23 janvier 2011

Hata yo yo.

              Après avoir longtemps survolé la Haute Vallée de la Félicité Radieuse, accompagnés du seul bruissement mélodieux de tout un vol de pinsons guillerets, nous nous étions posés, mollement, sur un immense pouf de mousse épaisse et douce, dans la tendre tiédeur feutrée d’une clairière ensoleillée, en un début de printemps bienveillant... Je m'étais, à peine, dégourdi les jambes de la posture improbable qu’elle nous avait fait prendre avant de tous  décoller de la pièce quand la voix a suggéré: Relâchez vous, mais relâchez vous vraiment bien...
Bien sûr que je vais me relâcher, tu crois quoi? Que je vais rester plié comme une cocotte en carton? C'est ce que je m'étais murmuré à moi-même dans le silence revenu.
Le coup d’après, on a tous levé le camp pour s'en aller s'allonger sur une plage de sable, balayée par un alizé pépère, habitée par le seul chuintement des vaguelettes venant s’éclaffer calmement sur la grève, au rythme d'un monde, au souffle ralenti, vague après vague, après vague, après vague… Je suis à peu près certain que quelques uns en ont profité pour piquer un petit roupillon à même le chaud du sable. A dire vrai, ça s’est  entendu à leur respiration qui est devenue un peu plus lourde et il y eut même quelques débuts de grognements ronflés. Je le sais, je me connais bien de ce côté là... La voix n’a pas laissé faire, elle a pris tout le monde de court: On se réveille, on revient au monde! Elle n’avait pas tout à fait tort, on n’était pas là pour s’endormir surtout sans nos lauriers!
Le troisième et dernier voyage de la matinée a vu, toute la petite troupe réunie dans la pièce surchauffée, une ancienne boucherie chevaline d’un arrondissement central, s’en aller faire un tour dans le bocage normand, parmi les vaches brunes et noires… Une fan de Stone et Charden, je me suis dit. Un bon point pour elle, ce n’était pas si fréquent d’en rencontrer encore, la plupart étaient morts depuis quelques années déjà. La voix s’est très approchée de moi: Restez avec nous, vous, vous  n’êtes plus vraiment là m’a-t-elle envoyé. Elle avait vu juste. J’avais un mal de chien à rester ici et maintenant. J’avais des excuses. J’étais débutant. C’était ma première fois.
Je m’étais inscrit dans ce cours, à la suite d'une vilaine hernie discale qui m’avait poignardé et le dos, et la jambe, et la cuisse pendant quelques mois. Mon doc m’avait recommandé le yoga pour tenter d’éviter l’opération et, avait-il ajouté, pour sauver ce qui était encore sauvable. Gasp! Parfois ils ont le chic pour vous détendre, ces  diplomates, en acier, ils savent vous mettre à l’aise et vous rassurer, ceux là! Mais, quand arrêtera-t-on de les recruter sur leur seul amour des chiffres? Les médecins pourraient être des littéraires, enfin, des êtres un peu sensibles puisqu’ils vont être confrontés toute leur vie à la misère du monde. Une fois de plus, ici bas, on avait l'impression que les choses étaient faites à l’envers.
La prof avait raison, j’avais un peu quitté l’ambiance.
Je me suis ressaisi, j’ai rameuté toutes mes cellules, je leur ai intimé l’ordre de se regrouper à nouveau, ici et maintenant dans ce bain d'odeurs d'encens et de musiques planantes. Aussi, j’ai soigneusement évité que mes yeux se posent sur le dos de la jolie jeune femme à, à peine, un mètre devant moi… Son dos si beau et sa si longue natte brune qui le partageait en deux… Oublie, oublie... Détache-toi des basses tentations matérielles, élève ton esprit... On approchait de la fin de la séance. Elle s'est terminée par une série d’inspir/expir en sollicitant le seul diaphragme. Et si possible avec,  en tête, l’idée de respirer comme  un robinet qui fuit. Je n’ai pas été très bon. La seule idée de fuite me provoquant aussi sec des angoisses ancestrales et NON, NON, NON, je ne voulais pas savoir d’où ça me venait.
Et puis, nous sommes allés nous rhabiller. Étant le seul bonhomme de la petite assemblée, j’ai attendu que les filles sortent du vestiaire. C’est pendant que j'enfilais mon tee-shirt que j'’ai entendu la voix dire d’un ton plutôt ferme: Françoise n’oublie pas que tu me dois trois séances, déjà. Si tu n’as pas arrangé ça, la prochaine fois ce ne sera pas possible. Ça m’a surpris. Pour tout dire ça m'a paru très éloigné de l'esprit de ce qu'on venait de vivre.
Je suis sorti. Je suis allé m’installer dans un coin, au premier bar en descendant la rue. J’avais envie d’un café double. Peu de temps après, la voix est entrée. Je ne l'ai pas reconnue de suite, elle avait quitté son costume de prof de yoga. Elle était habillée comme une banquière sur son trente et un. Un long manteau de cashmere camel sur un tailleur noir, des talons noirs et un foulard de soie sur les épaules. Une canonnière!
Elle s’est assise sur un des hauts tabourets et a commandé sèchement un café: Vite un café! a-t-elle envoyé. Pas bonjour, s’il vous plait, je suis pressée je peux avoir un café, non elle a dit: Vite un café! Il est arrivé dans la demi-seconde. J’ai failli attendre! Je me suis dit, moi, elle plaisante. C’est un jeu qu’elle a avec le serveur. A la tête du gars, j’ai vu que non. De suite après la première gorgée, elle est entrée en colère en gesticulant!
"Alors je ne peux pas avoir un café chaud dans ce bar, vous n’y arrivez pas, c’est fou, ça! Ce n’est quand même pas très compliqué de faire chauffer de l’eau, vous devriez y arriver tout de même! C’est à chaque fois la même chose! On dirait que vous le faites exprès!

J’étais sur le cul. La chef yogi était odieuse. Comme j’avais épuisé ma séance d’essai gratuite, elle, je ne l'ai plus jamais revue…
J’ai demandé un annuaire, j'espérais trouver l'adresse de ce demi gourou phytostrecheur, le stretching, mais par les plantes, dont on nous rebattait les oreilles et qui semblait très en vogue dans le quartier…


Porte vieux Chantemerle

14 commentaires:

Tilia a dit…

M'étonnerai que ce soit la bonne porte pour un cours de yoga, mais ce 31 à beaucoup d'allure.

Le début de votre histoire m'a fait penser à un passage de ce bouquin que je suis en train de lire. Quand la prof déplace par magie toute sa classe sur les lieux correspondants à l'objet de son cours !

L'auteur du bouquin c'est Terry Pratchett (né comme moi en 48), il est atteint depuis 2008 par l'Alzheimer... *$!#&¤ de saloperies de vaches folles :((

Anonyme a dit…

Y'en a plein par chez moi, des profs de yoga dans ce genre, à 40 euros la séance, c'est sûr que le manteau est vité payé...

chri a dit…

Anne De Nîmes: Par définition, je ne sais d'où vous écrivez mais les oxymores me font sourire! Un prof de yoga libéral ça en déclenche un par exemple!

Anonyme a dit…

chus pas de nîmes, chuis d'annecy, où l'on sait de quoi l'on cause quand on évoque le libéralisme.

chri a dit…

@ Marie Par ici, le Lubéron est à deux pas...

nathalie a dit…

Ah un réjouissant (ou désespérant) récit des travers du new age... à dénoncer avec force pour séparer les brebis galeuses du reste du troupeau bio gentil :-))))

(je n'ose demander des nouvelles de la hernie discale ?)

Anonyme a dit…

La prochaine fois que tu passes, je t'emmène à la séance de stretching de L. Une genre de liane cuivrée aux yeux comme un départ en mer, qui s'étire et t'enroule, se déploie, te déracine, lentement dénude la fibre sous l'écorse, et quand les lattes du parquet se mettent à flotter, tu ne penses même plus à son sourire ; c'est ce qu'il t'avait promis.
Je n'étais pas arrivé quand elle a demandé son café, mais à voir l'air du serveur quand elle a commandé le mien, j'ai pensé L., comme dans mélodieuse.

Slev

chri a dit…

@ Slev J'arrive!

Nathalie a dit…

Ah oui Slev, quel portrait!

Lautreje a dit…

Heureusement que vous n'avez pas pris un abonnement longue durée avec forfait et tout et tout...

rigolo le captcha : revit !!
un signe !

chri a dit…

@Lautreje: Je ne sais pas pourquoi, mais je n'y ai pas cru!

Tisseuse a dit…

ton intuition a bien joué en quelque sorte, et c'est aussi pour cela que tu "t'évadais" probablement durant la séance
car un praticien autant "à 2 niveaux" cela se ressent logiquement
il vaut mieux qu'il y ait moins de distorsion chez le praticien pour nous aider à approcher une problématique de douleur et de raideur
d'un autre côté, il n'y a pas besoin que la personne soit parfaite dans sa vie perso pour amener une bonne pratique

en matière de hernie discale, il est souhaitable d'aller voir un bon ostéopathe, et sur un plan "gestion corporelle" d'essayer du Qi Gong moins éprouvant pour le corps
courage pour ça !
il est rare que l'opération soit la meilleure médecine

chri a dit…

@Tisseuse
Merci de tous ces conseils qui sont judicieux mais c'était une fiction, juste une fiction...

chri a dit…

@Tisseuse
PS: A part la hernie, évidemment!

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