Il
était une fois, au fond d'un jardin clos, un portillon de bois qui n'allait pas tarder à être repeint.
___Pa
où tu vas comme ça, si tôt, avec ce petit pot de peinture bleue ?
___Je
vais redonner des couleurs à la petite barrière, ma jolie Valentine, tu sais le portillon du
fond du jardin…
___Ah
oui, celui que vous disez...
___Vous
dites!
___
... avoir ramené du Chili! Tu le peins encore ? Mais, tu l’as
déjà bleui cette année celui que je n’ai pas le droit de franchir !
___
Deux fois l’an, Ma douce, deux fois l’an comme depuis… longtemps.
___
Et pourquoi je n’ai pas le droit d’aller au-delà?
___
Ma belle, je te l’ai expliqué cent fois, je vais le faire une cent unième. Au-delà,
c’est le monde jolie Valentine. Pour l’instant, le jardin est assez grand, même
pour une petite fille, mais tu n’as pas encore assez de forces en toi pour
qu’on te laisse t’en aller le voir, le monde. Le monde, vois-tu, il faut être
un peu armé, un peu solide, un peu musclée, pour s’y coltiner, s’y frotter, le
parcourir. Disons qu’ici, dans le clos de cette maison et de son jardin, en
attendant, tu façonnes tes armes, tu apprends leur maniement, tu te solidifie
et je te voudrais la plus forte possible.
Mais tu l’auras, un jour, l’autorisation de le franchir, tu le passeras un
jour, ce portillon bleu que je vais repeindre comme chaque année. Seulement, le
temps n’est pas venu. Il est encore beaucoup trop tôt pour toi.
___
Et je le saurais quand que je pourrais?
___Quand
le moment sera venu, nous le saurons tous. Et toi ET nous, ce jour là, la
question ne se posera même plus. Je crois même qu’il s’ouvrira tout seul à ton
approche!
___
Mais si jamais je le passais quand même pendant que vous n’êtes pas là avec
M’an, qu’est ce que vous feriez?
Après
un long silence :
___
D’abord, j’éprouverais, nous éprouverions tous beaucoup d’inquiétude parce que nous
aurions très peur qu’il t’arrive quelque chose d’irréparable, que la violence
du monde te saute à la figure et te marque à jamais, qu’elle te cause un
mal irréparable dont tu pourrais souffrir trop longtemps… Ensuite, nous serions
profondément déçus de n’avoir pas été capables de bien te faire comprendre
pourquoi il te fallait attendre que le moment soit venu. Si nous n’avions pas
réussi à nous faire entendre, nous n’aurions pas été à la hauteur de notre
tâche, nous n’aurions pas fait ce que nous avions à faire, la seule chose du
reste que nous te devons, vraiment : La protection. Nous n’aurions pas su
te protéger. De toi-même. Oui, oui nous serions très peinés. Ce
serait terrible !
___
Mais dis, Pa chéri, le monde n’est pas seulement cette horreur dont tu parles ?
Parce que si c’est ça, je reste là, moi !
___
Non, non, rassure-toi, douce Valentine, il est d’une beauté magnifique mais il
y a tant de dangers, il vaut mieux être prévenu… Il est tout sauf rose.
___
Il semble important pour vous, ce si petit portillon.
___
Et pour toi aussi, Ma Belle Impatiente. Comme d’autres l’ont fait avant
nous… Et puis aussi, peut-être pour qu’il serve, un beau jour à ceux dont tu
finiras bien par avoir la charge, qui sait ? Le jour où tu pourras aller
voir de l’autre côté. Et ce jour là, il faut qu’il soit flamboyant !
Après
un moment :
___
Mais tu sais que, déjà maintenant, j’ai très envie de l’ouvrir?
___
Je sais Valentine, je me doute bien… Le temps viendra, t'inquiète...
___Tu
me donnes un pinceau ? Je peux t’aider? Je veux peindre, moi aussi.
___ Tu vois, ça commence déjà...
C’est
ainsi que dans le jour débutant, le monde qui passait sur la grand route a pu
voir, près du mur Nord Ouest d’un vaste jardin, un père et sa fille,
chacun d’un côté, l’homme à l’extérieur, les deux genoux perdus dans le vert de
l’herbe humide et grasse, heureux, bien qu’un peu gênés par l’ombre
grandissante des arbres morts, couvrir d’une couche bleue le bois moulu
d’un vieux portillon…
Soit disant du Chili...