Cette gare était comme celles de sa génération, construite à l’écart du coeur de ville, en appui d'une autre plus ancienne, elle au centre, pour que les trains qui ne s’y arrêtaient pas puissent foncer à pleine vitesse et pour que ceux qui y font une halte n’aient pas trop de banlieue à franchir afin de ne pas perdre de temps en roulant au ralenti. Elle était toute en longueur et ressemblait à un gigantesque poisson mort posé en pleine cambrousse avec des rangs de rails le long de l’arête principale. On entrait par la bouche et on sortait par l’arrière ou le contraire en fonction d’où on venait. Une fois rendu là, une fois descendu de votre train, si personne ne venait vous chercher en voiture, si vous renonciez aux taxis à cause de leurs prix exorbitants, ça doublait le tarif du voyage, si le dernier bus venait de passer, on pouvait attraper un TER version campagnarde de l’omnibus qui vous emmène vers là où vous finissiez votre voyage. Mais, de ces métros de campagne, il n’y en avait pas pléthore, et encore moins le samedi. Ceux là, ils étaient plutôt programmés en semaine quand les administrations, les lycées et les facs fonctionnaient bref quand les gens travaillaient.
Nous étions samedi, j’arrivais de la capitale en fin d’après midi et je m’étais préparé mentalement à une galère pour accoster chez moi à quinze kilomètres de là. Le dernier TER qui pouvait me transporter à l’endroit où j’avais garé ma voiture ne partait pas avant trois bonnes heures. À peu près un tiers du chemin si je l’avais fait à pied. Je n’avais pas envie de dépenser un bras pour un taxi et les bus étaient aux abonnés absents ni même un autre bras pour boire un verre en attendant. J’avais un bon bouquin mais je venais de lire pendant trois heures et je voulais rentrer. Il avait fait une chaleur lourde pesante même sous la climatisation du train. Je me sentais moite, en nage et crevé. J’aurais pu appeler quelqu’un mais je n’avais pas envie d’emmerder et puis être capable de se débrouiller presque seul procure un vrai plaisir de fond.
Comme j’avais prévu le coup avant de partir, je m’étais fait un petit carton pliant sur lequel, avec un gros feutre noir j’avais écrit le nom de la ville où était garée ma bagnole et donc où j’aimerais bien que quelqu’un, maintenant,
m’emmène.
Descendu du train, je suis sorti de la gare et en dépliant mon carton pour le présenter aux conducteurs qui n’allaient pas manquer de quitter l’endroit, j’ai commencé à marcher le long de la dépose minute, mon idée était d’aller me poster dans le tunnel qui passait sous les voies afin d’être à l’ombre en attendant qu’une voiture s’arrête et me propose éventuellement de monter pour me rapprocher. Ce que j’espérais au fond, tout en craignant d’avoir à y rester planté un long moment.
Je ne suis pas arrivé jusqu’au tunnel. La troisième voiture qui a lu le carton, une jolie petite anglaise toute neuve, toutes options, conduite par une maman venant chercher sa fille a mis le clignotant à gauche et s’est rangée le long du trottoir.
J’ai avancé vers elle et j’ai demandé bêtement: C’est pour moi que vous vous arrêtez ?
Ben oui, pour qui d’autre ?
Une demi-heure plus tard, plus rapidement qu'en taxi, après un trajet plus qu’agréable, souriant, léger, bienveillant, aux petits soins, je montai cette fois dans ma voiture. J’avais été, comme un prince, déposé juste à ses pneus.
J’ai remercié comme il se devait mes sauveteuses et j'ai passé un coup de brosse sur mon karma de gagnant de l'auto...