31 décembre 2019

Comme tout le reste

Hier vers la fin d'après midi, l'épais brouillard qui avait ouaté le coin une grande partie de la journée avait fini par se dissiper pour laisser place à un grand beau  clair, général et réjouissant.
J'ai fait pareil. Je me suis dit c'est le bon moment pour un thé avant que la nuit, le soir et le gel s'amènent.
Je me suis bien couvert, en couches, il fait d'autant plus froid en motocyclette que c'est humide parce qu'il y a beaucoup d'eau un peu partout dans les champs et je suis allé vers la ville. J'ai garé ma bécane près de l'église, le long de la collégiale et je suis allé me poser en terrasse. Nous n'étions pas nombreux à braver l'ombre. En vrai, j'étais seul.
Un thé s'est pointé. De quoi remplir deux tasses.
Et puis, alors que le noir commençait à grimper le long de la tour de la collégiale, que les lumières s'allumaient dans les rues, un grand type un peu brun s'est assis sur un siège à côté.

Je l'ai reconnu de suite. C'était Daniel, mon Daniel que j'avais depuis peu. Celui dont j'ai raconté notre rencontre quelque temps avant: Daniel, un ami à rosé.
Daniel avec qui j'étais comme cul et chemise il n'y a pas quinze jours. Daniel qui me devait un verre, une bouteille, une cave. Daniel mon ami de toujours à jamais. Enfin Daniel, quoi.
Je l'ai reconnu de suite. 
Lui pas. 
Pourtant, il m'a semblé sobre cette fois. Il ne m'a pas vu, pas adressé la parole, pas calculé comme ils disent. Il a regardé droit devant lui. Et voilà, c'était fait, je n'étais déjà plus rien.
J'ai bu la dernière gorgée, je me suis levé, je me suis rhabillé j'ai payé et je suis parti.
Notre amitié si soudaine, si profonde, si surprenante n’était donc qu’un feu de paille? Elle était donc morte et enterrée à peine née, un peu comme l'année qui  tout autour de nous était en train d’agoniser.

Si j'en ai été un peu peiné, il n'est jamais agréable de ne pas être reconnu, je ne lui en ai pas voulu, je sais combien sont fragiles les amitiés de comptoir. Qu'elles s'effilochent à peine tissées... Qu'elles s'évanouissent à peine évoquées...

Comme tout le reste





17 décembre 2019

Un jour de marché

Le cauchemar du matin m’avait laissé d’humeur maussade,
J’ai voulu sortir pour m’en défaire.
Un peu roulé dans la campagne inondée,
Puis trainé dans les rues de la ville.
C'était animé comme un jour de marché.
Un monde plutôt gai déambulait, commerçait.
J’ai rencontré des visages connus
Et croisé d’autres, encore inconnus.
Mais tous ou presque avaient le sourire aux lèvres.
Ça m’a, sur le champ, consolé. 
Ces sourires ont fait revenir le mien.

Et puis, d'un journal me sont parvenues les nouvelles du monde...




13 décembre 2019

La la sol fa mi ré

Qu'arrive-t-il au cœur?
Comment peut-on, parfois, être fauché en plein vol comme une bécasse en Beauce un douze de novembre ? D’où vient que, d’un coup l’énergie peut nous quitter, comme si nous étions victimes d'une fuite géante, d'une béance et alors, que tant de vide puisse s’insinuer si vite en nous ?
Un demi s’il vous plait.
Le type en train de se poser ces questions d’une manière lancinante voire pleurnichante était entré depuis peu dans le bar. Il s’était accoudé au comptoir les pieds dans la sciure et regardait loin derrière le mur de bouteilles. En vrai, il ne voyait rien ni personne. Il dégoulinait encore de la pluie de dehors quand le demi s’est posé devant lui. 
Autour de sa présence, un vague brouhaha de bar. Un flipper sonnait dans un coin, un couple s’engueulait vaguement c’est toi, non c’est toi, de la vapeur sortait de la machine à cafés et dehors les bruits des grands boulevards un soir de semaine de novembre de pluie. Une gaité folle. Une tristesse éblouissante. Un gris étincelant.
Il a descendu son demi et en a vite demandé un autre. Histoire de se mettre le cerveau dans les brumes.  Un verre vide c’est comme un verre plein, c’est du malheur à venir s’était il dit. Tu parles, il est déjà bien là, on dirait. Boire pour oublier que j'ai bu.
Il se parlait à lui même comme le font tous les types un peu seuls. Au début ils le font en silence puis il s’y mettent à voix haute, alors ils n’arrêtent plus. Les questions, les réponses, les reproches, les engueulades, tout y passe. Ils finissent par être plusieurs dans leurs têtes et, dans les rues, à leur approche, on se met à avoir peur et à changer de trottoir. Il n’y a plus qu’eux qui ne peuvent changer de rien. C’est une lente si lente descente. Les gens se disent encore un qui n’est pas seul dans sa tête. Ils n’ont pas tort, finalement. 
Il a entrepris le serveur sur l’absence d’œufs durs sur le comptoir. Avant, il y en avait toujours, on les mettait dans un petit présentoir circulaire, sur deux ou trois étages, quand on en prenait un, il était remplacé de suite, on les écalait à même le zinc et on pouvait ou l’engloutir d’un coup ou s’étouffer un peu avec le jaune en plusieurs bouchées. Pourquoi y en a plus dans les bars  des œufs durs ?
Qui pouvait se poser ce genre de question si ce n’était pas un type très seul ?
Le serveur a marmonné : J’en sais rien, moi et puis je m’en fous à vrai dire. Je n’ai plus les coquilles à ramasser c’est tout ce que j’en sais. Peut-être que certains restaient là trop longtemps. Il n’a pas entendu la remarque du gars : Pour un type qui n’en a rien à foutre vous en dites pas mal quand même.
Au troisième demi, il n’était plus là, il avait filé, il s’était envolé et personne ne le rattraperait avant un bon moment. Il se tenait debout ancré au sol appuyé sur un coude au comptoir. Il ne vacillait pas, il ne perdait pas son équilibre que tous sentaient bien précaire quand même.
C’est là qu’une voix s’est faite entendre, le serveur avait trafiqué un poste derrière le bar. Une voix d’élégant chanteur canadien mort a envahi l’espace et tout le monde s’est tu. Du fond d’une grotte est arrivé : I was always working steady but i never called it art…
Tous ici avaient l’âme dressée.
Puis, tous ont entendu les six petites notes, les six la la sol fa mi ré égrenées au piano  juste après le refrain. Elles ont fait dans les cœurs des présents autant de dégats qu’une bourrasque de plein cyclone. Six petites notes de rien à peine effleurées, à peine évoquées, une grappe d’émotion renversante qui a emporté  ceux qui les ont reçues. C'était courant ça quelques notes qui emportent tout sur leur passage, qui font qu'il y a un avant et un après, qui bouleversent et s'en vont comme une crue de rivière mais qui laissent des traces si ineffaçables qu'on les porte toute sa vie et qu'elles font revivre comme si on y était les instants à chaque fois qu'elles sont jouées.
Alors des larmes ont coulé sur les joues du type qui, à cet instant seulement, rattrapé  par son chagrin, s’était mis à vaciller.
Qu'arrive-t-il au coeur?

Allez, j'en reprends un, ça me fera le litre... J'aime bien les comptes        ronds


Un Léonard Cohen est visible dans cette vue de Montréal...

28 novembre 2019

Un ami à rosé

Comme il ne pouvait plus tenir bien droit debout, il s’est assis. D'un coup, en entier. À ma table. Avant que j’ai pu dire quoique ce soit.
Et voilà j’avais un nouvel ami. Qui sentait le rosé à plein nez, qui articulait bizarrement et qui m’a gentiment demandé si je préférais être seul, tranquille ce que che peu gonprende chuffit de le me dire… mais qui s’est foutu dans les grandes largeurs de ma réponse puisqu’il était resté. Je l'ai regardé en coin. Il avait dû être bel homme avant que les litres ne fassent leur effet. Un brun très nébreux, portant un poil de travers mais pas mal. Il était bien fringué, tout en noir. Sans pellicules sur son polo.  Bon, il tordait un peu la bouche en parlant, il avait de temps à autres des renvois qui remontaient de loin et ne présageaient rien de bon. Un Alain Barrière qu'on aurait oublié de repeindre, vous voyez le genre?.
Le serveur est arrivé il m'a demandé ce que je voulais boire. Un thé, j'ai dit. 
Un thé ? L'autre a fait surpris, comme si j'avais dit une grossièreté et il a ajouté trébuchant: Pour moi un audre rosé chteuplé ché moi qui paye épicétou. 
 À quatre heures de l’après midi ce n'était visiblement ni son premier ni son dernier. En était-il encore à un apéritif qui aurait un peu trop duré ? 
Quoi qu’il en soit, il était fait comme un z, cuit comme une daube, bourré comme un urne en dictature. Les yeux dans le vague, il avait un mal de chien à articuler les trois quatre pauvres mots qui lui venaient. Dans le désordre, mais quand il en trouvait un qui lui convenait, ça pouvait ne pas être le bon, tout content, il le répétait deux ou trois fois comme un Bayrou qui s'abandonne. Et pire, il avait aussi des difficultés sans nom à attraper puis à suivre une malheureuse idée. À part descendre son énième rosé sans trop le renverser, au fond, je n’ai pas su ce qu’il voulait me dire. Une tannée. Le genre de gars en face de qui tu n’as pas envie d’être. En face de qui j’étais.
Nous étions en fin d’après midi. Il avait fait une belle journée après les deux ou trois semaines de dépressions qui nous étaient passées dessus. C’était le premier jour où on se remettait à sortir un peu. À prendre l’air qui, aujourd’hui était doux. J’avais roulé en moto sans être congelé, j’avais garé l’engin au pied de la Collégiale baroque et rénovée de près depuis peu, j’avais fait à pied un tour de ville pour regarder où en étaient les canaux qui la parcouraient. Le niveau n’avait jamais été aussi haut, la flotte baissait la tête pour passer sous les ponts. Encore quelques centimètres et, c’était certain, elle irait faire un tour en ville. Tout le monde ici venait lui jeter un œil suspicieux en priant pour qu’elle se tienne tranquille. Je m’étais installé en terrasse pile dans le cadre de la photo de Ronis et j’avais demandé un thé. Tu vieillis, toi je m’étais dit juste après avoir prononcé  le mot thé. Et le type debout mais vacillant juste en face s’était assis.
J’ai entendu le serveur me dire : S’il vous embête dites le moi je le rentre comme si c’était une plante verte ou un animal, comme si il n’était pas là. D’ailleurs, il n’était pas là tout entier. Son corps oscillant, oui mais pas sa tête, enfin pas toute sa tête.
Il m’a dit que j’en avais une bonne, qu’avec ma barbe j’avais l’air sympa et parisien que si je voulais qu’il s’en aille il suffisait de le lui dire. Je lui ai dit. Il n’a pas dû entendre.
Merde, j’étais venu là pour être tranquille, peinard, prendre une demi-heure au calme et réfléchir un peu à cette nouvelle qui me donnait du fil à retordre. Il m’a raconté qu’il était blindé de thunes et natif d’ici qu’en revanche je n’avais pas une tronche à être d’ici mais que j’avais le droit d’y rester. Qu’il avait fait des conneries mais qu’il avait payé, que son fric lui venait d’un trafic de drogue mais qu’après la prison il avait arrêté, que tout le monde le connaissait ici. Tu parles, vu le nombre de rosés qu’il devait engloutir il était connu comme le loup blanc. Que je ne risquais rien qu’il ne me ferait aucun mal, que putain la vie était une chienne, qu’il était alcoolique, ce que j’avais diagnostiqué un peu avant qu’il me l’annonce.
J’essayais de me concentrer pour à l’intérieur remettre en ordre ses idées qui sortaient de sa bouche comme des envols de passereaux et ce n’était pas le plus facile. J'ai tenté parfois le second degré mais j'ai vite arrêté, j'ai bien vu que mes mots restaient au niveau de ses oreilles mais n'entraient pas. De temps en temps il secouait la chaise d’à côté et manquait de renverser son verre créant une tempête de rosé. Il y en avait un peu partout sur la table. Toujours ça de moins qu'il ne boira pas.
En vrai, j'étais partagé à propos de Daniel: Il m’avait pourri ma demi heure de calme mais il m'avait offert une page. J’ai vidé mon thé et j’ai profité d’une de ses interminables pauses entre deux phrases pour me lever, lui tendre une main que j'ai voulu définitive en lui mentant :
Daniel, j’ai été ravi de vous rencontrer et de parler avec vous, mais il faut que j’y aille. Ma moto m’attend puis, j'ai appelé le serveur et payé les deux boissons.
Daniel, intarrissable m'a fait promettre et ça a pris un peu de temps que la prochaine fois c'est lui qui paierait son verre quelque soit l'heure du jour ou de la nuit qu'on se reverrait ici qu'il trainait souvent dans le coin, que je ne pouvais pas le louper et que je pouvais compter sur lui qu'une parole c'était une putain de parole... J'étais déjà parti.
En enfourchant ma moto, je me suis dit en souriant que, depuis ce soir, j’avais un nouvel ami.
Seulement voilà, je n’étais pas sûr qu’il se souviendrait de moi une fois prochaine et ça m'allait très bien.
Daniel et moi c’était de l’éphémère, aussi volatile que de la vapeur de rosée.



25 novembre 2019

Mort sûre

Comment s'y prendre, comment le lui dire, elle ne savait pas. Ce dont elle était certaine, mais absolument certaine qu’elle devait, maintenant, lui parler. 
Elle avait tout tenté pour ne jamais arriver au pied du mur auquel, finalement, elle se trouvait. Sans y parvenir. Malheureusement. Pour elle et pour lui. Encore quelques jours et elle ne pourrait plus reculer. En vrai, le pied du mur était derrière elle. Elle savait ce qui viendrait avec ses mots, elle n’en avait pas du tout envie. L’affronter lui semblait au-dessus de ses forces, continuer à se taire lui paraissait pire. Elle savait qu’il allait tour à tour sangloter, pleurer, rejeter, ne pas croire, s’emporter, hurler, menacer, s’affaisser, tomber, se murer. Elle aurait aimé s’épargner cette cascade de réactions, s’en préserver pour pouvoir passer directement des sanglots à l’effondrement. Elle lui aurait bien suggéré, puisque c’est ce qui allait inévitablement arriver, autant gagner du temps, autant ne pas gaspiller d’énergie, et ainsi éviter de se vautrer dans la comédie, dans le drame, ne pas surjouer, ni la douleur, ni les emportements. Un peu de discernement, de froideur, de raison que diable. Elle savait aussi qu’il finirait par s’en remettre. À part les très grands drames, on se remet toujours, de tout. Alors, soyons adultes. Ne versons pas dans des caprices bêtement enfantins. Tu vois, tu sens bien que ma décision est mûrie, réfléchie, mieux qu’elle est enfin prise, tu as bien compris que cela étant, je ne reviendrai pas dessus, alors épargne moi ces pleurs, ces cris ridicules. Epargne nous les grimaces et simagrées, ne me menace de rien, ne rend pas les choses plus difficiles qu’elles ne sont, affronte les, accepte les, accompagne les tu verras, tu te surprendras, tu en sortiras grandi, tu seras fier de ta réaction, tu pourras te regarder en face. Tu n’auras pas été cet être faible et larmoyant, nom de Dieu tu te seras comporté en homme, sûr de lui et de sa force. Tu seras resté digne et tu t’aimeras davantage. Tu vois tu as tout à gagner dans cette affaire qui ne sera plus une affaire mais une simple péripétie, une petite aventure, un incident de parcours que la vie réserve. Au fond au lieu de te blesser, je vais t’aider à grandir, à déployer tes ailes, à te défaire des chaînes qui t’entravent. Tu vas après cet épisode devenir, enfin cet adulte que tu penses à tort être aujourd’hui. Il te faut faire quelques progrès. Malgré toi, contre toi même je vais te venir en aide. D’ici quelques mois, quand tu auras réfléchi à tout ça, quand ta peine se sera adoucie, quand tu seras capable à nouveau de peser les pour et les contre avec une balance fiable, tu me remercieras. Alors, un soir profitant de l'ambiance de douceur que le feu crépitant accompagnait, aidée par les effets troublants d'un deuxième verre de gin, elle s’est lancée :

___ Mon amour, mon bel amour, il faut que je te dise, je suis devenue végétarienne.
Puis après un silence pesant:
___ À partir de maintenant jusqu’à nouvel ordre, je ne mangerai plus d’animaux morts, à cause entre autres de Marguerite. 
___ La vache ? 
___ Non, Duras: Elle a dit et je suis en plein accord avec elle: Les animaux sont mes amis or je ne mange pas mes amis.
J’ai tenté : 
___ Mais… 
Elle a posé un doigt sur ma bouche pour me faire taire, s’est approchée de moi et m’a embrassé doucettement dans le cou.  C’est le baiser le plus tendre que j’ai jamais reçu d’elle. Son premier baiser de végan.

Je me suis senti saisi d'un plaisir infini. D’un coup, une sérénité sans faille m’a envahi. 
J'étais comme on dit heureux car je savais que désormais, sur terre, il n'y avait plus que le froid qui pouvait me mordre.

14 novembre 2019

Quatre ans

Voilà quatre ans j'ai écrit ça, ça s'appelait "Ils" je ne déplace pas une virgule:


Ce jour là, ils se sont réveillés, ils se sont habillés puis ils sont montés dans des voitures, ils ont sans doute traversé la ville ou bien le pays, ils sont venus à pas feutrés, en silence, en cati-mini. Le soir venu, ils se sont rendus dans des quartiers plein de vie, de jeunesses joyeuses, d’insouciance légère. Alors, ils sont sortis de leurs voitures et puis ils ont armé leur engins de mort et le sang gelé, ils ont tiré des balles dans le dos de nos enfants désarmés qui écoutaient de la musique, mangeaient en terrasse, riaient, échangeaient, buvaient un verre avec leurs amis… Ils ont tiré sur nos enfants. Ils les ont transpercés de balles, déchiquetés, coupés, troués, achevés, les uns après les autres, en prenant leur temps, en y revenant, en recommençant, en rechargeant leurs armes, en ne s’occupant nullement de savoir sur qui ils tiraient. Ils ne blessaient et tuaient ni des juifs, ni des musulmans, ni des catholiques, ni des gens de droite, ni des gens de gauche, ils blessaient et tuaient des enfants, nos enfants, qui vivaient, un vendredi soir dans Paris… 
Ils l’ont fait froidement, implacablement, longtemps très longtemps. 
Puis, leur folie furieuse exprimée, leurs crimes, leurs carnages, leurs entreprises de destruction terrifiantes accomplis, à bouts de munitions, à bouts de leurs arguments, à bouts de puissance, ils se sont fait exploser.
Et vous savez quoi ? Ils étaient eux aussi des enfants. Perdus, terrifiants, épouvantablement effroyables, assassins, meurtriers, tueurs, mais des enfants. Du même âge que ceux qu'ils ont  tués.
Et nous voilà maintenant, les autres, les épargnés, les encore vivants avec notre infinie tristesse, avec nos larmes pour un oui, pour un nom, avec notre rage, avec nos questions, avec nos peurs… C’est qu’il nous reste des enfants… 
Quel autre assassin va venir nous tirer dessus ? Où ? Quand ? Dans quel quartier ? Dans quelle ville ?
Ce terrifiant sentiment d’impuissance parce que  nous n’avons pas su les protéger nos enfants, ni  d’eux même ceux là qui ont tué.
Et nous sentons bien que ce n’est ni la force, ni la violence, ni une surenchère à la haine qui pourra régler ça définitivement…

Parce que c’est bien ce que nous désirons le plus au monde: La paix. Que de la folie dure on revienne à la raison douce.


11 novembre 2019

NOOOONNN

Autant je peux aimer certains mots ou expression peu courants comme caqûre, loquis, le misonéisme, feudiste, grageoir ou courir le guilledoux, faire la rue Michel, autant certains autres peuvent m’urtiquer fortement l’épiderme et me mettent dans un état d’extrême tension:
C’est par exemple le cas lorsque je lis un message qui se clôt par la syllabe : Bizzz. On n’est pas des abeilles, quoi! 
Au lieu de ces trois z répétitifs, « s e s » après "bi" fonctionne très bien.
C’est aussi le cas des« partir sur » et « être en »:
«Je vais partir sur une salade Mykonos en Avignon» serait le summum.
Qu’ils m’énervent les gens qui ont fait ou vont faire le  Maroc,  ceux qui ont fait Rio, le carnaval de Venise ou qui, cet été vont faire le cercle polaire en camping car…
Le monde n'attend pas qu'on le fasse!
J'avoue que je n’ai pas très envie d’écouter une histoire qui commencerait par:
 «En fait…» Oui, c’est ce qu’on attend les faits.
Je bave quand j’entends un couple parlant de leur enfant ce : « mini nous »
Ou un père bafouillant d’éperdue fierté : « Mon fils ce mini moi ». À gifler.
Une phrase qui commence par « Franchement » n’est presque jamais bon signe…
C’est comme après une saloperie reçue, entendre le : « Je déconne ou je blague… »
C’est sans doute pour rire mais pour que TOI tu ris et il n’empêche que ton missile m’a bien atteint.
Une autre expression qui me gonfle fortement la glande à colère est celle qui dit que ce n'est "que du bonheur". Elle est idiote, si ce n'était que ça, ce ne serait déjà pas si mal. Quand je l'entends, mon malheur n'est pas loin. "Avoir un enfant c'est que du bonheur"... Ben non, c'est du manque de sommeil, aussi.
Je fuis quand on commence une phrase par le sécant : « sache que… »
Je n’ai pas une grande affection pour tous celles et ceux qui font partie de la famille : les « cousin, frère, frérot, ma sœur » etc
Et bien sur, celle qui ramasse le tout, le définitif : « Eux c’est la famille… »
Je bouillonne quand je vois écrit : il ou elle a tord. Je  tordrais la bouche de rougne pour ça.
Ils me gavent ceux qui veulent qu’il n’y a « pas de souci » alors que précisément il y en a un. Ce sont sensiblement les mêmes qui affirment qu’il n’y a «pas de problème». Ben voyons, puisque vous le dites…
C’est comme le «va pas t’imaginer» Ah si j'y file direct.…
Comment ils m’horripilent tous les « meuf, keuf, beur, black et feuj ». Ces cinq là me rasent les poils de la bienveillance. De toutes façons, on devrait s'interdire de parler verlan passé dix neufs ans et demi. Tout comme on ne devrait pas porter de maillot de football floqué au nom d'un joueur passé seize ans trois quart même celui de Manchester United. Cet oukase est valable pour les maillots de cyclistes, de basketteurs, de base-balleurs, voire de certains groupes de rock... J'ai croisé, un été caniculaire, un type la cinquantaine bien tassée, bedon bedaine, chauve sur le dessus, queue de cheval derrière, dans un supermarché poussant un caddie plein à ras,  en sueur, enveloppé d'un tee-shirt "Nirvana"... Nous étions très très loin du compte...
C’est comme le fait d’entendre : « Je ne suis pas… MAIS » qui allume immédiatement une étincelle qui me fait penser qu’il ou elle, justement l’est…
Que dire des mails ou des notes qui se terminent lapidairement par le terrible : «A+». Quand je lis cet « A » perdu avec sa petite croix comme un fardeau, j’ai l’impression qu’on me dit : Déjà, estime toi heureux que je me sois adressé à toi... L'extension "À pluche" sera également bannie. Et à l'oral on évitera le à tout' qui ne veut décidément rien dire même s'il est joyeux.

Mais vous vous devez avoir les vôtres…
Allez, à plus tard...




09 novembre 2019

Ma championne

J’étais seul dans la salle d’attente et, au lieu de me réjouir, mon pessimisme légendaire l’a emporté : Je me suis dit que ce n’était pas bon signe. Je n’avais pas une grande confiance en l’être humain mais s’il n’y en avait ni dans une salle de restaurant, ni chez un médecin, je pensais, tant qu’il était encore temps qu’il valait mieux se tailler vite fait et aller voir ailleurs, qu’on avait de fortes chances, ici, de mal manger ou d’être mal soigné. Je suis resté.
Enfin comme c’était mon premier rendez vous, je n’ai pas voulu me barrer de suite. Je lui ai laissée une chance de me décevoir. Il y avait dans la pièce un mélange bizarre d’odeur de d’humidité et d’encens mais pas celui des bâtonnets, non celui des églises vaguement rassis. Sur des magazines de l’an passé, j’ai lu avec avidité deux trois articles sur des coucheries de vedettes, le genre de connerie dont on ne se régale que dans ce type d’endroit. On était dans un pavillon, une villa neuve un peu à l’écart du village dont le garage avait été aménagé en salle d’attente et de consultation. Il y avait au mur des posters de paysages atrocement zen. Une fontaine électrique sur une table ronde conçue comme un autel bouddhiste faisait un raffut du diable et donnait envie de pisser. Après quelques minutes, on s’attendait à voir débarquer Tonton André un de ses livres à la main.
D’un coup, des hurlements sont venus de la pièce d’à côté. L’ambiance feng shui, yin yang a été balayée en deux coups les gros. J’ai entendu très clairement une voix de femme en bout de course menacer  en criant: "Dylan un jour je vais t’étrangler te couper en deux et te passer par la fenêtre !"
Puis nettement le bruit d’une paume sur un morceau de viande et très vite des hurlements déchirants. Une gifle était tombée.
"File dans ta chambre sale gosse!". 
Et sblam une deuxième claque. Dylan en avait pour son compte.
Curieusement ça m’a rassuré. Nous n’étions pas chez une bisounours éthérée en sari mais chez une maman excédée. Nous étions chez un être humain avec de banals soucis d'humain.

Je m'attendais à voir débarquer dans la pièce un sosie femme de Pai Mei, est arrivée une femme jeune rouge comme un nez de mandrill, en sueur, des gouttes lui perlaient sur le front. Un dragon en robe noire et en colère. Je me demande encore si elle ne fumait pas des narines. Je n’ai pensé qu’à moi en me disant tout bas j’espère qu’elle redescend vite sinon je vais prendre cher. Exit le pétrissage douceur pour moi place au malaxage déstressant pour elle.
              À part tout le reste, en ce moment, je goutais à l’immense chance de n’avoir mal nulle part et j’avais décidé de m’offrir un massage toutes les semaines. Quelle que soit ma semaine. Je m’étais dit qu’une demi heure de bien être en huit jours ne pouvait pas me faire de mal aussi j’avais cherché quelqu’un qui fasse ça pas loin de chez moi que je puisse y aller à pied quand il ferait moche puisque ma voiture et moi avions rompu brutalement. Et puis, j’étais passé devant chez elle en me baladant et en détaillant sa plaque sur le mur de son pavillon,  elle était devenue ma championne sur le champ.
Sa plaque était, en vrai, un panneau de bois sur lequel elle avait peint du mieux possible: Praticienne en santé naturelle, Naturopathie, diététique, shiatsu, Chi Nei Tsang, (ne me dites pas que vous savez ce que c’est…) massages aryuvédiques, modelage californien, lithothérapie, sophrologie… Ouf. Si avec ça tu n’allais pas mieux en sortant de chez elle c’est qu’il y avait un furieux loup. Manquait plus que l’aromatothéraphie, l’homéopathie et les fleurs de Bach et on avait la totale. Ce qui se faisait de mieux dans le domaine de la magie cosmopolite et tout azimuths. Un poil de Chine, un zeste de côte Est, un bout de Japon, des brins de vieille Europe, une pincée d’Inde bref un tour du monde des pratiques hors sol. Ça tombait bien j’aimais les voyages surtout quand on allait pas loin de chez moi. Une vraie championne.
Elle m’a demandé ce qui m’amenait, j’ai été tenté de lui répondre un bon vent mais je me suis tenu à mon envie de me faire du bien.
Elle m’a fait me déshabiller, j’avais amené un short en coton que j’ai gardé, une bruellite est si vite arrivée et puis je me suis allongé sur sa table de massage. Pendant qu’elle a travaillé j’avais dans un placard allumé de mon cerveau sa menace envers son Dylan. Tout le temps, j’ai eu le sentiment désagréable d’être un filet de limande et je n'ai cessé de me demander  à quel moment elle allait m’enlever les arêtes. 
Ça a nuit à ma totale décontraction. Et c’est soulagé qu’il ne me soit rien arrivé de nocif que nous en sommes restés là. 
C’était aussi bien mais dès qu'elle a posé ses paumes sur moi, la championne est devenue mienne. On allait devenir une grande équipe tous les deux! 
À la fin de la séance, elle m'a soulagé d'un billet orange mais je m'en suis complètement foutu, je me sentais comme si j'avais fumé une benne de kat. Mes yeux regardaient au travers des murs. Si elle m'avait annoncé qu'elle était druide, je serais allé lui couper du gui à mains nues, si j'avais appris qu'elle était chamane, je me serais peint le visage après avoir allumé un feu, si elle m'avait dit qu'elle était ostéopathe j'aurais couru au distribanque en slip.
"À la semaine prochaine, alors..." j'ai fait avec la voix d'un Barry White entamé par une bronchite puis, j'ai ajouté, second, me réjouissant à l'avance:

 "La semaine prochaine, je partirai volontiers sur une séance de pierres d'argiles sioux bénies chaudes..."


05 novembre 2019

Conforme

Je regardais ça avec à la fois amusement et agacement mais en ce moment, j'avais un karma de paillasson. Ils étaient, en effet, peu nombreux à ne pas me grimper dessus pour s'y essuyer les pieds.
Elle, je ne la connaissais ni de vrai, ni de faux, ni de Facebook, ni de Tinder. J’étais,  si l’on peut dire, tombé dessus par hasard sur une autre application un peu en vogue : Instagram. Insta pour les jeunes gens oú elle postait des trucs assez fréquemment. Elle était prof de lettres, plutôt jolie avec de beaux enfants. Son homme, son compagnon ou sa compagne s’il y en avait un.e, n’apparaissait pratiquement jamais. Ce qui m’avait d’abord surpris c’est que sous son pseudonyme, sur son profil elle avait inscrit certifiée de lettres modernes. J’avais trouvé étrange d’indiquer ce diplôme à tout le monde et puis, en vrai je trouvais qu’il n’y avait pas à s’en vanter non plus. Certifié n’était pas une qualification si élevée qu’on éprouve le besoin de le faire savoir  sur tous les toits. Certifiée de lettres modernes ce n’était pas non plus  l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. On était un paquet à être certifié, on n’en faisait pas un plat. Et, dans ses posts, son inclination à commettre quelques erreurs d’orthographe laissait penser qu’elle écrivait assez vite et se relisait peu.  Visiblement elle était, comme moi, plutôt fâchée avec les accords des auxilliaires…
Je ne sais pas où elle enseignait sans doute en région parisienne mais elle possédait une maison, ce qui semblait être un vieux mas, un lieu de vacances (de ressourcement) très beau, décoré minimalement avec beaucoup de goût et de raffinement dans les environs de L’isle sur la sorgue. Avec, sur son immense terrain une demi piscine olympique. Je n’y étais, bien entendu, jamais entré mais j’en avais vu les images postées sous toutes les coutures. Nous étions donc si l’on peut dire quasiment voisins. Le genre d’endroit qui, par ici, coûte deux  bras. Inaccessible à une certifiée de lettres modernes, même brillante, je savais de quoi je parlais. Mais bon. Elle disait lire beaucoup, elle avait des enthousiasmes sans doute sincères mais parfois un peu exagérés et des affections qui me paraissaient de temps en temps sur jouées. Surtout envers ses merveilleux élèves qui grâce à elle réussissaient apparemment vachement bien. Elle cuisinait souvent bio et militait pour une planète à sauver ce qui était plutôt bien et en tous les cas dans l’air du temps. L’eau de sa giga piscine devait l’être aussi j’en suis certain.
Et puis à la défaveur d’un commentaire que j’avais écrit au second degré, elle m’est tombée dessus avec une violence plutôt surprenante. Je n’ai rien compris. J’avais écrit à propos du réchauffement climatique et de ses conséquences :
Si l'être humain disparaissait, il ne l'aurait pas volé. Chaque jour on tombe de Charybde en Charybde.

Le feu en elle a pris. En retour j’ai eu droit à ça 

C’est gravissime de dire une chose pareille. L’ensemble de l’humanité n’est pas coupable de la situation actuelle. L’humanité est victime de la violence morale d’hommes plus fort en rhétorique, plus cupides et plus cruels que les autres. Et au sein de cette même humanité il y a des milliards d’êtres sublimes qui ne sont qu’amour. Dire « l’humanité peut disparaître », c’est être aussi cynique que les bourreaux que je dénonce, c’est aussi ne pas changer ses habitudes pour continuer de prendre l’avion et bouffer de la viande puisque l’humanité peut bien crever, et c’est surtout l’apanage de ceux qui regardent les autres mourir. Mais vous verrez, quand c’est sur votre maison que la tempête soufflera, vous penserez déjà moins que ce n’est que justice. J’ai des enfants, des élèves, à qui je souhaite une vie de paix. Jamais je ne dirai qu’ils méritent ce qui va leur arriver. 

J’avoue que là j’ai été surpris. Je ne pensais pas que ma phrase méritait une telle opprobre. On se calme, j’ai aussi des enfants et même des petits enfants et bien sûr que je ne leur veut aucun mal voire du bien si possible. J’ai aussi eu des élèves à qui je ne souhaitais pas de mal !
Gravissime, cynique, bourreau… Mais d’où lui est venue cette violence ?
Et puis cette phrase 
Mais vous verrez, quand c’est sur votre maison que la tempête soufflera, vous penserez déjà moins que ce n’est que justice.
J’y étais. Donc c’est certifiée premier degré qu’elle voulait affirmer. Je comprenais mieux. J’ai vaguement essayé un :
« Si » il disparaissait: « si »... Je n’ai pas non plus dit ce que vous dites que j’ai dit. Les gravissimes c’est eux.
Manière de lui signifier qu’elle se trompait de cible. Et là deuxième couche en plus des gravissime, cynique, bourreau j’ai eu droit à :
Assumez vos propos. Je ne les ai pas inventés. « Elle ne l’aura pas volé », signifie « elle l’aura bien mérité ». Or je ne suis pas d’accord. Je ne le serai jamais. L’homme peut être un monstre. Mais l’homme peut aussi être un saint. Et c’est sur la base de cette absolue certitude que j’élève mes enfants et éduque mes élèves. Je ne penserai jamais que S’ILS sont victimes du réchauffement climatique, « ils l’auront pas volé ». C’est, je le répète, une excuse pour ne pas agir, ne pas changer ses habitudes, ne pas résister. Vous êtes rentré du Canada ?
En certifiée, elle me faisait une étude de texte et m’expliquait ce que j’avais dit en gros. La question finale je l’ai prise pour une volonté d’apaiser. Elle avait aimé plusieurs de mes posts du Québec l’été passé. Que nenni. C’était pour me donner une bonne leçon. J’avais voyagé ET en avion qui plus est… Sur son échelle ce devait être le degré neuf de l’ignominie. Encore une fois j’ai répondu avec volonté de calmer :
Vous m’écharpez mais je suis d’accord avec vous et rentré du Canada :-)
Et bam troisième gifle !
je ne vous écharpe pas, pas plus que je n’ai inventé vos propos : arrêtez de vous victimiser ou de dire que nous sommes d’accord. Nous ne le sommes pas.


J’ai coupé court et répondu : 
Très bien.
Alors, pour faire bon poids, elle m’en a collé une dernière :
Quand au Canada, je n’attendais pas de réponse. Juste une prise de conscience.
Prise de conscience de quoi je n’ai jamais su. Sans doute des voyages en avion… Vu qu’elle avait posté des images d’elle en Islande l’été d’avant, j’ai pensé qu’elle avait poussé son militantisme écolo à y aller en pirogue...
Plus tard sur une photo où j’avais écrit que chez Chirac tout n’était que com j’ai eu droit à cette sortie qui me prouvait qu’elle avait définitivement une mâchoire contre moi mais dans le fond sans savoir vraiment pourquoi.:

Chez nous aussi. Chez nous tous. Chez Simone Veil non. Mais elle, c’était une sainte. Mais globalement l’homme est un animal de communication. Verbale. Non verbale. Que faites-vous sur IG Christian ? He bien vous mater les communications des autres et vous communiquez vous-même.
Lui, au moins, avait un projet.

Si ça n’était pas un coup de pelle je me demande ce que ça peut être d’autre. Il mate et il n’a aucun projet, c’est pour ces deux raisons Mesdames et Messieurs les jurés que je demande une condamnation exemplaire …

Je me suis longtemps demandé d'où venaient mes difficultés avec les enseignants en général. J'ai trouvé. Trop sont pédants, sûrs d'eux, péremptoires, définitifs, moi qui aime les gens qui doutent.
Certifiée, conforme.

21 octobre 2019

Connard de merde

Les rues de mon village ne sont plus sûres.
Hier, je m'y suis fait agresser. Verbalement mais agressé quand même.
Comme je n’ai plus de voiture, je circule en moto, à bicyclette ou à pieds et, hier, malgré la pluie, j’ai eu besoin d’aller faire un tour au supermarché du coin pour acheter  de quoi manger pour le soir. Puisqu'il pleuvait j’avais au dessus de moi un parapluie et autour de nous des rues vides. L’endroit où je me rendais est à environ trois cent mètres de la maison, ce n’était pas non plus un trek dans tout le département. En sortant sur le chemin qui longe la maison, je vois par terre une canette de bière qu’on aura gentiment balancée là. Je la prends et comme nous étions mardi, les poubelles passant le lundi il n’y en avait plus de vidées dans les rues. Je tourne à gauche et du chemin de droite je vois deux personnes, deux femmes bien vêtues, genre doudoune sans manche et pantalon aux cheveux courts, tirées chacune par un chien minuscule. Bien sous tous rapports comme on dit. Dans les deux, j’en reconnais une que j’avais croisée le samedi devant la fourgonnette des vendeurs de chèvres frais. Nous avions même échangé des civilités civiles. Dans ces petits villages, il est plutôt fréquent de croiser des gens ici ou là sans savoir où ils habitent mais en connaissant leurs visages. Ma cannette à la main, que j'ai vidée en marchant, il en restait, je suis allé vers une bouche d’égout le long du trottoir et faute de poubelle dans le coin, je la jette là et je poursuis mon chemin.
Peu de temps après je sens qu’on marche assez loin derrière moi mais je sens cette présence. Je me retourne pour regarder c’était mes deux promeneuses de chiens qui empruntaient le même trajet. Je continue ma marche. C’était moi qu’elles suivaient et visiblement qu’elles voulaient rattraper. Je ne l’ai compris qu’après puisque j’ai continué ma route. Elles m’ont suivi jusqu’à l’approche du super marché. Je me suis retourné une nouvelle fois. 
Là, une des deux femmes, celle qui était plus proche de moi m’a demandé sur un ton plutôt sec : Vous savez pourquoi on vous suit ? Première nouvelle j’ai pensé. Puis, l’irrésistible  charme de mon dos en mouvement sans doute. Ignorant mes pensées souriantes, elle a poursuivi avec un accent belge assez prononcé. Était-elle restée avec nous trop longtemps, avait-elle attrapé notre mauvaise humeur légendaire?
"On vous suit à cause de la cannette que vous avez jetée à l’égout, il y a des poubelles partout dans le coin, vous ne savez pas qu’il ne faut pas faire des choses pareilles ? Ça bouche les canalisations et ça fout la merde partout."
Je tombais des nues. J’ai balbutié: "Mais je l’ai ramassée par terre pour ne pas qu’elle traine et vous me courrez après tout ce temps pour me dire ça ? Je le crois pas".
Et là, elle est partie, elle avait le visage rouge d’une colère que j’ai trouvée somme toute très au dessus de ce que ça méritait, elle me hurlait en me postillonnant à moins de dix centimètres du visage, j’ai cru qu’elle allait m’arracher un œil pour que je comprenne bien l’effroyable crime que j’avais commis. Et très vite sont arrivées les insultes : "Vous êtes un connard ! Un connard ! Un connard de MERDE!" elle a répété.
Alors là, je n’en croyais pas mes oreilles et, en vrai, j’étais sonné. C’était tellement injuste, déplacé et exagéré. J’ai juste dit du plus calmement  possible très bien, puisque viennent les insultes, je ne vous parle plus, ne m’adressez plus la parole, je n’ai plus rien à vous dire. Donnez moi votre cannette, l’autre l’avait gardée à la main tout ce temps comme s’il s’était agi de l’arme d’un crime dont je me serai débarrassé, que je la jette à la poubelle du magasin. Ce que j’ai fait.
Et je suis allé vers le magasin. L’autre hurlait encore : connard que j’entrais dans le supermarché. Se faire traiter de connard de merde en plein village pour une cannette jetée à l'égout? Dans quel monde sommes nous en train de vivre? Un papier au sol et elle me coupe un bras? Si les auteurs d'agression verbales savaient l'effet que provoque leurs agressions seraient-elles un poil moins agressives? Elle m’aurait mis un coup de poing dans la figure j’en aurais été autant affecté. Ça semble être mon karma en ce moment. L’autre jour une autre, une certifiée de lettres (c'est elle qui se présente ainsi) m’a agressé sur le net à propos d’un commentaire que j’avais laissé sur une de ses images. Même injustice, même virulence. Ce doit être moi, ce que je ne dis pas, ce que je ne fais pas qui déclenche ces réactions. Sinon quoi d’autre ? L’époque ? Tendue ?
Les rues de mon petit  village ne sont plus sûres. 
M'en vais m'exiler dans les collines, moi.
Quelques jours après je l'ai revue. Au marché du soir du village. Elle vendait des légumes. Je n'ai eu qu'une envie: M'agripper des deux mains à ses misérables tables sur lesquelles sont posés des paniers de courgettes molles et d'une traction lui retourner tout son étalage sur les pieds en la regardant droit dans les yeux et à son regard ébahi, après un temps laissant redescendre la poussière soulevée, dans le silence revenu juste lui dire: 

Vous plaignez pas, je vous donne raison.



18 octobre 2019

Le portable à Paul

Paul, tu commences à nous emmerder avec ton portable. Une demi–heure que tu te répètes. Tu es en boucle mon grand. Ça passe pas, ça passe pas on va pas en faire un fromage. Fais comme nous, profite, regarde autour de toi, tu es au fond des gorges, on a mis une heure à descendre sur ce chemin presque vertical, on s’est bousillé les cuisses, j’ai les genoux en flammes alors s'il te plait, baigne toi tranquille, ce soir on remonte et tu le récupères ton réseau ! Putain tu vas pas nous gâcher tout l’après midi quand même?
Paul a attrapé sa serviette il s’est éloigné de nous et il est parti bouder dans un coin derrière un énorme rocher dans le virage. C’est qu’on était tous, plus ou moins, devenus zinzins avec ce rectangle de lumière. Moi le premier. Il appelait notre regard des centaines de fois par jour. Il réclamait un ou deux de nos doigts avec force. Il fallait voir les gens dans les transports, au restaurant, dans la rue EN MARCHANT, dans les voitures EN CONDUISANT, risquer leur vie et celles des autres pour avoir les yeux concentrés sur ce truc. Maintenant, il réglait nos vies, la racontait, la rythmait. On était tous devenus débiles. Avant de sortir on regardait l’appli météo au lieu de jeter un œil par la fenêtre. Avant d'aller consulter on s'inquiétait du mal qui nous rongeait. On ne se parlait plus on se s émessait. Les plus atteints étaient ceux qui n’avaient pas connu la vie sans.  Du reste ils ne pouvaient plus vivre sans. L’écran de leur engin était devenu leur fenêtre sur le monde. Sacrément riquiqui comme baie vitrée. Leurs pensées étaient proportionnelles. Ainsi Paul qui nous cassait les bonbons dans un des endroits les plus beaux du pays parce qu’il n’avait pas de réseau. Les plus vieux avaient vécu sans cette malédiction et pouvaient encore se souvenir du bon temps. "Paul, tu nous les brises. Tu vas lever la tête pendant une ou deux heures, jeter un œil sur le vrai monde, ça va te faire du bien aux cervicales et au cerveau. Crois moi, tu ne devrais pas mourir si tu ne peux pas te brancher une heure."
À cet endroit la rivière, je devrais plutôt écrire l’autoroute à canoës se resserrait un peu, aussi la circulation paraissait plus dense et c’était un défilé continu de rouges, de jaunes, de verts avec des types et des femmes dessus, un bob ou une casquette inélégants au possible sur leurs têtes rougies aux corps avachis dont on ne voyait que les genoux saillir, le haut engoncé dans des gilets de sauvetage constrictors et fluos qui leur donnait des allures de joueur de baby foot vivants, une rame à la main dont on sentait bien qu’ils l’auraient volontiers refilé à quelqu’un d’autre. Ouf. En passant près de la plage où on était installé certains nous jetaient des regards perdus disant en gros : Sortez nous de là, on en a marre de ramer on veut rester avec vous sur votre plage et se baigner nous aussi, cette après midi est un cauchemar! 
Les autres avançaient en se la racontant.
Nous on avait galéré pour arriver ici. D’abord il avait fallu rouler sur une bonne moitié de la route des gorges de l’Ardèche, une route dessinée à l’alcool sans doute et à l’alcool fort. Puis on avait trouvé le parking perdu dans la garrigue. Il était assez grand parce qu’en bas, il y avait le camping des culs nus comme on disait dans le coin. Il était connu jusqu’au fin fond de la hollande celui-là. Et donc bondé de grands blonds bronzés parlant très fort. On avait garé la bagnole, sous les chênes verts,  on l’avait vaguement protégée du soleil puis on avait enquillé le sentier qui s’était très vite mis à ressembler à un escalier sans marche ni palier. On s’accrochait aux branches un peu solides, on manquait de se retrouver sur les fesses toutes les trois minutes, on suait, on peinait, on se griffait parfois aux épines des cardes, on soufflait comme des forges portatives, on se faisait peur, on souffrait. Bref, on en bavait. En ahanant, en rougissant, en dégoulinant, on se disait qu'on était en train de mériter le bain qu’on allait prendre. Une fois en bas on a passé un beau moment malgré le défilé des canoés, des kayaks, malgré les cris des embarqués qui réonnaient contre les parois abruptes. L’automne avait commencé à faire virer les couleurs des versants et la rivière s’était mise à charrier les premières feuilles tombées plus haut comme des confettis de fin de fête. Le ciel tout au dessus était lui, d’un bleu électrique. Et puis le soleil est passé de l’autre côté de la falaise, l’ombre a grandi sur la plage, le frais s’est pointé, il a fallu plier bagage et remonter.
Paul a pris les devants, pressé de retrouver son réseau. On l’a suivi pendant les premiers mètres  et très vite on ne l’a plus vu. Il a dû grimper comme une fusée Titan au décollage. Trois bons quarts d’heure plus tard, nous sommes arrivés sur le parking rouges, trempés, épuisés, les yeux exorbités, les  poumons en feu. Paul était là appuyé contre la voiture.
D’une voix hachée à cause du souffle manquant un a demandé : "Alors Paul les nouvelles sont bonnes, tu as retrouvé tes barrettes ?" 
Non, il a fait.
Il était blanc comme une aile de poulet. 
"Paul c’est bon tu as « checké » tes mails, tout va bien ? Tu revis?"
Non, a-t-il dit un peu plus fort et énervé.
Il était pâle comme une aube.
"Ben Paul t’es encore fâché, tu ne nous parles plus ? "
D’une voix tremblante à peine audible en se déplaçant vers le sentier qui descendait, d’une voix pleine de rougne, il a juste dit :   J’ai oublié mon portable en bas...
On a éclaté ! 
"Ah merde, c'est con. T'as pas une appli pour qu'il remonte tout seul?" 
"C'est de votre faute à vous aussi, avec vos idées à la con."

Nos éclats de rire ont accompagné sa colère une bonne partie de sa descente.




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