Un concert gratuit. Un
concert de musique classique. A l’Opéra d’A. Ce samedi. Viendrais-tu ?
C’est à vingt heures, placement libre, il faut y être un peu avant, mais sans
excès, l’opéra sera assez grand pour contenir tout le monde crois-en mon
expérience. Au programme du très classique et éclectique, on y entendra du
Beethov, bien sûr du chopin et du Poulenc aussi, je crois. A vérifier sur le
programme. Mais ils peuvent le changer au dernier moment.
Dis, il faut
s’habiller ? Evidemment, tu ne vas
pas venir nu ? Mais tu peux venir sans cravate ni smoking ce n’est pas une
soirée grand siècle. C’est juste un temps pour les amateurs de musique
classique. Il y aura la crême du gratin, l'écume de la mousse, le haut du panier...
J’étais content qu’elle me
propose ça, j’allais entendre de la musique jouée en vrai dans ce magnifique
théâtre à l’italienne. De plus, et ce n’est pas négligeable, enfin une soirée
où je pourrais me passer de mon Nunchaku. Nous serons entre gens bien. Bien
élevés, je veux dire. Bref ce ne sera pas un concert de rock avec un public de
sanguins.
Ouverture des portes à
vingt heure trente, début du concert prévu à vingt et une heure. Nous sommes
arrivés vers les dix neuf heures devant le théâtre. La soirée était
particulièrement douce, le vent qui avait soufflé pendant les cinq derniers
jours avait calé en début d’après midi. La soirée s’annonçait parfaite. Nous
étions dans les premiers rangs devant la lourde porte. Nous nous sommes assis
sur les dernières des six marches. Elle qui fumait encore malgré tout ce qu’on
entendait partout, malgré les interdictions de plus en plus agressives s’en est
grillée une en parlant. J’ai failli en allumer une, mais j’ai réussi, cette
fois encore, à tenir bon. On a refait le monde, en mieux, c’est finalement ce
qu’on faisait de mieux quand on avait une demi-heure à perdre. Sans qu’on s’en
aperçoive vraiment, ils sont arrivés par petits groupes, par familles, par couples, par
cercle d’amis, par covoiturage, à pieds et nous
ont obligé à nous lever puis à nous avancer vers les portes. On a commencé
à sentir leurs haleines sur nos cous étonnés. Plus l’heure avançait, plus ils
avançaient avec elle, plus ils nous coinçaient contre les lourdes portes en
bois du théâtre. On entendait des bribes de leurs conversations où il était
question d’églises et de monde insensé, de pertes des repères et de tout ce qui
foutait le camp, de cette jeunesse qui ne respectait plus rien et que de leur
temps ça ne se passait pas comme ça, mais comme ils avaient le droit de tout
faire, il ne fallait pas s’étonner, de bazar ambiant etc etc.
Alors, les portes se sont
ouvertes et là… Là, on a vu ce qu’on a vu ! Une vague de chenapans hermessisés, une bande de malotrus en lodens, une escouade de goujats hystériques, une horde énervée de voyous endimanchés, âgés, rustres, malveillants, poussant et repoussant ceux qui étaient devant
eux pour entrer quoiqu’il arrive. Craqué le vernis de la belle éducation, hachés menus les bonnes manières, le savoir-vivre, effondrée la bienveillance tranquille… Je n'aurais pas aimé devoir évacuer avec eux le Costa Concordia, j'aurais détesté les avoir comme compagnons de cataclysme!
Le haut du panier touchait le fond. Juste humain. Désagréablement mais terriblement humain. Chacun pour soi. Tout ça pour être
assis aux meilleures places d’un concert de musique classique, gratuit…
Imagine pour un cuissot de chevreuil ou une miche de pain…