Quand
Laurence Chellali une photographe de grand grand talent m'a proposé de "danser" un duo avec elle j'ai été: 1 Flatté, 2 Ravi, 3 Apeuré... Je ne pourrais pas être à la hauteur d'une seule de ses images.
Et puis, elle m'a envoyé celle-ci. Alors, j'ai essayé... J'en ai même écrit deux...
Et, c'est bien ce qui compte: essayer! Merci Laurence...
Le premier:
Un été.
On était dans un village du
Sud, adossé à la pierre, en plein cœur d’un été sans fin, quand le dehors ne
redevient fréquentable qu’en fin d’après midi à cause de la lourdeur accablante
de l’air. Au loin, on entendait s’approcher l’encore léger grondement d’un
orage qui n’allait pas tarder à éclater, poussé par le vent s’agaçant. Déjà,
là-bas, de petits éclairs énervés commençaient à zébrer le ciel devenu mauve.
Quelques enfants du
quartier haut, assis sur leur parapet, celui qui marque la limite des dernières
maisons, la frontière entre la ville du bas et celle du haut, l’attendaient,
l’orage. Ils avaient cessé leurs jeux de courses et de cache-cache dans les
ruelles et pour s’amuser encore, ils s’ennuyaient un peu. Elle avait été vexée
par une remarque de l’un, ce bébé, qui tenait son bâton comme une épée
d’opérette. En vrai, elle en avait un peu marre de devoir jouer avec ces deux
gosses, des garçons qui plus est. Comme elle rêvait d’ailleurs, de grande ville
et d’être bien plus vieille !
Un autre avait repris un
livre et faisait mine de s’y noyer.
Les larges sièges de
pierres qui leur servaient d’assises étaient leur maison du dehors, c’est là
qu’ils se posaient pour s’en dire, c’est là qu’ils s’adossaient pour s’échanger
des secrets indicibles, c’est là, souvent, qu’ils attendaient le soir. En ce
jour d’été, ils laissaient le ciel leur apporter l’orage, les premiers éclairs,
l’odeur de la pluie sur la terre chaude et la fraîcheur revenue.
Ils étaient seuls,
ensemble, chacun déjà plongé dans l’avenir qui allait les envelopper, chacun
avec eux-mêmes, dans leur genre…
Le Félix du haut village,
le petit blanc à queue noire qui était
de passage pour la distribution de caresses mais indifférent à ces
évènements, vaguement inquiété par les grondements de l’orage approchant et séduit
d’un coup par une odeur subtile s’est déplié lentement, les a plantés là et
s’est remis en route…
C’est à cet instant précis
que les premières gouttes ont déferlé sur le monde.
Et l'autre publié chez Laurence:
L’orage.
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître…
Elisabeth Bishop.
On était dans un village du
Sud, adossé à la pierre, en plein cœur de l’été, quand le dehors ne redevient
fréquentable qu’en fin d’après midi à cause de la lourdeur accablante de l’air.
Au loin, on entendait s’approcher le grondement d’un orage qui n’allait pas
tarder à éclater, poussé par un vent s’agaçant. Déjà, là-bas, de petits éclairs
énervés commençaient à zébrer le ciel devenu mauve.
Ca n’a pas fait grand bruit
et pourtant, dans le coin, avec un peu d’attention on aurait pu assister à un
bouleversement. Dans la montée vers la ville haute, un univers entier venait de
s’effondrer. A l’instant, dans un fracas silencieux, le monde que des enfants
avaient connu depuis leurs naissances, avait sombré corps et biens. Désormais,
pour eux, plus rien ne serait jamais comme avant. Voilà une demi-heure, ils
n’étaient qu’innocence et naïveté, qu’insouciance et légèreté…
Las, ils venaient de perdre
le sel de l’enfance.
L’un avait annoncé à une
autre qu’il ne voulait plus d’elle comme amoureuse… Elle lui avait
immédiatement tourné le dos pour qu’il
ne la voie pas pleurer. Elle n’a pas aimé du tout la tristesse qui lui est d’un
coup tombée sur les épaules. Elle n’aurait voulu penser qu’à l’été et ses jours
sans limite, sans silence à craindre, sans chaise à se contraindre, sans table
où s’attacher et y poser ses coudes et son ennui. C’est de son cœur et de la
peine qui y étaient entrés dont elle devrait maintenant se soucier.
Un des deux autres,
entendant cet aveu, s’était aussitôt mis à espérer et à croire à un possible.
Du reste il avait vaguement souri quand il avait entendu dire qu’ils étaient au
bout de leur histoire. Depuis le temps qu’il l’aimait. Enfin, il allait avoir
sa chance… Avec l’orage, c’est l’amour qui avait débarqué. Ce petit monde, en
l’éprouvant, lui et tout ce qui va avec : ses élans, ses déchirements, ses
troubles, ses chagrins, ses peines, ses emportements, ses transports et ses
tourments, ces trois là, en une fraction de seconde venaient de quitter
définitivement l’âge de l’enfance. Cette période où il n’y a que l’instant à
vivre, où tout à l’heure ne se pense même pas. Ils ne seraient plus jamais
comme ces animaux pour qui l’avenir n’est pas, qui ne savent déjà plus rien de
l’heure passée, qui n’ont que l’instant
à vivre… à vivre.
Pour leur vie toute entière
l’insouciance si légère les avait abandonnés.
Les trois ne vivraient
presque jamais plus dans le présent. Ils avaient été saisis dans ce moment
singulier, épinglés comme des coléoptères sur le velours du temps. C’est quand
on tombe en amour qu’on commence à vivre, avant, on existe.
A partir de ce jour ils
allaient prendre le chemin douloureux qui s’impose à tous au long de la vie.
Ils allaient, désormais devoir apprendre à perdre.
Enfin, ils allaient pouvoir
monter sur le Grand Carrousel.
Le Félix du haut village,
le petit blanc à queue noire qui était
de passage pour la distribution de caresses mais indifférent à ces
bouleversements, vaguement inquiété par les grondements de l’orage approchant
et séduit d’un coup par une odeur subtile s’est déplié lentement, les a plantés
là et s’est remis en route…
C’est à cet instant précis
que les premières gouttes ont déferlé sur le monde.