15 décembre 2025

Par les villages

Il y a parfois des choses qu’on aime sans pouvoir les expliquer, les analyser, en donner les raisons mais les raisons profondes, pas celles de surface et ça vaut également pour ce qu’on peut détester. Et puis il y a des instants où on peut se dire : Voilà c’est pour ça que j’aime… J’ai eu la chance d’en vivre un hier. Je rentrai chez moi après être allé faire une course et sur mon trajet, je dois passer près de l’école du village. Ici, la cour dans laquelle les enfants jouent n’est pas entourée de hauts murs comme dans certaines écoles, ici les enfants font partie du village, de sa vie. Les cris de leurs jeux ont la même place que la cloche de l’église, ici on ne cache pas les écoliers à la vue des passants qui passent. Ainsi ces enfants ont aussi la conscience d’être partie entière du village, d'en être le coeur vivant. Dehors n’est pas un monde inconnu, mystérieux, invisible. Dehors est aussi chez eux. Je suis à peu près certain qu’il ne viendra à personne l’idée ilmbécile d’y foutre le feu à cette école-là. Comme il y avait beaucoup d’enfants dans la cour, ce devait être l’heure de la grande récré du midi, la préférée, à cause de sa durée, entre la fin de la matinée et le début de la cantine, la plus longue avec celle du soir entre la sortie et l’étude pour ceux qui avaient la chance d’y rester. La rue dans laquelle je roulais longe la cour où la plupart des enfants courent d’ordinaire comme les minots de Higgs s’agitent autour du noyau. Pour les garçons, le plus souvent c’était ballon, football je veux dire, Marseille n’est pas si loin et pour les filles, c’était souvent autour du terrain par tout petits groupes en grandes discussions d’importance. J’ai jeté un œil dans la cour et j’ai été étonné, les garçons ne couraient après aucun ballon. C'est là que j’en ai aperçu deux trois agrippés au grillage leurs bras en dehors qui paraissaient faire des signes en les agitant de haut en bas au passage des voitures. Ils faisaient signe ! Alors j’ai compris. Ils ne jouaient plus au ballon parce qu’ils n’avaient plus de ballon. Celui-ci avait dû sauter quelque part au-dessus de la clôture. J’ai ralenti puis garé la voiture. J’ai ouvert la porte. Des cris ont accueilli ma sortie. Monsieur, Monsieur, s’il vous plait vous nous sauvez la vie s’il vous plait le ballon là le jaune derrière vous, vous pouvez l’envoyer sinon on ne peut plus jouer. J’ai attrapé le ballon et je leur ai envoyé par-dessus la clôture. Ah Merci Merci ! Heureusement que vous êtes passé vous êtes notre sauveur…. Sauveur, il avait dit sauveur ! On n’était pas dans le Sud pour rien.  J’ai juste envoyé un : » Jouez bien, allez l’OM… » un peu déplacé.  Et en remontant dans la voiture, j’ai souri d’avoir provoqué tant de plaisir avec un geste somme toute banal et surtout j’ai compris pourquoi j’aimais vivre dans un village : Ses enfants y jouent au cœur, ils arrêtent les voitures quand leurs ballons sautent la clôture, ils sont pleins de gratitude quand vous leur permettez de poursuivre leurs jeux. Et ils vous le disent. On était bien loin de la tension qui peut régner en banlieue des grandes villes, dans ces zones déshumanisées, donc agressives, violentes où l’on met le feu pour un oui pour un non, parce que l’environnement pousse à ça parce que tout est créé pour qu’une seule petite étincelle de rien embrase tout le bazar.

Ce que je venais de vivre n’était pas  grand-chose, mais quand même, au fond…

 

 



15 novembre 2025

Un si beau pays

Ils venaient de passer quelques jours dans un pays si beau qu’il éloignait des peurs de l’effrayante bêtise et des malheurs du monde. Comme c’était un pays de montagne, ils y avaient dépensé pas mal de temps à monter. Dépenser, le verbe n’est pas tout à fait correct. Ils s’étaient plutôt enrichis à monter : Monter à la chapelle, monter à la bergerie, monter au Lac … À propos de cette merveille, celui-là on ne le nommait pas. Il n’avait pas de nom pour les gens d’ici quand vous disiez que vous alliez au lac, tous ceux d’ici savaient de qui, oui de qui, vous parliez. C’était LE lac. Pourtant, il y avait plusieurs étendues d’eau dans le coin mais de lac comme lui, il n’y en avait qu’un. On y montait comme on va à un rendez-vous amoureux. Espéré, attendu, souhaité, désiré, même. Quand on était du pays, on n’y montait pas qu’une fois dans une vie, on y allait régulièrement, plusieurs fois dans la même année. Il fallait le voir en tenue d’été, puis en tenue d’Automne, en manteau d’hiver et en robe fleurie de Printemps. Chacune des saisons avait une beauté particulière. On ne pouvait y aller qu’à pied, donc, les gens d’ici tant qu’ils pouvaient y montaient, tant que leurs jambes leur permettaient, tant que cela ne leur était pas devenu impossible, ils y grimpaient. Ils auraient sans doute pu se contenter de leurs souvenirs puisqu’ils y étaient allés si souvent mais non, ils voulaient tous admirer de leurs yeux ses nouvelles robes, ses nouveaux visages, ses nouvelles lumières sans cesse réinventées. Mais plus que la beauté du lieu ce qui était aussi remarquable ici, c’était la beauté intérieure des gens. Comme si la magnificence du paysage influait sur les âmes. C’était comme un théorème, un si beau pays ne pouvait pas engendrer une âme moche. Aussi, la plupart de ceux qu’on y croisait étaient souvent aussi beaux que les paysages dans lesquels ils vivaient. Alors, après avoir admiré la verticale de Rochecline, les pentes douces vers le lit du Verdon naissant, la cascades et les bassines de la Lance, les plateaux de Chasse ou la montée vers le Col des Champs, la beauté arrondie de l’Encombrette, les miroirs du Lignin, on se réjouissait des rencontres faites dans le village fortifié à l’intérieur des remparts censés empêcher les passages ou les invasions mais qui ne protégeaient plus désormais que de la chaleur en été. Cette fois, on y avait croisé Jean Claude une belle quatre-vingtaine qui, avec son épouse d’origine asiatique « faisaient le jardin ». Le plus beau c’est qu’ils le faisaient pour les autres parce que Jean-Claude et elle, s’il était d’ici, né ici, les deux ne vivaient pas là. Ils venaient de loin, même. Ils ne venaient que pour voir des tombes et « faire le jardin », pour le rendre encore plus joli, exactement de l’autre côté de la terre. C’est en Nouvelle-Zélande qu’ils passaient leurs vies, c’est là-bas qu’ils résidaient et d’où ils débarquaient une fois par an pour entretenir la maison et soigner le jardin fleuri construite par son père qui reposait maintenant au petit cimetière du village. Ils nous ont longuement parlé de leurs rosiers, des fleurs magnifiques qu’ils donnaient, de leurs parfums entêtants et du bonheur qu’ils avaient à les voir. 

De l’autre côté de la terre ils se sentaient responsables de deux ou trois rosiers…

Quand on dit que ce pays est si beau qu’il peut éloigner de l’effrayante bêtise et des malheurs du monde c’est aussi à Jean Claude et son épouse qu’il le doit…






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