21 juin 2022

Un karma de gagnant de l'auto

Cette gare était comme celles de sa génération, construite à l’écart du coeur de ville, en appui d'une autre plus ancienne, elle au centre,  pour que les trains qui ne s’y arrêtaient pas puissent foncer à pleine vitesse et pour que ceux qui y font une halte n’aient pas trop de banlieue à franchir afin de ne pas perdre de temps  en roulant au ralenti. Elle était toute en longueur et ressemblait  à un gigantesque poisson mort posé en pleine cambrousse avec des rangs de rails le long de l’arête principale. On entrait par la bouche et on sortait par l’arrière ou le contraire en fonction d’où on venait. Une fois rendu là, une fois descendu de votre train, si personne ne venait vous chercher en voiture, si vous renonciez aux taxis à cause de leurs prix exorbitants, ça doublait le tarif du voyage, si le dernier bus venait de passer, on pouvait attraper un TER version campagnarde de l’omnibus qui vous emmène vers là où vous finissiez votre voyage. Mais, de ces métros de campagne, il n’y en avait pas pléthore, et encore moins le samedi. Ceux là, ils étaient plutôt programmés en semaine quand les administrations, les lycées et les facs fonctionnaient bref quand les gens travaillaient.

Nous étions samedi, j’arrivais de la capitale en fin d’après midi et je m’étais préparé mentalement à une galère pour accoster chez moi à quinze kilomètres de là. Le dernier TER qui pouvait me transporter à l’endroit où j’avais garé ma voiture ne partait pas avant trois bonnes heures. À peu près un tiers du chemin si je l’avais fait à pied. Je n’avais pas envie de dépenser un  bras pour un taxi et les bus étaient aux abonnés absents ni même un autre bras pour boire un verre en attendant. J’avais un bon bouquin mais je venais de lire pendant trois heures et je voulais rentrer. Il avait fait une chaleur lourde pesante même sous la climatisation du train. Je me sentais moite, en nage et crevé. J’aurais pu appeler quelqu’un mais je n’avais pas envie d’emmerder et puis être capable de se débrouiller presque seul procure un vrai plaisir de fond.

Comme j’avais prévu le coup avant de partir, je m’étais fait un petit carton pliant sur lequel, avec un gros feutre noir j’avais écrit le nom de la ville où était garée ma bagnole et donc où j’aimerais bien que quelqu’un, maintenant,

 m’emmène.

Descendu du train, je suis sorti de la gare et en dépliant mon carton pour le présenter aux conducteurs qui n’allaient pas manquer de quitter l’endroit, j’ai commencé à marcher le long de la dépose minute, mon idée était d’aller me poster dans le tunnel qui passait sous les voies afin d’être à l’ombre en attendant qu’une voiture s’arrête et me propose éventuellement de monter pour me rapprocher. Ce que j’espérais au fond, tout en craignant d’avoir à y rester planté un long moment.

Je ne suis pas arrivé jusqu’au tunnel. La troisième voiture qui a lu le carton, une jolie petite anglaise toute neuve, toutes options, conduite par une maman venant chercher sa fille a mis le clignotant à gauche et s’est rangée le long du trottoir.

J’ai avancé vers elle et j’ai demandé bêtement: C’est pour moi que vous vous arrêtez ?

Ben oui, pour qui d’autre ?

Une demi-heure plus tard, plus rapidement qu'en taxi, après un trajet plus qu’agréable, souriant, léger, bienveillant, aux petits soins, je montai cette fois dans ma voiture. J’avais été, comme un prince, déposé juste à ses pneus. 

J’ai remercié comme il se devait mes sauveteuses et j'ai passé un coup de brosse sur mon karma de gagnant de l'auto...








08 juin 2022

Si tu devais

 Mon avenir, mon presqu'amour, 

Avant tout, je veux te dire que ce que tu vas lire ne m’est inspiré par rien. Enfin, rien de ce qui se passe entre nous, rien de ce que nous vivons en ce moment, si tu préfères. Si cela doit te rassurer, je tiens à te dire que je n’ai aucune espèce d'arrière pensée en te parlant de ça. Simplement, il m’arrive, parfois, de réfléchir, en ce qui nous concerne, à toutes les possibilités et celle que je vais évoquer, en est une,  parmi d’autres. Donc, surtout, ne sois pas inquiète outre mesure, ce qui suit ne  va rien annoncer... Rien de mauvais, rien de désagréable, rien d'irréversible et surtout lis moi :

 

Si jamais tu devais me quitter, si tes sentiments s’étaient épuisés, vidés comme un réservoir de bagnole, comme l’énergie chez un dépressif, comme un glacier de montagne en été, si tu ne pouvais plus continuer à mes côtés, si je te lassais, si tu rencontrais quelqu’un d’autre de plus fringant, de plus enthousiasmant, de mieux aimant, j’aimerais que cela se passe vite, que tu me l’apprennes sans falbala, ni détour, ni ménagement. Ne te crois pas obligée de me le dire lors d’une soirée particulière, surtout pas en m’emmenant là où nous nous sommes rencontrés ou bien dans le premier restaurant où nous avons mangé, ni sur la première plage où nous nous sommes enlacés, enfin tu vois bien tout ce genre de trucs un peu lourdingues et signifiant pour quelqu’un à fleur de pot comme moi. La nouvelle sera si délicate à avaler autant que la bouchée soit légère… 

S’il te plait, épargne-moi la longue lettre accompagnée d'un cadeau qui m’explique que je suis quelqu’un de formidable, de magnifique, d'unique mais que tu ne te sens plus digne de moi, que tu es responsable de tout, que je n’ai rien à voir là-dedans que c’est toi et toi seule qui prend cette si douloureuse, crois moi, décision. Comme si je vivais cette histoire sans rien en sentir. C’est plutôt humiliant, non ?

Je te remercie de m’épargner aussi les pleurs et les mauvaises réactions que je pourrais avoir, les mots que je pourrais prononcer, ceux que tu pourrais entendre et qui inévitablement dépasseraient mes pensées. Sois gentille, évite moi les phrases assassines, les mots durs, voire les insultes portées par l’incompréhension, le chagrin et la douleur. Épargne moi de mal me comporter, de n’être pas brillant, brillant et ainsi, en plus, de m’en vouloir après…

Qui sait, évite moi ainsi, la honte de l'envie de la gifle qui pourrait, animée par la douleur, avoir la velléité de sortir de ma main,  je ne suis pas tellement au-dessus des autres.

Et puis, si tu en es là, si tu en es à me dire tout ça c’est que tu as bien réfléchi, que ta décision est prise et que tu ne changeras pas d’avis, même si tu sais que tu peux te tromper. Tu es allé trop loin, tu as franchi la rivière, passé le pont. Il me sera, alors inutile d’espérer quoi que ce soit. En tous les cas pas de te faire revenir en arrière. 

L’espoir est une saleté qui entretient la douleur.

Aussi, pour toutes ces raisons, vois-tu, je ne suis pas contre mais alors là pas du tout, ne souris pas, je ne suis absolument pas opposé à un petit SMS  en milieu de journée, pour éviter les réveils difficiles et permettre d'anticiper la soirée. Un SMS du genre lapidaire et respectueux qui mette les choses bien au clair. Quelques mots simples sans pathos : "Nous deux, c’est fini",par exemple. Ou bien: "Restons-en là de nous". Si tu n'ajoutes pas « veux-tu », cela suffira. C'est concis, précis et extrêmement limpide. Pour le domestique et l’intendance, les vêtements, les meubles, les bibelots,  les plantes, le bail, les chats, tout le bazar et même les souvenirs, nous verrons cela plus tard. Ne réglons pas tout le même jour. Si tu le peux, nous attendrons que je me sois un peu remis, que je me sois refait une santé, que je sois redevenu présentable bref que j'ai encaissé le coup, avalé la couleuvre et que je l'ai bien digérée, que les hématomes se soient résorbés et les plaies refermées. Je dois te prévenir, je te dois d'être honnête, je suis du genre à cicatriser bien mal. Il me faut du temps, beaucoup de temps, un sacré paquet de foutu temps, même. Mon coeur tremble encore au rappel de médiévales ruptures.

Mais si jamais tu devais me quitter, oui, j’aimerais que ça se passe comme ça.

Au moins, maintenant, là où nous en sommes, tu sais quel sera mon souhait. 

Pour pouvoir vivre au mieux cet instant, il ne reste plus qu'à nous... rencontrer. 

Tu vois,  tu ne risques pas grand chose puisqu'avant de te connaître, je suis déjà préparé  à l’idée de te perdre.

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