26 janvier 2011

Planète en vue…

                         Depuis quelques temps déjà, dès que j’en vois un dans la rue ou dans un magasin, mine de rien, je m’approche, je tourne un peu autour, j’essaie d’attraper son regard, bref, je tente d’entrer calmement en contact comme un Claude Lacombe prudent.
Quand je peux, je leur souris, je leur fais une grimace, j’essaie de les faire rire, d’établir un lien. Bien sur, il  me faut quand même rester un peu discret, ils ne se baladent jamais seuls, il ont toujours un adulte auprès d’eux qui les surveille jalousement et qui, en vrai, détestent qu’un autre  leur fasse de ces simagrées dont je m’arrange.
Pour cela, pour les croiser, je vais rôder le plus souvent dans les supermarchés. L’adulte qui veille a d’autres centres d’intérêt, on peut ainsi entrer en contact plus aisément avec les petits. Il arrive au grand, dans ces endroits de s’éloigner de quelques mètres, de laisser le petit un peu seul, de relâcher son attention. C’est d’ailleurs pour cette raison que je préfère m’adresser à ceux qui sont accompagnés de deux gardes du corps. Deux adultes le plus souvent, un mâle et une femelle. Ils ont alors tendance à être bien moins vigilants, à plus s’occuper d’eux mêmes en se chamaillant clairement sur leurs points de désaccord. Il y a pendant ces disputes un créneau plus ouvert, une fenêtre plus favorable. Il y a des failles dans le dispositif. Alors, là, je peux difficilement m’en empêcher.
La plupart, du reste, répond à mes avances, entre en communication avec moi, me rend mes sourires et mes grimaces. La plupart mais pas tous. Il arrive que parfois ce soit un supplice pour eux, ils ne comprennent visiblement pas ce que je tente de leur dire. Ils se mettent très vite à pleurer, à se cacher le visage, à couper court à toute tentative. Là, il faut réagir vite, s’éloigner en douceur sans laisser à penser que c’est ma présence qui est la cause de ce remue ménage. Sinon, l’adulte présent, l’adulte protecteur, le garde du corps va chercher à savoir d’où ça vient et il ne vaut mieux pas que ce soit de ta faute, mon petit gars, c’est moi qui te le dis! Alors, je tourne la tête et regarde ailleurs l’air détaché. Ensuite, je m’éloigne de la zone de contact le plus paisiblement du monde en essayant de surtout ne pas me faire repérer par les gardes qui sont toujours plutôt à cran. Surtout dans les grandes surfaces. Allez savoir pour quelles raisons!
Le dernier spécimen que j’ai abordé c’était chez Aucha. C’était un individu tout jeune, de sexe sans doute masculin, plus ils sont jeunes plus on a de difficulté à déterminer le sexe avec certitude. Il était assis dans un étrange véhicule qu’on pousse, à roulettes. Je dois dire que j’ai eu beaucoup de difficultés à voir ses yeux qui étaient, malgré tout, au nombre de deux et les deux d’un bleu magnifique. Il était emmitouflé dans des couvertures autant pour le protéger des regards que du froid, enfin c’est ce que je me suis dit. Nous avons passé un bon quart d’heure tous les deux à discuter gentiment. Lui, m’envoyant des blblbbllblblbl superbes et souriants. Moi, lui posant des questions sur sa vie, s’il était content de ses adultes, s’ils le nourrissaient comme il fallait, s’il était correctement câliné, si tout allait bien pour lui, enfin le tout venant, quoi.
Et puis, un grand est arrivé, l’air un peu furibard quand elle m’a trouvé accroupi devant son petit. J’ai dû me justifier aussi sec:
___ Ne vous inquiétez pas, je ne lui veux aucun mal, simplement, je vais bientôt être grand-père, je dois absolument reprendre contact avec la planète bébés. Dès que j’en vois un, je m’entraîne… Il y a si longtemps que je n’ai pas eu d’échange avec un de ses habitants... J'ai presque tout perdu...

Le garde chiourme s’est un peu détendue. Elle a eu l'air soulagé.  Elle a semblé me croire.
En vrai, je vais faire ma coquette, j’aurais quand même préféré qu’en voyant ma tête, lui vienne un truc du genre: Comment? Vous? Non?

Pas déjà?


Grafs 011

25 janvier 2011

Un loup dans ma cuisine.

Pour les Impromptus Littéraires de la semaine. Le thème imposait de faire figurer dans le texte la phrase: il y a un loup dans la cuisine…

___ Dis Chouchéri, tu te rappelles que les Sprats viennent manger à midi ?
___ Ah non ! Mince pas ces deux là ! Je les déteste.
___ Mais Doudoucha qu’est-ce que tu leur reproches ?
___ Ah mais presque rien ! Juste qu’ils feraient d’une belle journée de printemps un vilain dimanche de pluie, ces deux couillons. Ils ont la conversation d’une crêpe au sucre, l’humour d’une antenne radio et la générosité d'un piège à souris. A part ça, rien.
___ Tu dis n’importe quoi Choubibi, ça n’a pas d’humour une antenne radio !
___ C’est exactement ce que je dis…
___ Mais toi, tu détestes tout le monde, Amourchou, et parfois je me demande si même moi…
En la regardant vaguement de travers:
___ Ne commence pas à être de mauvaise foi, veux-tu ! Tu sais très bien que ce n’est pas tout le monde que j’abhorre mais ces deux imbéciles là, oui, vraiment ! Ce sont deux  pingres, râleurs et ronchons… On en a déjà parlé plusieurs fois et nous étions plutôt d’accord si je me souviens bien… Il t’est arrivé de leur casser des camions de sucre sur le dos, je te rappelle…
___ Comme ça nous aurons de quoi nous parler après leur départ. Et puis, nous leur devons une invitation et j’ai proposé samedi midi comme ça nous aurons l’après-midi libre. Nous irons marcher un peu après le repas. Qu'en dis-tu Choudou?
___ Ça m’étonnerait ! Ils n’aiment pas la nature ces deux crétins. Dès qu’ils voient un brin d’herbe ils le croient porteur d’une maladie! Imagine ce qu’ils pensent des arbres! Sais tu qu'un jour je l'ai entendue compter le prix des bouchées qu'elle bouffait au restaurant, cette radine!
___ Hé bien comme ça, ils rentreront chez eux plus vite. Tu vas leur préparer quoi, Amourbichou ?
___ Qu’est-ce qu’ils n’aiment pas ? Je vais leur préparer un truc qu’ils n’aiment vraiment pas…
___ Tu es trop mignon, Chamour… Un vrai délice d’homme agréable, gentil et bienveillant et prévenant et souriant, une rivière de perles d’homme…
___ Accrochée à un cou qui ne le mérite pas !
___ Ha! Ha! très amusant! Fais ton malin, Bichounet! Je crois qu’ils ne sont pas fanas de poisson.
___ Parfait. J’avais justement envie d’en manger un.
___ Arrête, Chou !
___ Bonne idée, je vais oublier de les enlever !
___ Tu es impossible, Choudam !
___ C'est beaucoup, beaucoup plus fort que toi, hein? Dis moi que ça te vient sans que tu y réfléchisses! Tu ne contrôles rien, n'est-ce-pas? Tu ne peux pas t'en empêcher?
___ De quoi parles-tu Amourcha? Tu es vraiment bizarre, toi! Ce sont les Sprats qui te font cet effet?

Il s’est habillé, en rougne, il a filé au marché en rage. Avant de partir, il a lancé:
Est-ce que tu pourrais, si ça n'est pas trop te demander, arrêter, une fois pour toutes, avec les surnoms débiles dont tu m'affubles? Ça me gène, je t’assure, j'ai l'impression que tu parles à un autre. Et quand on est entre nous bon, passe encore, mais dans la rue?
Elle avait juste marmonné dans son coin:
___ Comme tu veux, Chamour...

La fin de semaine, c’est lui qui faisait les courses et le repas du jour. Midi et soir. Même quand ils avaient des invités. Il s'en sortait bien! A elle les cinq repas du soir de la semaine, à lui les quatre du week-end avec plus de temps pour les préparer...
Pas totalement mauvais… A moins qu’il ait été motivé par la perspective d’un étouffement  des Sprats ou d’une réaction allergique, qui sait?
Il est revenu vers les onze heures et s’est mis en cuisine.
Vers douze heures trente, on a frappé à la porte. Ils sont allés ouvrir et sont restés un moment sur le palier à parler du froid qu’il faisait et de l'hiver qui était rude. Allez, on rentre, on ne va pas rester là à chauffer la rue…
___ L’autre, le crétin des îles en a profité pour en placer une : C’est pas parce qu’on rentre qu’il fera moins froid dehors…
Alors, le cuisinier, en poussant un peu les Sprats dans le dos, les a fait avancer vers le salon…
___ Avancez, sortez de ce lieu noir, on passe au bar. Il y a un loup dans ma cuisine qui, gentiment, attend au four en... grillant…

Et l'autre demeuré de chanter: Et j'ai grillé, grillé é, Sardine pour qu'elle revienne...



Hotel Eden lac Ste Savines

23 janvier 2011

Hata yo yo.

              Après avoir longtemps survolé la Haute Vallée de la Félicité Radieuse, accompagnés du seul bruissement mélodieux de tout un vol de pinsons guillerets, nous nous étions posés, mollement, sur un immense pouf de mousse épaisse et douce, dans la tendre tiédeur feutrée d’une clairière ensoleillée, en un début de printemps bienveillant... Je m'étais, à peine, dégourdi les jambes de la posture improbable qu’elle nous avait fait prendre avant de tous  décoller de la pièce quand la voix a suggéré: Relâchez vous, mais relâchez vous vraiment bien...
Bien sûr que je vais me relâcher, tu crois quoi? Que je vais rester plié comme une cocotte en carton? C'est ce que je m'étais murmuré à moi-même dans le silence revenu.
Le coup d’après, on a tous levé le camp pour s'en aller s'allonger sur une plage de sable, balayée par un alizé pépère, habitée par le seul chuintement des vaguelettes venant s’éclaffer calmement sur la grève, au rythme d'un monde, au souffle ralenti, vague après vague, après vague, après vague… Je suis à peu près certain que quelques uns en ont profité pour piquer un petit roupillon à même le chaud du sable. A dire vrai, ça s’est  entendu à leur respiration qui est devenue un peu plus lourde et il y eut même quelques débuts de grognements ronflés. Je le sais, je me connais bien de ce côté là... La voix n’a pas laissé faire, elle a pris tout le monde de court: On se réveille, on revient au monde! Elle n’avait pas tout à fait tort, on n’était pas là pour s’endormir surtout sans nos lauriers!
Le troisième et dernier voyage de la matinée a vu, toute la petite troupe réunie dans la pièce surchauffée, une ancienne boucherie chevaline d’un arrondissement central, s’en aller faire un tour dans le bocage normand, parmi les vaches brunes et noires… Une fan de Stone et Charden, je me suis dit. Un bon point pour elle, ce n’était pas si fréquent d’en rencontrer encore, la plupart étaient morts depuis quelques années déjà. La voix s’est très approchée de moi: Restez avec nous, vous, vous  n’êtes plus vraiment là m’a-t-elle envoyé. Elle avait vu juste. J’avais un mal de chien à rester ici et maintenant. J’avais des excuses. J’étais débutant. C’était ma première fois.
Je m’étais inscrit dans ce cours, à la suite d'une vilaine hernie discale qui m’avait poignardé et le dos, et la jambe, et la cuisse pendant quelques mois. Mon doc m’avait recommandé le yoga pour tenter d’éviter l’opération et, avait-il ajouté, pour sauver ce qui était encore sauvable. Gasp! Parfois ils ont le chic pour vous détendre, ces  diplomates, en acier, ils savent vous mettre à l’aise et vous rassurer, ceux là! Mais, quand arrêtera-t-on de les recruter sur leur seul amour des chiffres? Les médecins pourraient être des littéraires, enfin, des êtres un peu sensibles puisqu’ils vont être confrontés toute leur vie à la misère du monde. Une fois de plus, ici bas, on avait l'impression que les choses étaient faites à l’envers.
La prof avait raison, j’avais un peu quitté l’ambiance.
Je me suis ressaisi, j’ai rameuté toutes mes cellules, je leur ai intimé l’ordre de se regrouper à nouveau, ici et maintenant dans ce bain d'odeurs d'encens et de musiques planantes. Aussi, j’ai soigneusement évité que mes yeux se posent sur le dos de la jolie jeune femme à, à peine, un mètre devant moi… Son dos si beau et sa si longue natte brune qui le partageait en deux… Oublie, oublie... Détache-toi des basses tentations matérielles, élève ton esprit... On approchait de la fin de la séance. Elle s'est terminée par une série d’inspir/expir en sollicitant le seul diaphragme. Et si possible avec,  en tête, l’idée de respirer comme  un robinet qui fuit. Je n’ai pas été très bon. La seule idée de fuite me provoquant aussi sec des angoisses ancestrales et NON, NON, NON, je ne voulais pas savoir d’où ça me venait.
Et puis, nous sommes allés nous rhabiller. Étant le seul bonhomme de la petite assemblée, j’ai attendu que les filles sortent du vestiaire. C’est pendant que j'enfilais mon tee-shirt que j'’ai entendu la voix dire d’un ton plutôt ferme: Françoise n’oublie pas que tu me dois trois séances, déjà. Si tu n’as pas arrangé ça, la prochaine fois ce ne sera pas possible. Ça m’a surpris. Pour tout dire ça m'a paru très éloigné de l'esprit de ce qu'on venait de vivre.
Je suis sorti. Je suis allé m’installer dans un coin, au premier bar en descendant la rue. J’avais envie d’un café double. Peu de temps après, la voix est entrée. Je ne l'ai pas reconnue de suite, elle avait quitté son costume de prof de yoga. Elle était habillée comme une banquière sur son trente et un. Un long manteau de cashmere camel sur un tailleur noir, des talons noirs et un foulard de soie sur les épaules. Une canonnière!
Elle s’est assise sur un des hauts tabourets et a commandé sèchement un café: Vite un café! a-t-elle envoyé. Pas bonjour, s’il vous plait, je suis pressée je peux avoir un café, non elle a dit: Vite un café! Il est arrivé dans la demi-seconde. J’ai failli attendre! Je me suis dit, moi, elle plaisante. C’est un jeu qu’elle a avec le serveur. A la tête du gars, j’ai vu que non. De suite après la première gorgée, elle est entrée en colère en gesticulant!
"Alors je ne peux pas avoir un café chaud dans ce bar, vous n’y arrivez pas, c’est fou, ça! Ce n’est quand même pas très compliqué de faire chauffer de l’eau, vous devriez y arriver tout de même! C’est à chaque fois la même chose! On dirait que vous le faites exprès!

J’étais sur le cul. La chef yogi était odieuse. Comme j’avais épuisé ma séance d’essai gratuite, elle, je ne l'ai plus jamais revue…
J’ai demandé un annuaire, j'espérais trouver l'adresse de ce demi gourou phytostrecheur, le stretching, mais par les plantes, dont on nous rebattait les oreilles et qui semblait très en vogue dans le quartier…


Porte vieux Chantemerle

19 janvier 2011

Un écart de conduite.

Est-ce-que tu te fous de ma gueule? Dis, c’est de cette façon que tu nous remercie?  Et j’espère que tu ne vas pas me confirmer ce qu’on m’a dit sinon, tu es fini, mort, et je me chargerai personnellement de toi, de ta carrière, enfin ce qu’il en restera! Crois moi! Tu es grillé, j’aime autant te le dire! Ton prochain volant c’est celui d’un tracteur! Sans les roues!
Le type en costume dans une colère noire hurlait, éructait, vitupérait, tournait autour du lit du jeune gars bardé de tubes et de perfusions dans la chambre 213 de cet hôpital de province. Il y avait été amené en urgence quelques heures au par avant après une sortie de route dans la troisième spéciale de la journée. On avait décelé une demi-douzaine de fractures, la plupart à la jambe gauche et à un poignet aussi qui avait pas mal reçu. Mais, par miracle, aucun organe vital n’avait été touché et son copilote lui s’en était sorti sans même avoir eu le temps de prendre peur. Dès l’arrivée de l’hélicoptère qui l’avait amené, on l’avait plongé dans un coma artificiel, le temps de réduire toutes ses fractures et de pouvoir, ainsi, présenter un homme presque neuf. A vingt ans, il s’en remettrait vite d’autant que ce n’était pas son premier accident, ni ses premiers os cassés. Il y avait déjà eu droit en kart quand il avait débuté vers ses huit ans puis en moto, sept ans après, mais cette fois dans les bois lors d’une sortie avec ses potes. Ils pilotaient tous des  Bultaco trois cinquante. Un engin qui grimpe aux arbres. Une fois là-haut, le problème devenait d’en descendre… Ce jour là, il l’avait faite seul, la descente. Un grand pin avec des rochers au pied. Une omoplate et un avant-bras qu’il avait mis en avant pour se protéger. La moto était restée un temps accrochée puis l’avait suivi. Il l’avait prise sur le dos et deux vertèbres avaient éclaté. Un an après il reconduisait. Plutôt vite. C’est là qu’il avait été remarqué.
Une écurie officielle d’une grande marque avait parié sur ce jeune dingue qui allait plus vite que tout le monde. Pour qu’il se forme, elle lui avait fourni une voiture et une petite équipe. Ensemble, la première année,  ils avaient écumé les rallyes régionaux. Il avait raflé presque toutes les coupes. Et dans les hauts bureaux, quelques bedaines cravates s’étaient félicitées chaleureusement. De l’investissement. Il avait dès la fin de cette année là changé de catégorie. Ce qui voulait dire une voiture encore plus performante, une équipe plus fournie, davantage compétente et des revenus bien plus importants. Mais aussi des attentes à la hauteur. Il ne s’agissait plus de s’amuser. Alors qu’avant on pouvait, maintenant, il fallait gagner. La pression sur ses épaules aussi augmentait.
Lors de la première course, il avait fini deuxième derrière un de ces finlandais qui régulièrement descendaient du froid pour conduire plus vite que tout le monde. Le deuxième rallye, il l’avait emporté haut le volant et les bedaines costumes avaient allumé de gros cigares.
C’est lors du troisième rallye que ça a basculé. Dans cette troisième spéciale, justement. Après avoir remporté les deux premières,  il avait attaqué comme à son habitude, à fond, le pied droit non plus au plancher, mais à l’étage en dessous. Et puis, ce virage, là qui n’avait rien de particulier. Pas même d’eau, aucun trou, pas un poil de gravier. Non, rien  de remarquable excepté une petite boule sombre que lui seul a vu,  qui, à peine sortie des herbes hautes bordant la route, avait commencé à traverser tout lentement. Juste au point de corde. Il ne l’a vue qu'au tout dernier moment.  Il n'a même pas eu le temps d'hésiter. Il a donné un coup de volant pour l’éviter. Il n’aurait pas dû. Trois tonneaux après, il s’endormait avec une violente douleur au côté gauche.
Le type en colère reprit de plus belle et plutôt vulgairement: Est-ce que tu te rends compte de la masse fric que tu nous fais perdre espèce de petit con? Et on me dit que tout ce bordel c’est parce que tu n’as pas voulu écraser une bestiole? J’espère que c’est des conneries…
Le blessé a appuyé sur la poire pour faire venir l’infirmière. Elle est arrivée très vite dans la violence des mots de l’autre. Elle s’est penchée sur le jeune pilote blessé. Dans un souffle, il lui a dit: S’il vous plait, vous pouvez le virer, celui là? Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, j’ai mal au crâne.

Puis, il a ajouté: Dites, le hérisson dont il parle, vous savez s’il s’en est sorti?

Route Ménèrbes

17 janvier 2011

Un bras.

Le jeune type blond, athlétique, en sueur, étudiant en médecine avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, il n’avait devant lui que deux solutions.
Et si l’une était épouvantable, l’autre était effroyable.
Il profita d’une accalmie dans la douleur inouïe qui l’assaillait, pour se remémorer l’enchainement des derniers évènements, pour tenter de comprendre à partir de quand ça s’était précipité, en pire. Dans la folie de ce qu’il était en train de vivre, il avait, sans doute besoin de faire un peu de rangement. Il se revit l’avant-veille, au motel, avec Ann-Lucy quand elle lui a demandé, cette fois, de ne pas le faire, de ne pas y aller, de renoncer. Elle ne le sentait pas a-t-elle dit, elle avait de mauvaises ondes. Il en a souri. Pourtant, elle le connaissait bien maintenant. Trois années qu’ils étaient ensemble, deux ans qu’ils s’aimaient. Profondément. C’est à dire pas au point de partager la même passion. Lui avait la sienne, qui le mangeait tout cru, elle s’en cherchait une. Pour l'instant, elle l'avait trouvé, lui. Il lui avait dit très vite: Tu sais je saurais, un jour si tu m’aimes vraiment. Si tu me demandes d’arrêter, je saurais que tu ne m’aimes pas tout à fait. Alors, elle n’avait plus jamais rien osé, même quand elle avait su. Elle s’était contentée de se ronger les doigts et à chaque fois, d’attendre son retour. Fébrilement. Lui, il l’avait aimé, entre autres pour ça. Sa patience fébrile et sa peur étouffée. Sauf cette fois où elle avait parlé.  A part un feu rouge clignotant de passage à niveau, y-a-t-il plus inquiet qu'une femme enceinte?
Il s’est dit qu’il aurait peut-être dû l’écouter. Ce soir là, elle était allée jusqu’à lui demander sa main. "On devrait le faire" avait–elle dit. "On pourrait… "avait-il répondu. "Alors, je te la demande, ta main. Accorde la moi..."
"La voilà," avait-il fait en lui tendant le bras, "elle est à toi." Et puis, ils avaient éclaté de rire. Tout ça avait un côté officiel qui leur avait fichu une peur bleue. Et  ça s’était terminé, épuisés, sur une moquette de salle de bain.
Ça ne l’avait pas empêché de se lever un peu avant l’aube, de quitter la chambre en silence la laissant endormie dans la douceur de sa nuit et de ses rêves de longue robe blanche. Il avait laissé derrière lui le parking du Yosemite View Lodge, puis la ville et, en cette fin de nuit, il venait déjà d’entamer son ascension: El capitan. Une muraille droite de neuf cent dix mètres qu’il voulait vaincre en solo. Pour quelqu’un de son niveau, elle nécessitait trois jours de grimpe, donc deux bivouacs en pleine paroi. Il y pensait depuis qu’il avait commencé. En fait, il s’était mis à ce sport pour un jour, y monter. Un monstrueux pan de granit. Techniquement, mentalement, physiquement, sportivement, humainement, c’était un Everest. La verticale d’une vie. Un jour, il s’était senti prêt. Il ne lui avait pas dit de suite, il se l’était gardé un temps, comme on garde un bonbon sous la langue, sans le croquer. Tu parles d’un bonbon!
Le jeune gars a esquissé un vague sourire en repensant à l’état de la chambre. La souffrance l’a repris. J’aurais dû l’écouter, mais je ne l’ai pas fait. A quoi ça me sert de me dire ça, maintenant? A rien. A foutre rien.
Il faut que je passe par là. Il le faut.
C’est vers les trois cent mètres de hauteur que tout s’est joué. Jusque là, tout s’était passé selon ses vœux, il avait avancé comme il l'avait prévu, il n’avait pas rencontré de difficulté particulière. Il était déjà venu ici, les trois années précédentes, il connaissait bien la voie qu’il avait choisie, la plus directe, la plus engagée. Dans une fissure d’une trentaine de mètres quasiment verticale, il y a une heure, le type solide, en pleine forme, avait manqué une prise. En chutant, freiné par la première dégaine sous lui, son bras gauche s’était retrouvé violemment coincé dans l’entaille de granit de la paroi. Son corps pesant vers le bas, le bras était bel et bien bloqué. Il avait tenté de remonter pour le dégager mais il n’avait pas réussi. Alors, après un long moment de réflexion, toutes ses tentatives de sortir de ce mauvais pas étant restées vaines, l'idée folle lui était venue. Une solution démente, mais qu’il n’avait pas encore envisagée et qui lui était apparue finalement la seule possible pour lui sauver la vie. Il devait se séparer de son bras. Dit de cette manière lui avait permis de lisser l’horreur de la rendre pensable. S’il voulait vivre, il fallait se défaire de ce qui l’empêchait de se mouvoir. S’il ne voulait pas mourir accroché à cette paroi, il devait le faire. C’était finalement terriblement très simple. Alors, convaincu que c'était l'unique possibilité, de sa main droite, il avait sorti le couteau suisse qui ne le quittait pas, il avait dénudé le bras gauche jusqu’au coude et dans des hurlements de souffrance et des efforts incroyables, juste à l’articulation du coude, en manquant de tourner de l’œil deux ou trois fois dans l’opération, il l’avait fait…
C’est en nage, trempé de sueur, de douleur et d’effarement qu’il avait terminé. Après un temps de répits, il était remonté un peu sur la paroi, maintenant libéré, il avait dégagé son bras gauche, l’avait enveloppé dans un linge puis enfoui dans un de ses sacs…
Puis, il avait entamé sa descente. Grâce à une énergie surhumaine, il était arrivé à son camping car, il y était monté et avait conduit jusqu’au poste de secours le plus proche. Ce type sportif, costaud, jeune, le visage maintenant ravagé par la douleur et l’épuisement, avait fait ça seul en serrant les dents, mais seul, son bras amputé dans un sac à dos. Arrivé au poste de secours, il était descendu de son engin, s’est avancé en vacillant sur ses genoux vers les secouristes présents qui se sont levés d’un bond à son approche.
“Elle m’a demandé ma main, je l’aime tellement que je lui ai ramené tout le bras…” s’était-il entendu dire avant de chuter profondément, mais cette fois, dans les pommes…

image
Image d’El Capitan piquée sur le net…

15 janvier 2011

Pas tous les jours…

Ce n’était pas tous les jours facile
Mais c’était avec.
Le temps, ce vieil imbécile
Nous a bien cloué le bec,
Et condamnés à l’imparfait.

Ce n’était pas tout le temps sourire
Mais c’était avec.
Le rire étincelle à éblouir
On s’y empale, blancs becs,
Alors qu'on aim'rait s'y blottir.

Ce n’était pas toujours sans dire
Mais c’était avec.
Depuis qu’on l’a vu courir
On l’a dans l’eau, le bec
Et ça nous va à mourir.

Ce n’était pas souvent mentir
Mais c’était avec.
Parce qu'il a choisi le pire
On se retrouve à plat, cœurs secs,
C’est alors, à nous de maudire.

Ce n’était pas tous les soirs festance
Mais c’était avec.
Depuis qu’on a quitté l’enfance
On mate nos plus graves échecs,
On s'ose, gavés d'absence…

Toute l'infime différence est dans l’avec ou sans.
Parfois vaudrait mieux sans, alors qu’on est avec.
Souvent on fait avec, alors qu’on aimerait sans.
Il arrive qu'on se ronge les sangs de n'être plus... avec.

Île St Michel 2

11 janvier 2011

Des nuages…

Hier, il m’est arrivé deux évènements, coup sur coup, abassourdissants!
J’étais installé devant l’écran de mon ordinateur, attendant je ne sais quelle étincelle magique, quelle lumière descendant du plafond lambrissé, dont je n’ai pas encore trouvé le courage de le peindre en blanc et pourtant ça donnerait un surplus de  lumière au bureau où j’ai installé écran et tour…
(Quel inversement de valeurs, entre parenthèses( c’est pour cette raison que j’en ai mis deux…) bien avant, on s’installait dans une tour, maintenant c’est elle qu’on installe dans un bureau…).
Bref, j’étais assis confortablement et je vaguais, revaguais voire divaguais.
J’avais fini par me trouver dans un état de conscience  mollement mou qui n’était, cependant, pas du sommeil. Un état de conscience flottant... Imaginez une cervelle posée  dans une barque navigant sur un lac Daumesnil au bois de Vincennes, un de ces lacs artificiels d’une trentaine de centimètres de profondeur, d’un vert sombre, sans aucune vaguelette, avec une légère odeur de vase, le tout baigné dans des brumes impressionnistes. Voilà quel était précisément mon état. J’étais là sans y être, encore assis, pas tout à fait liquide, présent mais finalement assez éloigné. J’avais ouvert word et une page vide. Blanche.
D’un coup, je ne sais d’où me sont venus quelques vers, mes doigts, les deux index, se sont mis à taper sur les touches que l’œil cherchait à la vitesse d’un âne au galop. Un sourire s’est dessiné sur mon visage. Je l’ai senti sans le voir. Et ça s’est enchaîné assez vite, ma foi. Comme s’ils descendaient de ces  magnifiques nuages postés au-dessus de la maison, passaient au travers des tuiles du toit et des planches de pins du lambris à repeindre, très vite, une douzaine de vers ont noirci le blanc de la page. Ils étaient assez longs et ne semblaient pas sonner si mal. Je me suis arrêté de marteler les touches pour les relire, j’ai fait quelques corrections à la louche, vite fait, à l’oreille. Raccourcissant ici, changeant de verbe là, virant un mot à ce détour, trouvant une autre image en bout de course par là. Et puis, j’ai continué pendant deux vers. Là, l’arrivée des phrases s’est un peu ralentie, puis a cessé comme un robinet qu’on ferme. J’ai relu le tout et j’en fus satisfait. Je ne dis pas que je les ai trouvé bons, je dis que j’en étais content. Je les ai trouvé montrables. A condition d’en ajouter encore quelques uns qui viendraient consolider l’édifice. Je repoussai cette “opération” à plus tard. Et là, j’ai appuyé sur deux touches qui devaient sauvegarder mon napperon. Tschlaaf!
Ils ont disparu corps et biens. Impossible de les retrouver dans les méandres de l’ordinateur. Ils les avait avalé. Il les avait effacé. Il les avait détruit. Salopard. Après un instant de déconfiture, c’est la colère qui m’a gagné. Et puis je me suis calmé, ce n'était pas non plus un bateau ivre qui m'avait été prêté... Tout juste une barque pompette...
Et, je ne me suis pas laissé abattre, j’ai ouvert un autre logiciel, et je me suis installé, en attente. Joie, après un moment, d’autres  vers ont daigné se pointer. Ils étaient plus ramassés, plus condensés, plus nerveux, presque meilleurs. Un canoë en peau de renne.  Je jubilai.  Enfin, c’est ce que je me suis dit. Un sourire plus grand encore que l’autre m’a parcouru. Les  merveilleux nuages continuaient de déverser gentiment leur lot d’images, de phrases, de sons et j’en étais le relais. Après un moment, je me suis dit que je devais, cette fois, éviter la boulette précédente. J’ai voulu enregistrer ce que je venais de taper. Combinaison de deux doigts et… Tschhlaaf! Effacés. Rien, il ne restait rien. Tout était parti… Ce n’était décidément pas mon jour.

J’ai regardé par la fenêtre, les nuages avaient fini par lever le camp. La page du ciel était  redevenue bleue.


Ciel Avignon

06 janvier 2011

A la baguette.

___ Oh! Oh! Mais le petit monsieur s'est changé: il s'est mis des pantalons longs! Prends les cinq francs sur la table de la cuisine!
___ D'ac! J'vais pas sortir dans la rue en short quand même! J'y vais!
___ Dépêche-toi, ça va bientôt fermer!

C’est avec une fierté sans borne et un doux nœud au ventre que le petit bonhomme blond a, un petit peu, refermé la grille en fer du pavillon de banlieue où il habitait...  Il a bien veillé à ce qu’elle ne se claque pas tout à fait. Une fois la peur passée, il s'était mis à adorer ces instants où il quittait l'enclos de la maison et du jardin une pièce en main, seul,  dans les rues du quartier. Nous étions en Mai. Le printemps avait enfin déversé sur cet endroit tout ce qu’il faut pour un joli début de saison: verts tendres aux toutes jeunes feuilles des arbres, douceurs des soirées, odeurs de propre et de renouveau, chants d’oiseaux guillerets, bienveillance générale, bref tout ce qu’il faut. Le gris des quatre mois d’hiver avait presque complètement disparu, n’en restait plus que les souvenirs et les gens se remettaient à sortir de chez eux et à causer sur les pas des portes.
Le blondinet d’une huitaine d’année tenait dans sa main gauche très fermement serrée une pièce de cinq francs. Vous savez, celles qui étaient les plus grosses, les plus  brillantes. Celles qui avaient le plus de difficultés à entrer dans les tirelires mais qu’on avait tendance à garder quand même parce qu’elles tournaient bien sur elles mêmes quand on s'en servait comme toupies…
Il a marché en dansotant dans le printemps de cette rue. Il a joué un instant avec Tex le chien des voisins qui le connaissait bien puis il a tourné à l’angle de la rue vers la gauche dans l’avenue plus grande. Il est passé devant le dépôt de bois de la scierie, dans les senteurs fortes des grumes  qui venaient d’être coupées. A cette époque, on trouvait encore des usines en pleine ville, au beau milieu des pavillons. De vraies usines avec de vrais ouvriers qui mangeaient le midi dans des gamelles, assis sur les bords des trottoirs,  en bleus de travail. Pour l’instant on entendait que le sifflement régulier de la lame circulaire qui fendait les troncs en planches et le bruit assourdissant de la dégauchisseuse qui lissait les planches en étagères. En ce temps là, les meubles ne venaient pas de Suède, rangés à plat comme des saumons fumés. En ce temps là, les meubles étaient fabriqués sur place, à la commande, au besoin. En ce temps là, les meubles faits étaient livrés avec une carriole, poussée par un jeune apprenti, dans le quartier, une fois terminés. Le petit gamin blond a longtemps regardé fasciné, à l’intérieur de l’usine les va-et-vient de tous ces bons hommes qui s’activaient en hurlant puis il a repris son chemin vers la boutique où il allait avec sa pièce de cinq francs toute étincelante dans le creux de la main.
Il lui fallait maintenant se dépêcher, l’heure de la fermeture n’allait pas tarder à se pointer. La boulangerie fermait toujours entre le midi et le soir. Le gosse a encore tourné à gauche a un angle de rue puis à droite et s’est retrouvé cette fois dans la plus grande des avenues, celle qui divisait la ville en deux mais changeait de nom à un endroit. Il est arrivé devant la boulangerie. Une petite boutique de quartier. Quand il est entré dans les odeurs de pain chaud, une cloche a retenti. Il n’y avait personne dans le magasin. En attendant que la boulangère arrive… Oui, ici c’était simple: le boulanger faisait le pain, sa femme le vendait. Un peu comme chez le boucher, le charcutier, le poissonnier. Il n’y avait que chez les libraires ou les médecins que leurs femmes ne travaillaient pas. Comme elle tardait à venir, il s’est approché des immenses bocaux de verre et des casiers également en verre où étaient entassés des bonbons de toutes couleurs. Avec la plus immense des gourmandises, il a plongé les yeux dedans en se demandant lesquels il allait s’offrir avec la monnaie du pain.
Comme il rêvait, la porte de l'arrière boutique s’est ouverte avec fracas. La boulangère en furie en est sortie. Son chignon défait, elle a gueulé:
Sale petit voleur! Tous les mêmes! Dès qu’on a le dos tourné! Qu’est-ce que tu veux, gangster?
La vache! Il était tombé sur une adepte du principe de précaution, une folle du:"Tous coupables"! Une dingue du: "Bats ton gosse, si tu ne sais pas pourquoi, lui il sait!" Une damnée de la légitime défense, si ça se trouve! Une abonnée à "Coups et blessures"...
Cette saleté de bonne femme moche venait de le plonger dans un bain glacé de peur et de honte. Il tremblait autant de l’un que de l’autre. Il a bredouillé: Mais je n'ai rien volé!
__ Tu allais le faire, si je n'étais pas venu à temps! C'est pire! Qu'est ce que tu veux?
__ Une baguette. Et il a tendu sa pièce, elle lui a filé la baguette, lui a rendu la monnaie en le regardant d’un œil noir, lourd, mauvais.
Il a ramassé le tout et a filé chez lui sans trainer en route. De temps en temps il se mettait à courir sur deux trois foulées. C’est la voix de la mégère qui le poussait aux fesses. Il a, enfin, ouvert la grille de chez lui.
Sa mère n’a pas compris pourquoi, cette fois, avec la baguette, le petit blond lui rendait TOUTE la monnaie sur les cinq francs et mieux, le lui disait…

Lui, il était tout chamboulé, il venait de recevoir l'injustice en pleine figure.

Bas de porte semur 2

05 janvier 2011

Envol de vélo.

Ils habitaient un pavillon dans une rue tranquille, du côté droit de la nationale qui filait vers l'Est, le vrai, vers Nancy et qui partageait le coin en deux. Au début, quand ils étaient venus habiter par ici,  ils avaient cru que Nancy était un prénom et puis non, on leur avait dit que tout au bout c’était l’Allemagne et puis la Pologne et au fond,  la Sibérie. A cette idée, ils avaient eu froid dans le dos. Cette nationale c’était comme une grande frontière horizontale. A droite en regardant Varsovie les quartiers chics, les pavillons, les chiens  grands comme des ânes qui gueulent dans une permanente colère et les regards en coin. A gauche des cités, des cités et encore des cités. Pas les plus moches, mais pas les plus mignonnettes non plus. En tous les cas, on ne le traversait pas si souvent, le rio grande.
Ils habitaient un pavillon, sur des côteaux, dans une rue peinarde avec une vue sur la capitale à couper le souffle, tant et si bien que certains jours ils pensaient même, pouvoir apercevoir, dans le fond du paysage, les plages de Normandie, voire plus loin encore. Un pavillon bien à droite de la nationale, évidemment… A l’entrée, après la grille, ils  avaient construit un abri de bois dans le quel ils mettaient les bicyclettes, les poussettes, quand il y en avait eu, enfin tout ce qu’on attrape quand on doit sortir avec. La lourde grille n’était jamais fermée à clef sous le prétexte que si quelqu’un veut entrer, il entre. Il se murmure que ce serait plutôt par flemme d’avoir à sortir le trousseau de clé à chaque fois.
Un soir, ils dinaient à plusieurs dans la baraque. Quand les amis sont repartis, ils les ont accompagnés à la grille du parc comme ils disaient. Là, tout le monde s’est embrassé plutôt deux fois qu’une, autant la joie de se séparer que celle d’avoir été ensemble. Le silence revenu le type a lancé un regard sous l’abri en bois. Il n’y a pas cru de suite mais il se l’est dit très vite:
__ Mon vélo! On m’a gaulé mon vélo! Tu ne l’as pas mis ailleurs par hasard?
__ Ben non, je n’y ai pas touché à ton vélo!
__ Ben voilà: volé mon vélo!
Bien que la phrase soit drôle, personne ne songeait, à cet instant, à se marrer. Quelqu’un était entré dans le jardin pendant qu’ils mangeaient sans vergogne, et sans bruit avait embarqué le vélo. Et voilà. Ce n’était pas non plus un engin fabriqué sur mesure mais bien un truc acheté en grande surface, venant sans doute de Chine mais avec des freins shimano, une selle, un pédalier, un guidon et des roues bien pratique pour aller faire un tour et éviter de prendre la bagnole. On attendra un peu pour en racheter un. Ils habitaient peut-être à droite de la nationale mais ils n’avaient pas les moyens de se payer de suite un vélo quand l’un disparaissait.
Deux jours après cette histoire, il est allé au bar, tabacs, journaux au grand rond point. Le bar était à gauche de la nationale. Il fallait en faire le tour et se garer de l’autre côté. Oui, il y était allé en bagnole bien que ce soit à cinq cent mètres. D’ordinaire, il y allait en… pédalant. Avant d’entrer dans la salle enfumée des vapeurs de cafés et des brumes de la nuit, le jour venait à peine de se lever sur le gris de la banlieue, il l’a vu. Il était posé là, le long de la barrière, une branche du guidon appuyée sur la vitre. Il l’a bien, entendu, reconnu de suite. Alors, il a attendu.
Deux trois minutes après, c’est une gamin qui est sorti du bar et qui a empoigné le vélo. Il s’est approché. Il lui a dit:
__ Bonjour. D’où vient-il ton vélo?
Sans se démonter le gosse a répondu: “Je l’ai acheté avant-hier à un type. Pourquoi?”
__ Ben, parce que c’est le mien, je me le suis fait voler avant-hier, justement. Sais-tu ce qu’on va faire? Je vais repartir avec...
__ Ah mais non, vous ne pouvez pas, je l’ai acheté, laissez moi régler ça, ce n’est pas juste que vous me preniez mon vélo.
__ Le mien, c’est le mien! Ne transforme pas les choses à ton avantage.
Au bout d’un moment de cette discussion stérile, il a décidé:
__ Ecoute, tu vas repartir avec MON vélo et je te donne deux jours pour régler ton affaire! On se retrouve ici après-demain tu me rapportes le vélo et on n’en parle plus. Tu comprends bien que je ne vais pas te racheter MON vélo, quand même! Est-ce que je peux avoir confiance en toi?
Le gosse a dit oui, ils se sont tapés dans les mains et l’autre a enfourché le vélo pour filer dans le gris des immeubles.
L'adulte est revenu deux jours après. Il a attendu une bonne heure avant de s’en repartir. Seul, sans son vélo.
Alors bien sûr, quand il a raconté cette histoire, tout ceux qui étaient présents se sont foutus de sa gueule et dans les grandes largeurs en plus! Ils étaient pliés de rire devant tant de naïveté stupide! Ils lui ont tous dit:
__ Mais tu vis où, toi? Sur quelle planète? Dans quel monde? Sur la planète Bisounours? Et tu croyais vraiment qu’il allait te le rapporter ton engin?  Une beigne dans la gueule et c'était fini l'affaire! T’aurais dû lui laisser un chèque aussi pendant que tu y étais, alors toi t'as le pompon etc…
Ils riaient, ils riaient!

Bien. Allez-y, à vous de rire, maintenant…

O 047

01 janvier 2011

Ma jolie chatounette…

Il fallait, malheureusement, désormais s'y résoudre: Dans le monde où nous vivions, la tendresse, la douceur, la bienveillance et l'attention n'étaient plus considérées que d'une manière tragique...
Après ça, après ce que je venais de me dire dans ma petite tête, je marquai une  légère pause, à cause que la bataille qui se livre dans ma vertébrale, dont j’ai causé  par ailleurs... (On note un vrai relâchement dans l'expression, sans doute  dû au laisser-aller général d'une période de fêtes...)
Un petit arrêt à même une ruelle tranquille où pas de voiture, ni de personne ne passaient. Il faut dire que le monde semblait avoir déserté la ville, peut-être avaient-ils, tous, foncé  dans leurs cuisines, devant leurs fours et fourneaux en cette période de repas festifs?
Il faut dire que malgré les douleurs, je ne m’étais pas ménagé. J’étais allé faire un tour de ville, puis trainer mes guêtres dans une expo vaguement arnaqueuse sur les Ponts, au Palais des Papes, j’en avais profité pour grimper tout en haut d'une des tours, d’où  l'on a une vue magnifique sur celui où  les beaux messieurs font comme ci et les alentours qui sont pas mal amochés eux aussi. Ensuite, j’étais allé m’asseoir,  un peu, devant une gentille comédie française et souriante à l’Utope, comme il est coutume de dire dans le quartier. Ensuite, j'avais croisé dans la ville en boitillant tranquillement, pépère, en trainant un peu la patte comme un corsaire du seizième, siècle, surtout dans les escaliers mais j’avais dans le fond une voix qui disait: “ Si tu crois que tu vas m’immobiliser, tu te goures ma belle Nanie!”
Et, là, je venais de m’arrêter de marcher. A même le mitan de la ruelle, au niveau d’une voiture garée.
Après quelques secondes, de dessous l’engin,  après un miaouuu langoureux et plaintif, une boule de poil est apparue. De longs et magnifiques poils, bien que  sales, qui miaulaient de quelque part. Je me suis-aïe-accroupi vers la fourrure craintive. De ma main, je me suis appuyé sur l’aile avant gauche de la bagnole et nous avons commencé à parler, elle et moi. Enfin, surtout moi. Elle, elle se contentait de miaulements réguliers, puis ronronnants. Comme il n’y avait personne dans la rue, je ne me suis pas gêné pour parler tout haut. Et vas y que je lui envoie des mielleux: “Ma toute belle, viens me voir ma minouche, approche-toi, chatounette jolie, viens la douce… Comme tu es belle, comme tes poils sont sales, viens par là te faire caresser ma ronronnette…”
Que des paroles fines, intelligentes, pleines de bon sens et de retenue enfin tout ce qu’on peut dire de bêtises doucereuses à un animal qu'on a bien envie  d'amadouer, dont on voudrait bien qu’elle s’approche pour la caresser.
Comme elle était assez peureuse, il a fallu que je déploie un trésor de patience et une avalanche de mots doux. Tout mon répertoire y est passé, j’ai usé et abusé de tous les diminutifs en “ette”. La bestiole sans doute hypnotisée par ma logorrhée en forme de piège en velours  a fini par s’approcher de mes jambes et a commencé à tourner autour, collant au passage des touffes entières de poils gris à mes deux jambes de pantalons. Je me suis relevé et j’ai continué à lui en dire de belles: “Finalement tu aimes qu’on te parle, ma belle, tu y viens aux caresses hein? Allez sors un peu que je te prenne ma superbe, viens me voir, ma chatoune jolie…”
C’est après le “jolie” que j’ai vu la tête de la conductrice tassée dans son siège à un mètre de la mienne. J’ai vu la lueur d’effarement dans ses yeux clairs, j’ai vu sa peur… Elle avait assisté à tout, elle avait tout entendu, en première ligne. Sans pouvoir apercevoir la bestiole… J’ai bredouillé, maladroit, hésitant:
” Heu… excusez-moi, ce n’est pas à vous que je parlais…”
En manquant de m’écraser et en démarrant en trombe, elle m’a balancé par sa fenêtre ouverte un rageur:
“J’espère bien…  MALADE!”


Ste Rose sieste chat

Deux mille onze...


A-1


De l'oeil du blizzard de bises qui s'abat sur nos joues désormais baisées, du plein cœur de cette gigantesque et planétaire tempête de vœux qui volent en tous sens... les miens!
Faites vous la belle bonne et douce!
Ce qui vaut, quand même, mieux que: belle, bonne et d’âne...

Publications les plus consultées