19 juin 2021

De haut en bas


Il m'aura fallu attendre le grand âge que j’ai, bien malgré moi atteint, pour, enfin, m'occuper de mes pieds et vivre un moment d'une rareté douce. 

Depuis quelques temps je voyais de vilaines crevasses sur les talons, une corne épaisse comme une blague de plein de monde, à force de marcher les pieds nus ou en tongs, de vrais petons de Sadhou et me voilà chez Madame Desoiseaux podologue. J’avais bien essayé de régler le problème moi-même mais avec une rape à bois... Si cet engin barbare avait enlevé la plus grosse épaisseur, il n’avait pas fait dans la dentelle pour ce qui était de la finition et laissé mes pieds dans un état désastreux. Le passage de la rape m’avait creusé les talons comme des traces d’arrachements sur une vulgaire planche de pin. Des crevasses toujours, mais excavées cette fois. Si j’avais su j'aurais appelé bien plus tôt chez Madame Desetourneaux. Mais comme je ne trouvais pas très engageant les soins des pieds, j’avais surtout un sérieux problème avec cette partie du corps. Pour que j’en trouve une paire séduisante il fallait que je me lève de bonne heure. Si je pouvais être renversé par un corps de danseuse, il fallait surtout que je ne baisse pas les yeux vers ses petons qui en général étaient suffocants d’horreur. Tant de maltraitance, tenir confinés tant d'orteils dans des chaussons si petits, passer tant d'heures juché sur les pointes! Aussi, je ne voulais pas imposer à quiconque, ni  la vue ni les soins des miens ce qui était une belle connerie puisque ne fréquentant pas les podologues je ne les faisais pas vivre!  Heureusement pour madame Desperruches que tout le monde n’était pas aussi con que moi… Pendant cette demi-heure suspendue, je me suis régalé, j'ai eu droit à tout massages, rognage, coupage, limage, enlevage, débarrassage, nettoyage profond et puisque vous voulez tout savoir j’ai désormais des pieds plus que parfaits. Sans mycose ni champignon, (ça me rappelle quelque chose à fredonner), "Ils sont bien alignés aux orteils bien rangés, à la bonne place ne souriez pas si vous saviez comme  on voit de vilains pieds, si vous saviez comme ils courent les rues sans honte, comme ils se montrent pour la plupart tordus, ex croissants, attaqués, rognés, déformés mal entretenus, négligés, si vous saviez comme la grande majorité des gens devrait porter des chaussures fermées et surtout être interdits de sandales, de tongs, de gougounes : Cachez ces pieds moches nom d’une pipe en bois!" 

Et, ce qui n’était pas négligeable j’avais passé un moment sur un nuage, au-delà de l’agréable, à me faire tripoter les petons, masser la plante, limer les ongles, enlever les peaux tannées, poncer les mortes, bichonner les orteils, adoucir la plante...

Et Madame Despiafs était bien d’accord avec moi, elle, qui en voyait défiler toute la sainte journée que : "Croyez moi sur parole c’est pas toujours facile ! Des beaux comme les vôtres on n’en voit pas tous les jours" m’a-t-elle dit. "C’est fête quand ça arrive" a-t-elle ajouté. Bien que j'entende quand même une pointe de flagornerie dans ses propos j’avais malgré tout très envie de la croire cette Madame Desmartinets. Comme elle voit juste cette femme là me suis-je murmuré mielleusement à l’oreille. C’est une professionnelle, en plus, elle sait de quoi elle parle, me suis-je précisé au bord de l'évanouissement.

Un seul bémol était le fond de la conversation de Madame Deshirondelles. On avait vaguement évoqué l’orage devant s'abattre des urnes, le dimanche suivant, sur la région ce qui avait un poil  assombri ce moment de pur plaisir.

La semaine passée j’étais allé chez le coiffeur, pour le haut du crâne, j’avais cependant renoncé pour le visage, depuis quelques semaines je fréquentais assidument une diététicienne, pour l’enveloppe, hier une séance de podologie, pour le bas. Si ça continuait sur cette lancée j’allais pouvoir m’inscrire à un entretien d’embauche dans l’agence Elite pour le catalogue de la chaîne des EHPAD: Sous les Paisibles Charmilles ou bien mieux, créer un une chaîne youmachin et devenir cette  influenceuse beauté so cute que le monde entier attendait de... pied ferme. 

Il ne manquait plus que quelqu’un se préoccupe de mon petit cœur bien malmené par  de tout récents départs encore délicats à évoquer et je brillerais comme  un sou presque neuf de haut en bas. 

Il serait temps. De briller. Marre d'être là, si terne.





09 juin 2021

De loin.

Fatu Hiva. Archipel des Marquises. (10°29’08 35" Sud 138°29’59 58" 0uest)

 

Monte la lueur d'un feu immense dans la vallée. Son reflet derrière la crête, lèche la couronne de nuages, des rosés, des pourpres, des orangés ; c'est l'aube, au dessus du village la montagne toute entière, bientôt, brûlera. 

On appareille dans une heure. Cap sur Hiva Oa, 45 milles dans le nord ouest. On a besoin d'une bonne connexion pour régler la dernière phase de vente de notre appart. Mais on reviendra ici, à Fatu Hiva, en juillet j'espère. Cette île est à part, loin dans le temps, foisonnante ; en trois semaines, on a fait que l'effleurer. Les 17 kms de marche tout en dénivelés reliant les 2 villages, n'y ont pas suffi. C. y voit encore des séances de yoga dans la forêt ; d'y planter aussi son chevalet. Et il y a André qui m'emmènera à la chasse, trois jours de bivouac en montagne, pour me remercier d'avoir - avec un copain de bateau- réparé son fusil 22 Long Rifle cassé en plusieurs morceaux lors d'une chute. (Toujours avoir bout de mousse à tailler pour recréer une crosse, avec un pot de résine et de la fibre de verre). Sauver un fusil, ici, c'est presque sauver une vie. Il nous a déjà apporté un plat de viande de chèvre et de coq, cuisiné avec du riz et du fruit à pain. Et des kilos de mangues, citrons, oranges, pamplemousses, plus un régime de bananes. 

Il y a Hubert, le fils de l'épicier, qui a mal aux oreilles sous l'eau, à qui j'ai promis une initiation à l'apnée. Il nous a déposé une carangue de trois kilos, pêchée dans la baie, à 100m du bateau. Et Sissi et Simon, couple de sculpteurs, qui nous ont fait sur mesure des manches de couteaux, un croc et une matraque à poisson, une râpe à coco en Aito, le bois de fer, et nous ont offert des fruits et un quartier de porc sauvage capturé au piège deux jours auparavant. On lui a donné du cordage pour sa barque de pêche et les pièges. C'est son fils surtout, qui maitrise cette chasse, et comme c'est le meilleur copain d'Hubert ....

Puis d'autres qui ont des terres dans des vallées dont eux seuls connaissent l'accès, et qui, avec du temps, racontent leur histoire. Tous sont pêcheurs, chasseurs, sculpteurs sur bois, pierre, os. L'un des meilleurs, Piri, le mari de l'institutrice, à qui on a commandé une tortue et deux plats en bois de rose, est un excellent plongeur. "Quand tu reviens, on ira ensemble" a-t-il dit en roulant les "r" et en nous remplissant le sac de papayes.

À Christian, j'ai prêté une de mes perceuses ; puis je lui ai laissée, contre une herminette magnifiquement sculptée et un Tiki en pierre fleurie que Catherine a choisi. Il trône dans le carré en protecteur du bateau. Le lendemain, Christian m'emmenait à la pêche, me montrant ses leurres, ses montages de lignes à 90 ou 200 kg selon que bonites ou tazars. Je sais maintenant pourquoi, trop souvent, mes lignes cassent. Ce soir là, on a eu du poisson pour 3 jours.

Bref, ça ne fait que commencer.

 

à plein bras,

Martial  

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