Nous avancions gentiment
dans l’automne mais rien d'autre ici, ne pouvait le laisser penser, que la date et le trop rapide raccourcissement des jours. Le clair, il faisait chaud comme au plus beau de
l’été, gare à qui sortait tête nue, les filles portaient toujours leurs robes légères, même les nuits y étaient douces. Malheureux ceux qui avaient sorti les couettes
et les lourds vêtements d’hiver. Bien que
les cheminées aient été proprement ramonées, elles restaient désespérément vides. Elles patientaient.
Jusqu’aux feuilles des arbres qui avaient à peine commencé de jaunir. Il faisait tellement beau que dès qu’on
le pouvait, dès qu’on en avait le temps, on montait en voiture et on parcourait
les kilomètres qui nous séparaient de la mer. On y allait et mieux on s’y
baignait avec délectation comme au ventre de juillet. Et c’était pur délice.
Comme les vacanciers et les touristes étaient rentrés chez eux, le plaisir en
était augmenté. Les plages n'étaient occupées que par nous autres, ceux d'ici et somme toute ça laissait pas mal de place. Nous avancions gentiment dans l’automne et ça ne se voyait
pas. L'été s'était allongé sur la région comme un ogre y fait sa sieste.
Pourtant, il ne nous restait plus que
deux jours avant d’en arriver aux vacances de la Toussaint. Deux petits jours
pour terminer sept longues semaines de travail. Quinze jours de repos qui étaient presque
les plus attendus puisque les premiers après tous les efforts de la rentrée. Et, mieux vaut dire que tout le monde en avait plutôt besoin. Nous étions
tous fatigués, harassés, épuisés, vidés, sur les jantes. Ne plus, ni nous voir, ni nous
fréquenter, ni nous entendre, ni être confinés dans le même espace pendant
toute une quinzaine allait nous faire un bien fou… Du moins, c’est ainsi que
tout un chacun voyait la chose.
Dieux du ciel, comme il était
difficile à envisager cet avant dernier jour, comme il semblait insurmontable,
comme on s’en passerait si volontiers, comme on voudrait qu’il n’ait pas lieu,
comme on paierait cher pour ne pas le vivre… Alors une idée s'est pointée. Elle s'est amenée au milieu de la nuit profitant sans doute d'une vague insomnie: Et si on n’y allait pas ? Si, au matin, on disait qu’on est malade et qu’on n'ira pas ce jour là, qu'on est désolé mais que c'est ainsi, qu'on ne peut pas faire autrement, Du reste pouvait-on faire autrement que ne pas pas y aller ce jour là. Celui-là
seulement. Rien que lui. Lui seul. Comme une parenthèse, comme un cadeau qu'on se fait, comme une exception, comme un moment suspendu...
Et si à la place, on
profitait de ce superbe jour d’automne pour s'en aller commettre une virée à Lourmarin ?
Après avoir téléphoné, pour
prévenir de mon absence, je me recoucherais une heure ou deux, ensuite je me
lèverais, je m’habillerais et je roulerais gentiment. J’irai par Venasque et le
Col de Murs, j’en profiterais au passage pour saluer comme ils le méritent les
deux chênes, et les deux noyers de Murs, ensuite, je descendrais sur Gordes, la route
doit être si belle cet Octobre. Puis, je monterais vers Bonnieux et enfin, je replongerais sur
Lourmarin en passant par le creux de la combe. Arrivé sur le plateau, je me garerais le long du terrain de football, à l'ombre épaisse des grands platanes. Puis, je me baladerais
tranquillement au calme des ruelles étroites de ce si beau village, je lècherais les vitrines encore ouvertes avec application et sérieux, je
monterais sans doute au cimetière où j’irais, comme à chaque fois, saluer la tombe généreuse du Nobel écrivain
enterré là. Puis, j’irais m'installer à une table en terrasse au plein soleil du midi, pour me régaler d’un plat et d’un verre de vin Corse, histoire de penser à mes amis qui y vivent, que j’aime et que je ne vois pas si souvent.
Enfin, je passerais une
bonne partie de l’après midi ou dans la prairie au pied du village ou dans la
cour du vieux château, près du bassin aux poissons et, ensuite, quand le soleil
se mettrait à descendre, à pâlir, à moins chauffer, je me rentrerais sagement... Par la route de la plaine.
J’aurais, alors, à n'en pas douter, le sourire ravi de celui qui, en plein automne, un jour de travail, se sera délecté d'une virée buissonnière à Lourmarin mais qui n’aura manqué à personne…