16 mars 2019

Du Sud Du Sud Du Sud Du Sud Du






Le voilà, il est arrivé, à terme. C'est un bel objet de format carré, 
qui mesure 17cm sur 17 cm, il pèse environ 200gr et se nomme d'un joli palindrome: 

Du Sud

On peut l'acquérir pour la très modique somme de douze euros aux


11 mars 2019

Lou C (Portrait de femme 7)

Son prénom et son nom étaient deux sacs de voyage en cuir souple prêts à partir. 
Vous les évoquiez et vous posiez un pied dans le compartiment feutré du wagon d’un train posté au quai d'une grande gare. À cause du chanteur, on prononçait son prénom et on était à la montagne enseveli de blanc. Avec son nom on filait droit dans le sud, le sud des vallons, celui des bosses, celui des champs bleus des lavandes où vrombissent les abeilles et poussent les pierres blanches, celui des traits d’eaux argentés courant entre les verts des roches, celui des villages à croupetons sur des pointes de rochers recroquevillés en défense, celui du rouge laissé sous les semelles des chaussures de marche dans des canyons qui sentent l'ail, celui des brumes roses du matin qui s’allongent entre les bois de chênes verts, celui des touffes de thym sauvage, de sarriette folle et des Aphyllantes de Montpellier, celui des ombres bleues du soir qui serpentent entre les ruches où des abeilles concentrées s'essayent à ne pas mourir, celui des falaises abruptes où de temps à autres s’accrochent avec leurs ongles les racines squelettiques et noires des genévriers cades, celui, enfin d'un livre pilier de Giono, Colline. Lou Collines    coup de sifflet du chef de gare.
Alors qu’on sait bien qu’ils ne sont jamais, mais jamais, comme on les pense, qu'ils ne ressemblent jamais à l'image qu'on s'est construite d'eux, les gens qu’on ne connaît pas en vrai mais qu’on aime bien, on se les imagine plutôt beaux. C’est un peu normal c’est nous qui nous  les fabriquons, on ne va pas se les faire moches, du coup. 
Elle, je la connaissais sans la connaître depuis de nombreuses années, on avait même vécu dans le même village, dans la même période. On s’y était peut-être rencontré, qui sait ? Au marché du soir, à la boulangerie, à la presse bureau de tabac. J’y allais au moins une fois par jour du temps où je les allumais dès le réveil. On s’était peut-être vu chez Chichi l’épicerie ah tiens il va devenir restaurateur Chichi, il en a eu marre de vendre du produit vaisselle avec des chips et d’ouvrir à pas d’heure. Il va tenter l’aventure du faire à manger pour les flemmasses qui viendraient s’asseoir.
On avait peut être été l’un derrière l’autre dans la queue chez Chichi en attendant que son père rende la monnaie (le père de Chichi) mais alors, on ne s’était rien dit ou si:  une banalité si banale qu’on ne s’en souvient plus, on n’avait pas échangé. Ni des mots ni des phrases, ni des sourires, ni des regards en coin. C’était logique puisqu’on ne se connaissait pas à cette époque.
J’ai su, elle a dû me l’écrire ou me le dire, plutôt me l’écrire car on ne s’est pas tant parlé que ça pendant toutes ces années où on n’a pas fait connaissance, j’ai su qu’elle connaissait l'ancien restaurateur hollandais, si chic sur sa haute bicyclette toute flamande qui parcourait le village rares cheveux et calvitie au vent avec l’intégrale de Proust dans le petit panier d’osier, à l’avant du guidon. J’ai su combien il essayait de séduire celui là avec son pantalon rose et son chapeau de paille affaissé, sa Lavallière de soie et ses lunettes rondes d'intellectuel des fourneaux. J’ai su qu’elle avait habité une maison à la sortie du village j’ai oublié laquelle mais ici des sorties, il y en a au moins huit, alors un beau jour, j’en ai choisi une et je me suis dit : Ça c’est la maison de Lou. Et je la montrais à tout ceux qui venait chez moi en leur disant : Tu vois ici c’est la maison de Lou. Comment tu ne connais pas Lou ? Moi, non plus mais moi, je connais sa maison.
J’ai su, elle me les a écrit, des épisodes gris sombre de sa vie, j’en ai su des plus souriants, j’ai su de ses déménagements, de ses affrontailles, de ses victoires, de ses défaites, de ses périodes rose bonbon crême de nuage, enfin de ce qui fait le sel de la vie, quoi. Le rire et la douleur, l’espoir et le renoncement, l’amour et le désamour, la joie et la tristesse, l’abattement et l’espérance. Je m’arête là parce que je crois que vous avez bien compris de quoi il est question.
Au fond, sans l'avoir croisée en vrai, j’ai su d’elle et ce qui est le plus amusant c’est que quelques années plus tard on ne s'est pas vu davantage mais je suis presque certain que dans la rue, on se reconnaitrait et qu’alors, on s’en dirait deux.
Voire trois.

06 mars 2019

La vioque (Portrait de femmes 6)

Lorsque le vent, ce mal élevé, ne risquait pas de l’emporter valdinguer contre les murs des maisons, elle sortait toujours de chez elle après la sieste de l’après-midi. C’était, du jour, sa deuxième sortie. La première l’amenait vers le buraliste qui lui vendait son journal, un quotidien national réputé, le dernier, qu’elle revenait lire dans le fauteuil posé près de la fenêtre, une couverture sur les genoux. Elle le lisait comme un livre, de gauche à droite, de haut en bas,  du début à la fin. Entièrement, quels que soient les articles. Ça lui prenait trois heures tous les matins. Après un repas frugal, de trucs qu’elle allait glaner à la fin des marchés ou qu’on lui donnait, le jeudi sur le boulevard, elle faisait une sieste, elle se disait à chaque fois qu’elle s’en réveillait vaguement dans le vague: C’est fou plus on vieillit, plus on dort l’après-midi. Comme une sorte d’entrainement au rien faire définitif  qui nous guette…
L’après-midi, elle s’habillait chaudement si on était en hiver, un peu moins, quoique, si on était dans une saison plus clémente. Et, elle trottait faire son tour. Comme elle avait bousillé tous les miroirs de chez elle depuis une bonne vingtaine d’année. Je ne veux plus voir ça avait-elle expliqué à son entourage en se montrant du doigt… Le temps où elle avait un entourage… Elle était fagotée un peu en vrac, boutonnant souvent lundi avec dimanche, les cheveux poivre et blancs ramenés en un semblant de chignon sur le dessus du crâne… Elle faisait tenir le tout tant bien que mal, avec des épingles à linge en bois…
Mais… reprenait-elle, je marche de plus en plus longtemps, fiérote… Seulement, je parcours la même distance, tempérait-elle.
Elle vivait seule depuis si longtemps qu’elle avait presque oublié qu’un jour elle avait partagé sa vie avec un homme. Ou même deux. Elle s’en doutait bien à cause des images de ce type là, en photo dans son cadre sur la cheminée ou de celui-ci, le même sur le bahut ? Elle avait un doute sur celui-là, à moustaches si fier dans son cadre sur la console de l’entrée. Elle ne se souvenait pas avoir eu d'enfants et comme aucun ne donnait jamais signe...
Sur le chemin du retour, après avoir donné des miettes aux pigeons,  elle s’arrêtait dans le même bar et s’asseyait à la même table ou une autre si la sienne était prise et buvait d’abord un thé puis un petit blanc dans un verre ballon. En entrant, elle se présentait à l’assemblée qui la regardait de travers comme s’ils avaient peur d’elle comme si elle pouvait être l’image d’eux mêmes, un peu plus tard, celle de ce qu’ils allaient devenir…
Pour les désarmer, elle disait en entrant : Je m’appelle Léonce… Léonce de France ajoutait-elle avec un sourire malicieux. Du reste elle était incollable sur le football espagnol, la rivalité Barça, Real, la rage des clubs basques, les racines historiques des inimitiés entre certains clubs etc 
Et puis, assise, elle parlait. Seule. Enfin elle se parlait à elle-même de telle façon qu’on pouvait penser qu’elles étaient deux. Comme si elle engageait une conversation. Mais elle ne haussait jamais le ton. Elle se posait des questions et tentait d’y répondre.
Les plus gentils du quartier l’appelaient La Folle, les autres, en nombre, le nombre est souvent imbécile, la vieille folle. Les plus démunis, heureux d'avoir trouvé pire qu'eux lui donnaient de la vioque. Si l’on s’approchait de sa table, on pouvait entendre des bribes des questions qu’elle se posait comme :
Penses-tu qu’un jour les mammifères pourront croire en Dieu ? Et les insectes ?
Dirais-tu que le vent est une personne ? Crois-tu qu'il soit possible d'avoir le mal de mer dans une tasse de thé ?
Alors, dans le bar, les poivrots et les autres s’esclaffaient et se foutaient de sa gueule hirsute de vieille.

Leurs caquets auraient-ils été rabattus s’ils avaient su que plus jeune, elle avait été  agrégée de lettres modernes, professeur d'université, auteur de trois romans et supportrice de l'Atletic Bilbao?

03 mars 2019

Zoé, notre puce (Portraits de fille 5)

Alors, elle c’était un amour. 
Mais un vrai amour pas un de ces trucs dont on dit que c’est un amour et puis en grattant un peu, on se rend vite compte qu’on s’est trompé dans les grandes largeurs. Non, pas un de ces arrangements à la petite semaine là. Elle c’était un amour profond, intègre, entier. Et pourtant, tout avait plutôt mal commencé entre elle et nous. Elle nous était arrivée par surprise, en dix minutes, montre en main, lors d’une visite de contrôle. Elle n’avait pas crié. Elle s’était juste amenée et c’était comme si elle nous avait dit : Ben voilà, je suis là, ne m’attendez plus, prenez moi comme je viens. Bien sûr qu’on l’a prise, vous auriez fait quoi, vous ? 
On a senti très vite qu’elle n’allait pas nous faciliter la vie, qu’on allait en baver, mais on s’en foutait un peu, on était prêt à tout. On faisait bien! Il faut dire qu’on est allé de surprises en découvertes, d’étonnements en coups de théâtre. Ça pour une vie rangée on repassera ! Rangée du calme oui mais du reste pas vraiment. Elle, c’était le genre à dormir le jour et hurler la nuit jusqu’à trois ans environ... Le style à ne se nourrir qu’au biberon jusqu’à quatre ans et refuser tout le solide excepté ses six tétines... Ne pas en perdre une… La punk de la crèche. Elle a su lire à cinq ans, mais jamais la bibliothèque rose, que des magasines de Heavy Metal… Ecouter du Hard Rock à six ans même en voiture… Surtout en voiture pendant les longs trajets… Brûler, à sept ans, Ken dans le four de la cuisine… Il  n’avait pas été gentil avec Barbie… Planter pour les semer des fourchettes dans le jardin et surveiller ses cultures avec attention… Tondre le chat pour qu’il n’ait pas trop chaud l’été… En dehors de ça, elle avait pratiqué, le rugby, la boxe et le violoncelle entre sept et onze ans. Au début, je l’accompagnais à reculons et puis, avec le temps… Le plus amusant étaient les jours où le cours de violoncelle suivait de près le rugby… Elle allait jouer couverte de boue, en tenue. On avait bien essayé de négocier un passage par la douche mais on n’avait pas insisté longtemps… On avait obtenu quand même qu’elle enlève ses crampons. Jusqu’à douze ans on lui avait donné un prénom et puis le jour de son anniversaire, on lui avait proposé d’en changer si celui dont on se servait ne lui convenait pas, elle avait demandé à réfléchir. Quelques jours après, au beau milieu du repas elle avait balancé : Maintenant, à partir d’aujourd’hui, je m’appelle Zoé. Cherchez pas à comprendre. On n’avait pas cherché. Quand on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard, elle répondait invariablement : vétérinaire à cheval… Ah pour soigner les chevaux ? On faisait, C’est bien, c’est joli un cheval. « Meuh non c’est un vétérinaire qui se déplace à cheval, c’est ça que je veux être… Ou violoncelliste d’avion… J’hésite…» Elle le sera sûrement. Un des deux ou autre chose. Déjà qu’elle est quelqu’un… On n’a aucun doute là-dessus…Tout ça pour dire que quand elle ne voulait pas, elle ne faisait pas. Et ce qu’elle voulait, elle l’obtenait. 
C’était finalement assez simple. Tant que sa vie n’était pas en danger nous avions fini par admettre que notre prunelle, notre trésor, notre petite puce, était singulière, juste singulière mais aimer son enfant c’est admettre ce qu’il est ce qu’il devient, non ? Et, c’est pour cela que ce dimanche matin, alors qu’elle jouait de la basse dans sa chambre, avec l’ampli dans le rouge, quand je l’ai appelée, sur son portable, à cause qu’elle n’entendait pas quand on frappait à sa porte et que je lui ai dit: 
___ On monte à Saint Ouen, aux puces, tu viens avec nous ? Je n’ai pas été étonné de sa réponse:
___ Dites, vous m’avez bien regardé ? Est-ce-que j’ai une tête à farfouiller, le dimanche matin, avec mes darons, les mains dans la poussière et les vieilleries ?
Sur le marché des puces, nous, on n’avait pas à se plaindre, on en avait trouvé une précieuse…

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