avait dedans les frigos, les bacs pour tremper les œillets, les roses et la table à monter les bottes. Cinquante fleurs par botte, cent bottes à chaque envoi... Entre les deux, un citronnier qui, lui, sans mentir, pondait des citrons gros comme des pastèques. Plus loin quelques pêchers qui nous faisaient les babines humides.
C’est là que j’ai passé mes étés d'enfance. C’est là que tu t’échinais jusqu’à pas d’heure. Il les fallait bien rangées, ces bottes pour les vendre à la Criée. Tu me l'as sans doute transmise ta main verte ...
On imagine mal, quand on a huit, neuf ans, qu'on court toute la sainte journée pieds presque nus sous un soleil écrasant, qu'on côtoie des vies d’esclaves. Tu en étais une, d'esclave. Au toujours si beau sourire. Une belle femme disait-on de toi. J'ai su plus tard que tu avais eu une jeunesse dansante... que la vie avait  un peu gâtée, une esclave de la terre, accrochée à elle parce que c’est comme ça, c’était ton chemin, ton destin. Une vie qu'on ne discute pas, qu'on ne remet pas en cause et cette campagne où tu trimais était mon terrain de jeux. Mon préféré de tous.  On l'imagine assez mal surtout quand l'esclave ne se plaint pas, quand il a l’élégance de sourire. À chaque fois que j’en repartais j’en avais les larmes aux yeux jusqu’à l’âge de seize, dix sept ans. Après, on s'endurcit. Un peu. Et puis, un jour on perd la première de ses grands-mères, Jeanne, vidée de toutes ses forces quand l'amour de sa vie s’en était allé. C’est quand ceux là nous abandonnent que notre enfance meurt.
En passant devant la salle de pause des infirmières, je les ai vues écouter Arno chanter "Dans les yeux de ma mère", sa voix de fin de nuit rocailleuse m’a poursuivi jusque dans l’escalier et dehors, j'ai murmuré avec lui : "Dans les yeux de Marie"… en sachant, bien, au fond, que je venais de te voir vivante pour la dernière fois.
De la colère et des larmes me sont venues.
Dehors, le jaune éclatant des mimosas explosait en silence. Saletés de boules jaunes. 
Il arrive que, parfois, putain, le mimosa pue.



Image du net.


13 août 2018

Le soir des étoiles.

Il y en avait de tous les sexes, de tous les âges, de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de toutes les corpulences, de tous les niveaux sociaux. Ils échangaient à peu près dans toutes les langues. Parfois même avec accents. Il y avait des grands, des petits, des gros, des minces, des musclés, des maigres. Il y avait des solitaires,  d’autres sans. Il y avait des avec animaux, des couples, des groupes de connaissances ou d’amis, des familles sans enfants, des familles avec poussettes et enfants autour, des familles avec poussettes pleines. Dans les familles avec poussettes pleines, c’était souvent les pères qui poussaient. Une manière pour eux de se rattraper de ce qu’ils ne faisaient pas le reste du temps? Il y avait ceux qui parlaient en marchant, ceux qui se taisaient ensemble, ceux qui léchaient une glace en évitant les coulures, le long de leurs bras, pour la plupart nus. Il y avait ceux qui, le plus souvent des jeunes, avançaient en regardant leur écran de portable, ceux qui étaient là sans y être.
Il y en avait qui pensaient s’être habillés pour l’occasion, ceux qui s’étaient mis sur leurs trente et un d’été : larges panamas, chemisettes à crocos, bermudas de couleur et mocassins en peaux sans chaussettes pour les hommes, robes pimpantes en lin, sandales à petits talons et à lanières fines pour les femmes. Cheveux faits ou défaits, calvities ou pas et le plus souvent barbes pour les hommes. La mode.
Il y avait ceux qui visiblement s’en étaient foutu comme de leur première chemise et qui avaient enfilé ce qui leur venait sous la main. Ça donnait des allures étrangement laides comme des débardeurs improbables sur des shorts en lycra boudinant, les pieds nus dans des claquettes hors d’âge… Les municipalités, si elles étaient un peu vigilantes, devraient créer des brigades anti-mauvais goût qui arpenteraient, la nuit venue, les rues des villes touristiques et demanderaient aux débraillés en tous genre, d’aller, au minimum, se rhabiller pour sortir afin d’éviter à leurs contemporains les tristes spectacles auquel on pouvait, parfois, assister. Elles devraient le faire sous menace d’amendes plutôt salées ou de travaux d’intérêts généraux comme balayer les trottoirs des mégots des plastiques ou autres petits pots de glace vides que ces salopards en goguettes ne manquaient pas de balancer au sol. C’est fou ce qu’ils pouvaient avaler comme glace du reste. D’ailleurs en ville, en cette saison, avec les pizzas et les kebabs on ne voyait plus fleurir qu’eux comme commerces. Il était devenu impossible d’y trouver une poissonnerie convenable.  Les gens étaient de la viande rougie par le soleil, en mouvement à peine couverte, des poils hirsutes sortant des marcels sales, des tatouages, ah les tatouages… Souvent loupés sur des triceps avachis, des épaules flasques,  ethniques de l’hémisphère sud  sur des peaux de roux, dédiés à des prénoms douteux, j’en passe et des plus laids. On marche avec eux sur la voie piétonnière du centre ville, le long du canal premier, en bordure des restaurants aux terrasses bondées, on avance au milieu d’eux dans les mauvaises odeurs de cuisine vaguement rance, dans le brouhaha des conversations, des pleurs, des rires des aboiements et à les voir faire, on se demande quelle est l’idée principale de cette déambulation estivale de début de nuit ? Un rite ? Un comportement collectif à caractère religieux ? Social ? Une façon de passer le temps ? D’attendre l’heure du coucher ? Une manière d’être ensemble ? On les regarde, on les dévisage et on se dit surtout qu’on n’aimerait pas les avoir comme compagnons de camp de réfugiés,  ni comme acolytes, ni même comme semblables. Et pourtant.
Où seront-ils tous, en Novembre quand le mistral voyou balaiera le quai, la rue, les tables et les chaises, la ville, la région, la province et qu'il fera nuit glaciale à l'heure du goûter?
Alors qu’au dessus de leurs têtes vides, la terre allait traverser le nuage des perséides et que le ciel s’apprêtait à offrir le spectacle majestueux d’une averse d’étoiles filantes, tout ce joli, si l’on peut dire, monde  trainait des pieds dans la rue, en grappes, en tas,  en nombre, en marche lente, en allers retours vains. 

Mais dis, toi, qui fais le malin tu étais où ce soir là ?
Il faisait nuit, il faisait doux, les premières étoiles commençaient à illuminer le noir, en pluie.






11 août 2018

L’heure de la sortie.

La chaleur qui, pendant plus de trois longues semaines, avait accablé tout ce qui vit venait de  foutre le camp avec les dernières violentes pluies d’orage délugeant le pays. 
Là, où pourtant rien ne semblait avoir changé, deux jours de pluie et tout était différent. Tous autant qu'on était, on avait basculé dans un autre régime, on était passé à autre chose, on avait atteint une autre rive. Hier, juste avant que le ciel ne s’assombrisse, que les vents se lèvent en bourrasques folles, que le ciel ne gronde, que des grelons gros comme des poings d’enfant ne s’abattent sur nos tuiles incrédules nous étions au plein cœur de l'insouciance du bel été. Aujourd’hui, après le passage de l’orage comme une colère explosive, comme un coup de sang, comme un sursaut, rapé, l'été, nous sommes en automne.
Les nuits si pesantes, si écrasantes se sont faites plus douces. Désormais, le frais nous réveille dans le milieu de nuit et nous pousse à chercher du bout du pied une serviette, un drap, une couette même, pour nous couvrir le corps légèrement frissonnant. Le matin, quand la fraicheur s’engouffre par la porte fenêtre et nous souffle au visage, nous enfilons un tee-shirt en ouvrant les volets . Il se peut même qu’au fond, là-bas, vers la haie de tuyas, une brume diffuse dissimule le fond du jardin juste avant que le soleil apparaisse. L’épaisseur même de l’air a changé. On y avance plus aisément, il nous freine moins qu’avant hier, qu’avant le Grand déluge.
Partout, le vert est revenu grâce aux trombes d’eau qui ont douché le coin, certaines plantes se sont redressées, d’autres sourient à nouveau. Elles qui étaient exténuées, assoiffées, sans force ont récupéré leur vigueur, leur élan, elles se remettent à fleurir. Nous sommes comme elles. Une énergie nouvelle nous envahit, nos pas s’accélèrent, nous sommes allégés. La pluie a laissé de nouvelles odeurs advenir, la terre exhale l’humus humide et le champignon à venir, les escargots sortent de leurs cachettes et se baladent sous nos pieds attentifs. Le soir, la nuit s'invite plus tôt,  les soirées ont eu vent de finitude. Dans les bennes des déchetteries municipales finissent de se vider les premières licornes dorées, encore chevauchées par des rires d’enfants. Au fil des crevaisons, les flamants roses, les tranches d'ananas et autres crocodiles verts géants suivront. Le long des chemins, dans les ronciers belliqueux, les mûres noircissent, dans les figuiers les fruits mûrissent dans les placards des cuisines, les réserves de sucre grossissent, l’heure des confitures de fin d’été approche, le temps de la fin des vacances n’est plus si lointain. Elle s’installe gentiment dans les têtes. L'été vit ses derniers souffles. 
Il va bientôt falloir refaire ses bagages. 
L’automne ne devrait plus trop tarder, maintenant. La rentrée en sera un des premiers signes.  Celle-là aura un goût particulier puisque ce sera la dernière. 

Une ultime rentrée comme un pied de nez à une sortie, quelques jours plus tard... définitive.



Publications les plus consultées