Deux types paisibles, enchapeautés, allongés dans les hautes herbes, posés sur un coude, chacun le leur, au bord d’une rivière claire, au débit nerveux, à l’ombre de grands arbres, une cigarette au bec, tranquilles comme deux types qui parleraient allongés sur les berges d’une rivière :
___Dis moi, Bob, j’aimerais savoir : quelle est la première chose, la toute toute première chose que tu essaies d’apercevoir en tout premier chez une femme ? Celle que tu cherches, que tu épies d’entrée ?
___ Heu, tu en as de ces questions, toi ! Je réfléchis... Je sais : ses doigts mon ptit père, ses doigts, je regarde tous ses doigts et j’essaie de repérer s’il y a une alliance.
___ Une alliance ?
___ Ben oui, c’est ce que je cherche à voir en premier. S’il n’y en a pas, si les doigts sont libres, je laisse tomber, s’il y en a une, en revanche, comme disait l’autre, tout devient possible!
___ T’es dingue ! Avant tout, tu ne regardes pas si elle te plait ?
___ Nan, nan, elles me plaisent toutes du moment qu’elles sont d’accord ! J’ai pas les moyens d’être exigeant moi, je ne suis pas le beau gosse qui peut choisir, tu sais ! Je suis lucide et pragmatique. Je ne suis pas exactement comme toi qui peux te permettre de choisir.
___ Tu es bête ! Et toi tu regardes quoi ? En tout premier, avant tout le reste.
___ Moi, je ne regarde que les pieds.
___ Les pieds ?
___ Ben oui, les pieds. De vilains pieds et l’histoire d’amour ne peut même pas débuter, elle sera impossible. De vilains pieds et c’est rédhibitoire… C’est un drame, tu sais ! Ne ris pas, s’il te plait… Imagine: je ne peux faire des rencontres que l’été, au temps béni des sandalettes, des tongs ou des gougounes. Un grand amour né en Décembre sous la dictature des après skis peut mourir au grand soleil de Mai… C’est terrible...
___ Et pourtant, quand on vit avec quelqu’un c’est l’endroit du corps qu’on voit le moins souvent… Tu m’aurais dit le nez j’aurais compris, mais les pieds? Tu es bizarre comme garçon, toi.
___ Tu vois bien que tout ne m’est pas donné par la grâce, je n'y suis pour rien, je suis affublé de ce handicap là. Je ne peux désirer une femme si ses pieds sont moches, je n’en suis pas fier, c’est juste comme ça. Je suis passé à côté de belles histoires, tu sais! Il a suffi, parfois, qu'elle se déchausse pour que la magie fiche le camp à la vitesse de la lumière. Et je me retrouvais bredouillant une excuse maladroite et mensongère à un départ précipité. Impossible quand même de lui dire que ses pieds sont responsables d'une telle fuite... En plus, si elle a de jolis pieds, ce n’est pas gagné, il faut aussi que tout le reste plaise.
___ Finalement je n’aimerais pas être à ta place, je ne t’envie pas.
___ Chacun sa croix, chacun sa plaie !
___ C’est aussi pour ça qu’on s’entend bien tous les deux :
Toi, tu t’occupes des mains et moi des pieds et du reste…
C’est donc des extrémités des femmes dont s'entretenaient ces deux hommes allongés au bord du courant joyeux d’une rivière parfaite. Comme un juste retour des choses, la cohabitation harmonieuse, improbable de ces deux espèces nécessitait de longs discours…
Vint alors un long silence. Puis l’un des deux :
___ Dis donc, tu ne m’as pas expliqué cette histoire d’alliance ? Tu ne tentes une approche que si tu en perçois une, si j’ai bien compris…
___ Tu as bien compris...
___ Et pourquoi ça, on peut savoir?
___ C'est simple, si la personne est mariée, j’augmente ainsi, un peu, mes chances de... ne pas me faire mettre le grappin dessus…
Alors, l'autre dans un sourire, se rajustant le chapeau:
___ Tu sais quoi? Tu es répugnant! Tiens, pour ta peine, tu mériterais de tomber amoureux!
___ Et pourquoi ça, on peut savoir?
___ C'est simple, si la personne est mariée, j’augmente ainsi, un peu, mes chances de... ne pas me faire mettre le grappin dessus…
Alors, l'autre dans un sourire, se rajustant le chapeau:
___ Tu sais quoi? Tu es répugnant! Tiens, pour ta peine, tu mériterais de tomber amoureux!