Il y a parfois des choses qu’on aime sans pouvoir les expliquer, les analyser, en donner les raisons mais les raisons profondes, pas celles de surface et ça vaut également pour ce qu’on peut détester. Et puis il y a des instants où on peut se dire : Voilà c’est pour ça que j’aime… J’ai eu la chance d’en vivre un hier. Je rentrai chez moi après être allé faire une course et sur mon trajet, je dois passer près de l’école du village. Ici, la cour dans laquelle les enfants jouent n’est pas entourée de hauts murs comme dans certaines écoles, ici les enfants font partie du village, de sa vie. Les cris de leurs jeux ont la même place que la cloche de l’église, ici on ne cache pas les écoliers à la vue des passants qui passent. Ainsi ces enfants ont aussi la conscience d’être partie entière du village, d'en être le coeur vivant. Dehors n’est pas un monde inconnu, mystérieux, invisible. Dehors est aussi chez eux. Je suis à peu près certain qu’il ne viendra à personne l’idée ilmbécile d’y foutre le feu à cette école-là. Comme il y avait beaucoup d’enfants dans la cour, ce devait être l’heure de la grande récré du midi, la préférée, à cause de sa durée, entre la fin de la matinée et le début de la cantine, la plus longue avec celle du soir entre la sortie et l’étude pour ceux qui avaient la chance d’y rester. La rue dans laquelle je roulais longe la cour où la plupart des enfants courent d’ordinaire comme les minots de Higgs s’agitent autour du noyau. Pour les garçons, le plus souvent c’était ballon, football je veux dire, Marseille n’est pas si loin et pour les filles, c’était souvent autour du terrain par tout petits groupes en grandes discussions d’importance. J’ai jeté un œil dans la cour et j’ai été étonné, les garçons ne couraient après aucun ballon. C'est là que j’en ai aperçu deux trois agrippés au grillage leurs bras en dehors qui paraissaient faire des signes en les agitant de haut en bas au passage des voitures. Ils faisaient signe ! Alors j’ai compris. Ils ne jouaient plus au ballon parce qu’ils n’avaient plus de ballon. Celui-ci avait dû sauter quelque part au-dessus de la clôture. J’ai ralenti puis garé la voiture. J’ai ouvert la porte. Des cris ont accueilli ma sortie. Monsieur, Monsieur, s’il vous plait vous nous sauvez la vie s’il vous plait le ballon là le jaune derrière vous, vous pouvez l’envoyer sinon on ne peut plus jouer. J’ai attrapé le ballon et je leur ai envoyé par-dessus la clôture. Ah Merci Merci ! Heureusement que vous êtes passé vous êtes notre sauveur…. Sauveur, il avait dit sauveur ! On n’était pas dans le Sud pour rien. J’ai juste envoyé un : » Jouez bien, allez l’OM… » un peu déplacé. Et en remontant dans la voiture, j’ai souri d’avoir provoqué tant de plaisir avec un geste somme toute banal et surtout j’ai compris pourquoi j’aimais vivre dans un village : Ses enfants y jouent au cœur, ils arrêtent les voitures quand leurs ballons sautent la clôture, ils sont pleins de gratitude quand vous leur permettez de poursuivre leurs jeux. Et ils vous le disent. On était bien loin de la tension qui peut régner en banlieue des grandes villes, dans ces zones déshumanisées, donc agressives, violentes où l’on met le feu pour un oui pour un non, parce que l’environnement pousse à ça parce que tout est créé pour qu’une seule petite étincelle de rien embrase tout le bazar.
Ce que je venais de vivre n’était pas grand-chose, mais quand même, au fond…
