25 novembre 2019

Mort sûre

Comment s'y prendre, comment le lui dire, elle ne savait pas. Ce dont elle était certaine, mais absolument certaine qu’elle devait, maintenant, lui parler. 
Elle avait tout tenté pour ne jamais arriver au pied du mur auquel, finalement, elle se trouvait. Sans y parvenir. Malheureusement. Pour elle et pour lui. Encore quelques jours et elle ne pourrait plus reculer. En vrai, le pied du mur était derrière elle. Elle savait ce qui viendrait avec ses mots, elle n’en avait pas du tout envie. L’affronter lui semblait au-dessus de ses forces, continuer à se taire lui paraissait pire. Elle savait qu’il allait tour à tour sangloter, pleurer, rejeter, ne pas croire, s’emporter, hurler, menacer, s’affaisser, tomber, se murer. Elle aurait aimé s’épargner cette cascade de réactions, s’en préserver pour pouvoir passer directement des sanglots à l’effondrement. Elle lui aurait bien suggéré, puisque c’est ce qui allait inévitablement arriver, autant gagner du temps, autant ne pas gaspiller d’énergie, et ainsi éviter de se vautrer dans la comédie, dans le drame, ne pas surjouer, ni la douleur, ni les emportements. Un peu de discernement, de froideur, de raison que diable. Elle savait aussi qu’il finirait par s’en remettre. À part les très grands drames, on se remet toujours, de tout. Alors, soyons adultes. Ne versons pas dans des caprices bêtement enfantins. Tu vois, tu sens bien que ma décision est mûrie, réfléchie, mieux qu’elle est enfin prise, tu as bien compris que cela étant, je ne reviendrai pas dessus, alors épargne moi ces pleurs, ces cris ridicules. Epargne nous les grimaces et simagrées, ne me menace de rien, ne rend pas les choses plus difficiles qu’elles ne sont, affronte les, accepte les, accompagne les tu verras, tu te surprendras, tu en sortiras grandi, tu seras fier de ta réaction, tu pourras te regarder en face. Tu n’auras pas été cet être faible et larmoyant, nom de Dieu tu te seras comporté en homme, sûr de lui et de sa force. Tu seras resté digne et tu t’aimeras davantage. Tu vois tu as tout à gagner dans cette affaire qui ne sera plus une affaire mais une simple péripétie, une petite aventure, un incident de parcours que la vie réserve. Au fond au lieu de te blesser, je vais t’aider à grandir, à déployer tes ailes, à te défaire des chaînes qui t’entravent. Tu vas après cet épisode devenir, enfin cet adulte que tu penses à tort être aujourd’hui. Il te faut faire quelques progrès. Malgré toi, contre toi même je vais te venir en aide. D’ici quelques mois, quand tu auras réfléchi à tout ça, quand ta peine se sera adoucie, quand tu seras capable à nouveau de peser les pour et les contre avec une balance fiable, tu me remercieras. Alors, un soir profitant de l'ambiance de douceur que le feu crépitant accompagnait, aidée par les effets troublants d'un deuxième verre de gin, elle s’est lancée :

___ Mon amour, mon bel amour, il faut que je te dise, je suis devenue végétarienne.
Puis après un silence pesant:
___ À partir de maintenant jusqu’à nouvel ordre, je ne mangerai plus d’animaux morts, à cause entre autres de Marguerite. 
___ La vache ? 
___ Non, Duras: Elle a dit et je suis en plein accord avec elle: Les animaux sont mes amis or je ne mange pas mes amis.
J’ai tenté : 
___ Mais… 
Elle a posé un doigt sur ma bouche pour me faire taire, s’est approchée de moi et m’a embrassé doucettement dans le cou.  C’est le baiser le plus tendre que j’ai jamais reçu d’elle. Son premier baiser de végan.

Je me suis senti saisi d'un plaisir infini. D’un coup, une sérénité sans faille m’a envahi. 
J'étais comme on dit heureux car je savais que désormais, sur terre, il n'y avait plus que le froid qui pouvait me mordre.

2 commentaires:

Brigitte a dit…

C'est certain que l'être humain se remet presque de tout … mais là encore plus facilement ! Enfin là ,je parle pour moi .

chri a dit…

@ Brigitte Il a eu chaud quand même!!!

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