Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait débuter par: Il/elle prenait comme moi le/la 18h45.
Elle, elle prenait comme
moi la 18h45.
Je l’avais repérée à
plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de
son allure conquérante et dédaigneuse.
La navette du soir pour
Moranion, un des deux milles cinq cent vingt sept satellites mis en orbite
autour de la terre à partir des années 2033 tant l’air y était devenu irrespirable et le climat
perturbé. Chaque nation avait donné
comme noms à ces entités de survies des noms de célébrités vaines qui avaient
sévis dans les dernières décennies où la terre avait été vivable. Si l’on peut
dire, elles avaient contribué, elles aussi, chacune à sa manière, à rendre l’air
irrespirable. Pour la France, on trouvait Nabilon, Estrosion, Heurtefion, Sarkozion et pour
d’autres c’était Kardashion, Hiltion, Ronaldion, Poutinion etc
Seuls quelques escadrons de
soldats gardaient les condamnés par la justice restés confinés à demeure sur
terre. Les autres remontaient tous les
soirs grâce à des navettes supersoniques… Les autres, enfin ce qu’il en restait
entre les inondations, les passages fréquents des cyclones, les pluies
diluviennes, la montée des eaux, les tempêtes de sable, de neige, les maladies
pulmonaires, l’expansion des virus, les guerres fratricides, religieuses, les
dégradations génétiques dues à tout ce qui avait créé ce merdier et qu’on avait
laissé faire. Cela allait de l’utilisation des pesticides et à la
généralisation des OGM en passant par l’augmentation du taux de CO2 et autre
couche d’ozone. Désormais nous étions dans une fange noire et il n’y avait
aucune perspective d’éclaircissement. Malgré ses défauts et ses inconvénients,
l’air artificiel des satellites était préférable à celui qu’on ne pouvait plus
respirer « en bas ».
Ainsi, nous étions une
petite centaine à embarquer tous les soirs sur la 18h45, il y en avait toutes
les dix minutes, pour passer la nuit dans nos unités collectives, viables, respiratoires
(les UCVR) et nous redescendions le matin pour nos professions respectives.
Je l’avais repérée à
plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de
son allure conquérante. Elle était magnifiquement belle. Si droite, si
majestueuse que ce devait en être une.
Las, je n’aurais aucune
chance de quoi que ce soit avec ce type de femme, nous ne faisions pas partie
de la même caste. Oui, si on avait aboli les nationalités, on avait réintroduit
le principe des classes sociales pour que ce soit moins le bazar. Il y en avait
trois : Les dirigeantes et donc riches, les besogneuses et donc juste au
dessus du seuil de pauvreté et la réserve. Les pauvres en attente des miettes. Chacun
sa caste et plus de mélanges, ainsi, là-haut on respirait mieux et on y voyait
plus clair… Nous étions devenus une espèce dégénérée où seuls les gagnants, les gros bras, les puissants, les winners avaient le vent en poupe, les autres n'avaient qu'à bien se tenir, leur avenir ne serait pas rose. Les bancals, les timides, les fragiles, les sensibles, les rêveurs, les poètes, les contemplatifs, les penseurs, même, allaient devoir filer doux.
Et cette nouvelle cuisine avait commencé bien avant 2033.
Elle, j’avais pu voir qu’elle
avait un passe pour TOUTES les navettes et qu’elle embarquait en premier dans
la 18h45, c’est dire la hauteur de son rang, c'est dire mon impossibilité à l'atteindre…
Je devais sans doute m'estimer heureux de monter dans la même navette qu'elle et surtout d'avoir encore le droit de respirer le même air qu'elle.
Ça ne tarderait pas à changer.
Je devais sans doute m'estimer heureux de monter dans la même navette qu'elle et surtout d'avoir encore le droit de respirer le même air qu'elle.
Ça ne tarderait pas à changer.