28 juillet 2018

L'idéale.

Voilà quelques jours en arrivant à la fontaine de Saint Didier en venant de Venasque (je venais bien de là, je ne l’ai pas écrit pour faire sourire) en sueur, il y avait un type qui s’aspergeait d'eau fraîche. En posant ma bicyclette contre les pierres taillées de la fontaine, j’ai vu  qu’il avait, à quelques années près le même âge que moi, et très vite, nous sommes allés au cœur des choses. 
Surtout lui! Ce qu’on appelle une amitié de mollets? En deux temps, trois ablutions il m’avait presque tout raconté de sa vie. Et ceci cela, si je fais une sortie par jour de cent bornes, c’est pour ne plus rester à la maison tu comprends, ma femme, elle m’emmerde! Elle est chiante, alors comme ça pendant quatre heures, je ne la vois pas et quand je rentre, la sieste est légitimée, je vais dormir deux heures et ça m'assure six heures de paix dans une journée! Six heures sur vingt quatre, ajoute à ça le sommeil tu comprendras les bienfaits. Tu vois,  ça fait vingt cinq ans qu’elle me pourrit la vie, elle a commencé au tout début,  dès notre rencontre, j'aurais dû me méfier, mais tu sais ce que c'est, on s'imagine bien plus  fort qu'on est, on pense qu'on va les changer, on se figure emporter le morceau… etc etc
Tout ça semblait lui faire un bien fou et je me voyais déjà lui demander une petite centaine  d'euros pour la consultation. Chic! Voilà une balade qui pourrait me rapporter gros que je me disais, pendant qu'il se soulageait le cœur.
C’est là qu’il m’a demandé tout à trac: Et toi? Du côté de l’amour? T'en es où? 
Ah! Parce que toi, là, tu viens de me parler d’amour? J’ai pensé, mais je ne lui ai rien dit, son quotidien avait l’air assez douloureux comme ça. Je n’ai pas une vocation d’huile. Sa question m’a laissé sans voix. Comme il m’avait tout déballé de sa vie, je me sentais  un tantinet redevable. Alors, après un temps, mes mots me sont venus:
Oh! Moi, du côté de l’amour, c’est un peu compliqué... Ça c’était pour gagner du temps. J’ai continué: mon ambition elle se rétrécit de jour en jour! Mais je ne renonce pas! Je me verrais bien me mettre à la colle (administrative) avec une gentille hôtesse de l’air qui aurait encore quelques pays à découvrir. Mais pas vivre avec elle, je n’en ai plus la force. Ça fait tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé de vivre avec un humain que je ne crois plus en être capable! Je tolère à peine les pies du jardin! Je verrais bien une camaraderie amoureuse, voyez? Enfin, tu vois? Comme je me connais, je finirai par tomber amoureux et je serai triste le jour où nous nous quitterons, mais bon. J’espère le moins possible. Enfin je veux dire que j’espère être le moins triste possible, le jour où il me faudra dégager du paysage. J’aimerais, si ce n’est pas trop demander qu’elle soit encore jolie, je préfère côtoyer les jolies femmes ne me demande pas pourquoi. Je m’y suis habitué, sans doute. J’aimerais quand même qu’elle soit basée à Marignane, pour partir loin, c’est plus proche de la maison et puis en tant qu’hôtesse, elle a accès au park du personnel. 
J’aimerais, si ce n’est pas exagérer, qu’elle ait un peu d’oseille, à mon âge le camping et les hôtels de second plan, merci, autant rester chez soi, les fesses dans son canapé confortable, devant la chaîne Planète… J’ai pas raison? Mais aussi qu’elle soit un peu cultivée. Qu’elle ne fréquente pas que les magasins de vêtements ou les restaurants mais  les salles de spectacle ou de concerts. Je n'aimerais pas trop qu'elle soit sectaire, une dingue de free jazz, une cintrée de Chopin, une folle de Cure, merci bien... Et qu'elle ne pratique pas que la lecture des étiquettes ou des menus mais aussi celle de quelques  livres, tu vois?  Je veux bien, quand elle revient de ses longues rotations, oui, parce que j’aimerais qu’elle travaille encore, qu’elle ne soit pas tout le temps chez elle, que je profite du silence de son jardin… Je lui ferai volontiers un peu de cuisine et lui nettoierai sa piscine pendant ses absences. Je peux même aller jusqu’à l’entretien de ses vignes, l'hiver. Il faudrait juste que je puisse me mettre à mi-temps pour l’avoir... Le temps!  J’accepterais une compensation financière... 
Sur ma lancée, j'ai continué...
Je ne la souhaiterais pas fanatique du trekking ou folle de randonnée. Je ne suis pas contre l’idée de marcher un peu de temps en temps, mais pas tous les dimanches, à heures fixes, dans ces clubs comme il y a à tous les coins de rue. Ils se retrouvent à cinquante, équipés pour traverser dix Atacama et vas-y que je cause et que je cause et que je n'en finis pas de causer pendant les deux trois heures de balade... Tout ce bazar pour montrer sa toute dernière gourde et se plaindre de la vie qui est difficile... Merci bien! Très peu pour moi! J'aime bien les marches à quelques uns, dans le silence et le partage... Je n’aimerais pas, non plus, qu’elle ait trop d’enfants, pour éviter les repas de famille qui n’en finissent pas. Ni trop de petits enfants parce que là, finis les noëls à l'autre bout du monde… Enfin, tu vois, quoi.
Alors c’est pour ça que tous les dimanches, ou presque, après le marché de L’Isle, je file à Marignane. L'aéroport du coin. Je m’en vais traîner par-là-bas. Pour forcer un peu le destin? J’y arrive en fin de matinée, je tourne et je vire, je regarde un peu les avions décoller au-dessus de l’étang de Berre ou atterrir en venant de la mer, pas loin. Je bois un coup ou deux, je fais les boutiques, surtout celles de parfum. Là, je souris à une ou deux que je trouve jolie et qui achète un flacon pour sa maman, son amant, son frère, enfin qui achète un flacon. Quand vient l’heure de manger je m’attable près des vitres qui donnent une vue sur la piste et je mange en rêvant à des pays  où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds, où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en pleine liberté, pour rêver *. Et puis au soir tombé, je me rentre... Il était atterré...
Ah! Pendant qu'on y est, j'aimerais aussi qu'elle soit douce mais pas gnangnan, sensuelle mais pas délurée, fidèle mais pas collante, légère mais pas écervelée, drôle et profonde, gaie mais pas rigolarde, intelligente mais pas cérébrale... Je n’ai pas encore rencontré la perle, mais ça viendra, je le sais, je le sens. Un jour, moi aussi, je serai du bon côté du manche. Un jour, moi aussi, je ferai le tour de la bagnole pour ouvrir la porte. Un jour, je suivrai le nuage d'un parfum délicat. Un jour, une main bienveillante et caresseuse se posera sur ma nuque et y restera, un peu…
Voilà où j’en suis mon gars. Rien de très folichon. Tu te fais une idée?
Je vois très bien! Et ça ne me semble pas gagné si tu veux mon avis... 
Mais dis moi? Pourquoi une hôtesse de l'air?
Oh, ça c'est simple: Elles sont habituées à sourire, elles ont des billets  d'avion gratuits et surtout, surtout, elles savent s'y prendre avec les vieux emmerdeurs!
Il avait les larmes aux yeux. En remontant sur son engin, il m’a juste lâché:
Je ne sais pas lequel des deux est le plus à plaindre!
Moi non plus, j’ai répondu...
En vrai, je le savais, mais je voulais dire comme lui, pour adoucir son retour...


* Citation...


09 juillet 2018

Cette fois.

Cette fois, putain, c’est du sérieux. 
En psy, ça lui avait coûté deux avant- bras, mais il avait du apprendre à vivre avec l’idée qu’il ne mesurerait jamais un mètre quatre vingt… Il en avait profité pour travailler l'idée d'accepter de perdre les cheveux du dessus mais pas ceux des narines, ni ceux des oreilles puis de faire avec celle qu'il était finalement devenu: un vieux. 
Maintenant, il devrait se convaincre qu’il était ventru? Qu’il n’avait rien vu venir surtout pas ce truc là, devant, qui lui avait poussé. Bien sur, en contrepartie il avait arrêté de fumer. La belle affaire. D’accro à la nicotine, il était passé  à ce qui se mange. Plutôt salé que sucré bien qu’une tatin affriolante ne le laissait pas de glace. Oui, au chocolat. En mousse. Mais bon, il avait pris et cet été là ça suffisait. Surtout qu’il faisait un boulot où le corps à son importance et là il était l’image parfaite du : Faisez ce que je dis mais pas ce que je fais.
Il venait de s’offrir trois pantalons en soldes et il les avait pris la taille au-dessus. Stop. Il avait dit stop. À partir de maintenant, je perds.
Il le fallait. Pour lui-même et surtout pour lui-même. Se détester moins?
Il avait profité de l’été pour se faire un programme rigoureux, lui qui l’était si peu, qui pouvait se résumer à : Activité physique et salades. Dans l'ordre.
Un jour bicyclette, un jour course à pied et tous les jours salade. Les bannis lèvent le doigt : Vin de toutes couleurs, alcool de tous degrés, pain de toutes les céréales, fromages de toutes les régions et même de l’étranger…
Du temps de sa flamboyante jeunesse chevelue, il courait comme un garenne. Il n’aimait pas trop ça mais il le faisait puisque ça ne lui coutait pas. Ce qu’il aimait, lui, c’est avoir couru… Sentir cet état de fatigue musculaire, sentir ses poumons ouverts comme des chakras aux quatre vents, sentir chacune de ses cellules bondées de rouges globules, se savoir transpirant sous l’effort… Mais après, pas pendant. Pendant il s’ennuyait, il lui fallait penser à autre chose. Terminer une nouvelle, attaquer la première phrase d’une note, entamer un poème, ciseler un paragraphe, là oui il courait sans lourdeur. Ah il en avait écrit des conneries en cavalant ! Ah il en avait aligné des phrases en gambadant… Et cet été là plus qu’aucun autre.
Il se levait, il avalait un café noir, un jus d’orange orange et zou en route… Roule, roule petit bolide, va, bouge, cours, ahane, souffle, grimpe, pousse, tire, sue, fatigue toi, crève toi…
Ce matin là, c’était vélo. Il avait son tour qui partait de chez lui et y revenait en passant par des coins superbes, deux ou trois figuiers qui donnaient des fruits magnifiques (pour le sucre et le régal…), une fontaine qui elle donnait une eau si fraîche qu’on en buvait trois fois plus que nécessaire, soit disant non potable mais pas un cycliste ne passait à proximité sans y remplir un bidon, voire deux. Il avait quitté la plaine et venait d’attaquer la longue montée vers Le Beaucet cinq kilomètres de raide qui faisaient taire les bavards. Les deux derniers traversant dans une forêt de chênes lièges, plutôt isolée et peu fréquentée. Une droite interminable qui montait direct avec à gauche, quand on était en forme on regardait le panorama sur la plaine du Rhône, mais la plupart du temps on gardait les yeux fixés sur la roue de devant.
C’est après la petite bosse, puis le replat qui permet de respirer un peu mieux que ça lui est venu. Une douleur dans le bras gauche. Si forte qu’il en a lâché le guidon. Il est allé valser comme un tout fou dans le touffu des chênes. Il a fait quelques pas en s'enfonçant dans le vert. Son engin est resté dans le fond du fossé. Lui s’est tourné et s’est appuyé contre un tronc puis s’est laissé glisser au sol. Il ne voyait plus la route. Putain ce qu’il avait mal. Si mal qu’il a fermé les yeux. Dormir, il voulait juste dormir un peu et il repartirait.
Quel imbécile de partir sans son portable… Pour une fois que cet engin aurait vraiment servi à quelque chose. Tu es où ? Pour une fois, il aurait aimé répondre à cette question.
Oh non pas maintenant, j’ai deux trois trucs encore à faire, j’en ai deux trois petits à voir grandir un peu, il y a deux trois endroits où j’aimerais aller et deux trois autres où je veux retourner, j’ai deux trois personnes à voir, pas maintenant… Ça pour mincir, je vais mincir… Ça pour être sec, je vais être sec... Oh non.

Cette fois-ci, c’est du sérieux, fini de faire l'enfant de coeur, si je m'en sors et que j'en ai besoin, je pourrais même me faire payer un fauteuil électrique par un footballeur! Ils signent des chèques à tours de bras en ce moment, ne s'était-il pas empêché avant de tomber dans les pommes sous l’effet de la souffrance accrochée à sa poitrine comme une pince à sucre à son morceau…




Image prise sur le net.

03 juillet 2018

Comme...

Il y a tant de mains pour faire ce monde, si peu pour le contempler. Julien Gracq.
              
Comme tu n'aimes pas rester immobile à attendre que les heures filent sans qu'il ne se passe rien... Comme tu aimes bouger parce qu'ainsi tu te sens davantage vivant... Comme tu aimes aller à la rencontre des choses, des paysages et des gens...  Comme tu aimes l'eau pour les bienfaits qu'elle apporte et les merveilles qu'elle donne à voir et à sentir... Comme tu préfères te baigner que nager... Comme tu n'es pas regardant sur le chemin à faire pour la trouver, tu iras...
Elle se rencontre au moment où elle passe sur un petit pont de pierre large comme une main. Juste après un hameau de quelques maisons de pierres.  La voiture garée dans les feuillus pour la protéger du chaud plombant, les épaules alourdies d'un sac avec, dedans, des bouteilles pour la soif et de quoi manger contre la faim, une paire d'yeux en bon état de voir, une paire de chaussures en bon état de marche, elle s'écoule et t'attend.
Bien sûr, il y en aura d'autres avec toi qui en auront entendu parler et qui seront venus lui rendre visite, mais ils ne s'éloignent pas du Pont. Toi, oui.
Alors, tu avanceras dans son lit en regrettant presque d'en froisser les draps. De la fraîcheur jusqu'à mi-mollet, parfois jusqu'à mi-cuisse, souvent jusqu'à mi-ventre. Quand les vasques seront trop tentantes, tu y plongeras en nageant quelques brassées, dans d'autres tu t'assiéras, juste ça, et tu te verras posé dans le mitan du courant, les ondes s'écoulant autour de toi comme des caresses légères et puis tu continueras à monter vers là-haut, vers d'où elle vient. Tu passeras en baissant la tête entre des murs de roches qu'elle aura creusées juste pour t'être agréable, pour te donner de l'ombre et du frais. Tu y sentiras les truites te passer entre les jambes, tu y verras les points noirs agités des têtards nouveaux-nés prometteurs de belles musiques à venir ou de taches vertes sautillant à ton approche pour un peu plus tard dans la saison. Tu seras surpris, un peu, parce que ses pierres ne glissent pas, elles sont juste confortables à tes pas.
Une fois arrivé à l'endroit choisi, tu te poseras sur une large plate chauffée à blanc, pour le repos mais surtout pour le plaisir, tu t'y endormiras peut-être quelques minutes, bercé par le chant de la course d'eau vive entre les roches dévalées du dessus. 
Et puis tu redescendras, apaisé, serein, émerveillé. Un joli sourire au cœur.
Voilà, tu auras passé cette journée de début juin dans le Toulourenc, une petite rivière au pied du Mont Ventoux que tu peux toujours aller saluer avant de rentrer chez toi si tu as encore un peu chaud parce qu'au sommet, à deux kilomètres en hauteur de la mer, il y fait toujours frais quel que soit le plomb qui coule autour. Et si tu peux t'arranger pour faire cette virée en compagnie de ton fils que tu n'as pas vu depuis six mois, à cause de son désir d'alizés, alors, tu te sentiras comme un aigle de Shaolin planant au-dessus de la plaine des ennuis, des manques, des douleurs, des peines, des absences et des renoncements. Tout aurait été parfait si tu avais su convaincre ta fille préférée de venir avec vous, mais tu n'as pas su le faire. Et puis, parce que tu es  comme ça, tu te diras mais sans le dire, qu'il serait terrible que tes arrières-petits-enfants ne puissent connaître un tel endroit et n'aient plus, pour patauger, que de l'eau en boîte...
Toi, tu seras absolument réconcilié  avec l'idée finalement si simple de vivre. Et, comme ce jour scellera définitivement ta chance, sur le retour, sous le couvert d'un bois de pins maritimes, à la canopée large comme un parasol de géant, tu entendras, dans l'air entièdi, chanter tes premières cigales...






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