Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait débuter par les premières phrases du Voyage au bout de la nuit.
Ça a débuté comme ça. Moi
j’avais jamais rien dit. Rien.
Pendant tous ces longs mois, pendant toutes ces
années, même, je l’avais fermée, à double tour, j’avais fait le dos rond plutôt
trois fois qu’une, j’avais attendu, puis, espéré que ça passe mais jamais, jamais ça
n’était jamais passé, ça n’avait jamais cessé… Pas une seule minute de répis,
pas le moindre petit repos possible, pas la moindre période sans… Dieu sait que
ça n’avait pas été facile de regarder tout ça se dérouler sous mes yeux, là
juste devant moi, sans rien dire, Dieu sait qu’il m’en avait fallu de la
résistance, mais j’avais tenu. Pas une fois, pas une seule putain de minuscule petite
fois je n’avais risqué une phrase ou posé un mot, pas une syllabe et il m’en a
fallu de la constance pour garder le silence, j’aime mieux vous le dire. Ça n’a
pas été facile, ah ça non… Mille fois j’ai eu l’occasion, l’envie, la volonté de
l’ouvrir et puis j’ai, à chaque fois réussi à continuer sur le chemin choisi.
On ne se refait pas, j’avais donné ma parole de ne rien dire, je m’y suis tenu.
Avec rigueur, avec une détermination sans faille, sans le moindre relâchement,
sans le plus riquiqui des laisser aller. Mais ça m’avait coûté ! Combien
de fois m’étais-je dit : mais mon pauvre c’en est trop, cette fois tu ne
peux pas rester là silencieux comme un bloc de marbre, ouvre là vas-y fonce,
hurle, crie, dis le, parle enfin, envoie tout ça à la face du monde tu en seras
soulagé, allégé. Tu seras comme un homme neuf et puis rien. Une parole, c’est
une parole.
Oh... J’ai bien senti que
plusieurs fois certains proches me suggéraient vaguement d’enfin l’ouvrir,
c’était logique, c’était légitime, ils en avaient le droit ils voulaient
savoir. Ils voulaient prendre leur part. D’une certaine manière, ils voulaient
partager toute cette fange avec nous, être ainsi plus proches encore. Hé bien non, là aussi, je n’ai
rien lâché. Une parole c’est une parole.
Certains sont allés jusqu'à me proposer de l'argent et, parfois, je le dis sans vergogne, ce furent des sommes rondelettes que j'ai refusées. C'était mal me connaître, je suis du genre à ne pas savoir vendre un bouquet de tulipes en Avril, alors quelques misérables secrets, tu penses bien que je me fais fort de les garder...
Et vous mêmes, vous mêmes,
je vous sens bien, là, en train de se demander : Mais tu crois qu’à la fin il va
nous le dire ce qu’il doit taire ? Tu penses qu’il va nous mettre dans la
confidence, qu’il va lâcher le morceau? J'espère qu'il ne va pas nous laisser sans savoir.
Alors, je préfère vous le dire de
suite : Si j’ai fait serment de me taire, voilà des mois que je le tiens, ça
n’est pas pour tout abandonner ni ici, ni maintenant, ni à vous. Désolé, mais, j’ai jamais rien
dit. Rien.
Il n’est pas question que ça débute...