31 décembre 2019

Comme tout le reste

Hier vers la fin d'après midi, l'épais brouillard qui avait ouaté le coin une grande partie de la journée avait fini par se dissiper pour laisser place à un grand beau  clair, général et réjouissant.
J'ai fait pareil. Je me suis dit c'est le bon moment pour un thé avant que la nuit, le soir et le gel s'amènent.
Je me suis bien couvert, en couches, il fait d'autant plus froid en motocyclette que c'est humide parce qu'il y a beaucoup d'eau un peu partout dans les champs et je suis allé vers la ville. J'ai garé ma bécane près de l'église, le long de la collégiale et je suis allé me poser en terrasse. Nous n'étions pas nombreux à braver l'ombre. En vrai, j'étais seul.
Un thé s'est pointé. De quoi remplir deux tasses.
Et puis, alors que le noir commençait à grimper le long de la tour de la collégiale, que les lumières s'allumaient dans les rues, un grand type un peu brun s'est assis sur un siège à côté.

Je l'ai reconnu de suite. C'était Daniel, mon Daniel que j'avais depuis peu. Celui dont j'ai raconté notre rencontre quelque temps avant: Daniel, un ami à rosé.
Daniel avec qui j'étais comme cul et chemise il n'y a pas quinze jours. Daniel qui me devait un verre, une bouteille, une cave. Daniel mon ami de toujours à jamais. Enfin Daniel, quoi.
Je l'ai reconnu de suite. 
Lui pas. 
Pourtant, il m'a semblé sobre cette fois. Il ne m'a pas vu, pas adressé la parole, pas calculé comme ils disent. Il a regardé droit devant lui. Et voilà, c'était fait, je n'étais déjà plus rien.
J'ai bu la dernière gorgée, je me suis levé, je me suis rhabillé j'ai payé et je suis parti.
Notre amitié si soudaine, si profonde, si surprenante n’était donc qu’un feu de paille? Elle était donc morte et enterrée à peine née, un peu comme l'année qui  tout autour de nous était en train d’agoniser.

Si j'en ai été un peu peiné, il n'est jamais agréable de ne pas être reconnu, je ne lui en ai pas voulu, je sais combien sont fragiles les amitiés de comptoir. Qu'elles s'effilochent à peine tissées... Qu'elles s'évanouissent à peine évoquées...

Comme tout le reste





17 décembre 2019

Un jour de marché

Le cauchemar du matin m’avait laissé d’humeur maussade,
J’ai voulu sortir pour m’en défaire.
Un peu roulé dans la campagne inondée,
Puis trainé dans les rues de la ville.
C'était animé comme un jour de marché.
Un monde plutôt gai déambulait, commerçait.
J’ai rencontré des visages connus
Et croisé d’autres, encore inconnus.
Mais tous ou presque avaient le sourire aux lèvres.
Ça m’a, sur le champ, consolé. 
Ces sourires ont fait revenir le mien.

Et puis, d'un journal me sont parvenues les nouvelles du monde...




13 décembre 2019

La la sol fa mi ré

Qu'arrive-t-il au cœur?
Comment peut-on, parfois, être fauché en plein vol comme une bécasse en Beauce un douze de novembre ? D’où vient que, d’un coup l’énergie peut nous quitter, comme si nous étions victimes d'une fuite géante, d'une béance et alors, que tant de vide puisse s’insinuer si vite en nous ?
Un demi s’il vous plait.
Le type en train de se poser ces questions d’une manière lancinante voire pleurnichante était entré depuis peu dans le bar. Il s’était accoudé au comptoir les pieds dans la sciure et regardait loin derrière le mur de bouteilles. En vrai, il ne voyait rien ni personne. Il dégoulinait encore de la pluie de dehors quand le demi s’est posé devant lui. 
Autour de sa présence, un vague brouhaha de bar. Un flipper sonnait dans un coin, un couple s’engueulait vaguement c’est toi, non c’est toi, de la vapeur sortait de la machine à cafés et dehors les bruits des grands boulevards un soir de semaine de novembre de pluie. Une gaité folle. Une tristesse éblouissante. Un gris étincelant.
Il a descendu son demi et en a vite demandé un autre. Histoire de se mettre le cerveau dans les brumes.  Un verre vide c’est comme un verre plein, c’est du malheur à venir s’était il dit. Tu parles, il est déjà bien là, on dirait. Boire pour oublier que j'ai bu.
Il se parlait à lui même comme le font tous les types un peu seuls. Au début ils le font en silence puis il s’y mettent à voix haute, alors ils n’arrêtent plus. Les questions, les réponses, les reproches, les engueulades, tout y passe. Ils finissent par être plusieurs dans leurs têtes et, dans les rues, à leur approche, on se met à avoir peur et à changer de trottoir. Il n’y a plus qu’eux qui ne peuvent changer de rien. C’est une lente si lente descente. Les gens se disent encore un qui n’est pas seul dans sa tête. Ils n’ont pas tort, finalement. 
Il a entrepris le serveur sur l’absence d’œufs durs sur le comptoir. Avant, il y en avait toujours, on les mettait dans un petit présentoir circulaire, sur deux ou trois étages, quand on en prenait un, il était remplacé de suite, on les écalait à même le zinc et on pouvait ou l’engloutir d’un coup ou s’étouffer un peu avec le jaune en plusieurs bouchées. Pourquoi y en a plus dans les bars  des œufs durs ?
Qui pouvait se poser ce genre de question si ce n’était pas un type très seul ?
Le serveur a marmonné : J’en sais rien, moi et puis je m’en fous à vrai dire. Je n’ai plus les coquilles à ramasser c’est tout ce que j’en sais. Peut-être que certains restaient là trop longtemps. Il n’a pas entendu la remarque du gars : Pour un type qui n’en a rien à foutre vous en dites pas mal quand même.
Au troisième demi, il n’était plus là, il avait filé, il s’était envolé et personne ne le rattraperait avant un bon moment. Il se tenait debout ancré au sol appuyé sur un coude au comptoir. Il ne vacillait pas, il ne perdait pas son équilibre que tous sentaient bien précaire quand même.
C’est là qu’une voix s’est faite entendre, le serveur avait trafiqué un poste derrière le bar. Une voix d’élégant chanteur canadien mort a envahi l’espace et tout le monde s’est tu. Du fond d’une grotte est arrivé : I was always working steady but i never called it art…
Tous ici avaient l’âme dressée.
Puis, tous ont entendu les six petites notes, les six la la sol fa mi ré égrenées au piano  juste après le refrain. Elles ont fait dans les cœurs des présents autant de dégats qu’une bourrasque de plein cyclone. Six petites notes de rien à peine effleurées, à peine évoquées, une grappe d’émotion renversante qui a emporté  ceux qui les ont reçues. C'était courant ça quelques notes qui emportent tout sur leur passage, qui font qu'il y a un avant et un après, qui bouleversent et s'en vont comme une crue de rivière mais qui laissent des traces si ineffaçables qu'on les porte toute sa vie et qu'elles font revivre comme si on y était les instants à chaque fois qu'elles sont jouées.
Alors des larmes ont coulé sur les joues du type qui, à cet instant seulement, rattrapé  par son chagrin, s’était mis à vaciller.
Qu'arrive-t-il au coeur?

Allez, j'en reprends un, ça me fera le litre... J'aime bien les comptes        ronds


Un Léonard Cohen est visible dans cette vue de Montréal...

Publications les plus consultées