A la demande de
Véronique...
Quelque part dans le comté de Winifred, en plein coeur du Montana au matin du 23 de Décembre, on
s’apprêtait, ici, à faire comme sur la terre toute entière : Fêter Noël.
Quand il a appris la
nouvelle dans le seul bar de la ville, John Smith a craché par terre en maugréant.
Pour tous ou la plupart c'était une grande nouvelle. Pas pour lui.
Il n’avait aucune
expérience en la matière mais il a senti de grands dangers s’amener avec elle. Il a perçu comme s’il était un radar super puissant toutes les merdes possible à venir. Comme s’il avait
reçu un message d’on ne sait où en même temps que la nouvelle et qu’à partir de
cette instant il avait toutes les raisons de se méfier de ce qui pourrait leur arriver. Il savait qu’à partir de cet instant sa vie et celle de ses
proches risquait de basculer dans quelque chose que plus personne ne pourrait maîtriser.
Il savait que tout ce qui faisait leurs joies, leurs plaisirs et même leur
bonheur fragile mais réel risquait d’être malmené, perturbé, profondément bouleversé. Il le
sentait. Il ne savait pas pourquoi, mais il le sentait.
Il a traversé la rue, il
est monté dans son engin rouillé et il est allé là où il allait toujours quand
il avait une décision importante à prendre.
Sur le sommet de la colline
de l’Ouest. Il a arrêté son engin au bord de la falaise qui dominait la ville
et il est sorti. Il en avait encore dans la boite à gants.
Il s’en est roulé une, bien
épaisse. C’était revenu vite bien qu’il ait arrêté de fumer depuis quelques années déjà. Mais là, l’occasion
était trop extraordinaire qu’elle méritait bien ça. Il était resté à réfléchir une bonne heure quand son
portable a sonné. Un de ses trois fils
l’appelait. Il savait, lui aussi. Il était comme possédé.
Justement, j’allais
t’appeler. On se retrouve à vingt heures à la maison. Appelle tes deux frères,
je veux qu’ils soient là.
Et il avait coupé court.
Son fils l’avait trouvé un
peu étrange mais il avait mis ça sur les épaules de la nouvelle. Tu te rends
compte un truc pareil ça doit bien chambouler. En même temps, il savait que son père n'était pas ce qu'on appelait un grand bavard.
John avait lui retrouvé
tout son calme. Sa décision était prise. Il savait enfin ce qu’il avait à faire
et il allait tout simplement le faire et leur annoncer ce soir avant le repas
qu’ils prendraient ensemble. Une fois qu’il avait décidé, tout s’était apaisé,
tout était comme rentré dans l’ordre. Il a attendu que le soleil se couche, il
a enfoncé un cd de vieilles ballades et il a tourné la clé. Et c’est un homme
serein, le bras à la portière qui, le soir venant, a dévalé la colline laissant derrière lui un nuage épais de poussière soulevée.
Arrivé à la ferme, il
disait la maison, il est venu embrasser Rose qui s’était déjà mise au travail
pour le repas du soir. Les grands mangeront avec nous lui a-t-il simplement
dit. Veux –tu que j’aille dans la réserve ?
Non, j’avais vu large.
Rose, il faut que je te
parle.
Rose n’aimait pas trop
quand il avait ce ton, John n’était pas ce qu’on appelle un homme léger mais
elle faisait avec depuis tant d’années.
Ils se sont assis dans la
cuisine, il lui a ouvert à elle aussi une bière et il lui a raconté ce qui
était arrivé. Il lui a dit quelle décision il comptait prendre et il lui a
demandé comment elle voyait les choses. Après un temps de réflexion, plus court
que le sien, Rose en plus de toutes les autres avait également cette qualité,
elle avait ajouté :
Comme toi, je les vois
comme toi, comme souvent...
Alors tout est bien.
Le soir, les trois fils
sont arrivés à peu près au même moment. Tout le monde s’est installé autour de
la table et John a parlé :
Comme vous l’avez sans
doute appris, aujourd’hui votre mère et moi avons gagné vingt six millions de dollars à la
loterie, mais voilà ce que nous allons faire, votre mère et moi. On va
rembourser toutes nos dettes et vous allez rembourser toutes les vôtres. Nous sommes heureux ensemble sans cet argent, n'est-ce-pas? Que pourrait-on acheter, qu'y aurait-il de si précieux que nous ne l'ayons déjà? Que nous manque-t-il pour être heureux? Rien. Alors, quand nous aurons payé ce qu'on doit, le
reste nous le donnerons à un institut de recherche contre le cancer...
Ne cherchez pas à nous faire
changer d’avis, nous ne le ferons pas.
Les trois se sont regardés
et c’est le plus jeune qui a parlé :
Mais pourquoi croyez-vous qu’on voudrait vous faire changer d’avis ?
C'est ainsi que dans la salle à manger d'une ferme de Winifred au plein milieu du Montana une famille unie a partagé, ce soir là, un
des plus joyeux repas qu’ils aient jamais pris ensemble et ils n’ont plus jamais, en dehors de ce soir là, reparlé entre eux, de cette histoire de billet gagnant mais tous les quatre disaient souvent: Quand on a tout, on n'a pas besoin d'autre chose...