Enfin ! Enfin, j’ai trouvé l’endroit idéal pour être tranquille, pour avoir un peu la paix, pour qu’on me la fiche ! Ici, là où je suis, je suis à peu près certaine qu’ils ne viendront pas m’y chercher.
Je suis tellement lasse de leurs larmes. Et ça dés le début. Moi, je voulais faire broderie. Une erreur, ça ne s’invente pas, d’aiguillage et je me suis retrouvée dans cet hôpital. Des siècles que j’y suis restée. Je suis si fatiguée d’eux. J’en ai tellement soupé de leurs réflexions déplacées, j’en suis tellement gavée de leurs peurs, de leurs regards pleins d’une peur parfois haineuse. Lorsque je m’approche d’eux, de leurs peaux, de leurs veines, je sens tout de leurs souffrances, je sais absolument où ils en sont avec tout ça. Grace à ce qu’ils me demandent de transporter pour eux. Que ce soit leurs saloperies de produits qu’ils prennent pour un ailleurs bien pire qu’ici ou que ce soit pour lutter contre les maux qui les assaillent. Je sais tout de leurs égarements, je connais tout de l’odeur suave de trouille qu’ils portent sur eux, en eux et dont ils s’aspergent à grandes bouffées d'angoisses.
J’en ai tellement assez de toujours représenter quelque chose de désagréable, d’intrusif, de funeste. J’en ai marre de cette mort que je côtoie de près, jour après jour, soir après soir, année après années.
Alors, j’ai foutu le camp. J’ai tout lâché. Eux, leurs veines et leurs manques, leurs muscles, leurs artères, leurs fesses, leurs épaules et leurs peaux.
Je me suis glissée dans une enveloppe dont l’adresse me convenait. J’ai un peu attendu mais il me fallait choisir la bonne et ne pas me tromper. Et après quelques jours de voyage, je suis sortie de l’enveloppe et je me suis jetée de la lourde sacoche de cuir du facteur.
J’y étais, j’étais dans le bon champ ! Celui du père Barnabé que la Mari-Pierre avait soigné l’an passé et qui avait calanché net d’un arrêt du cœur passé la fête d’anniversaire de ses cent trois ans.
Elle en parlait souvent comme étant le plus riche du canton avec tous ses hectares de prés. Je me suis laissée porter par le vent jusqu’à la botte la plus centrale du Grand Champ. Une chance, ils venaient de couper l’herbe. Dans quelques jours, ils rentreraient les bottes et les entasseraient dans la grange, la plus grande des granges du plus vieux des arrières petits fils de Barnabé.
La grange aux aiguilles qu’ils l’appelaient. Sans doute parce, justement, ils n’en trouvaient jamais.