C'est à tout ça que j'ai pensé au coeur humide de cette nuit là. À toutes ces histoires...
À tes baisers fragiles dans mon cou impatient... À ce trajet Oléron Paris, juste pour voir le sourire de surprise illuminer ton visage à la sortie de ton bureau, au repas, qui a suivi, dans un chinois, et à t'avoir entendu dire: Tu as fait tout ce trajet pour me voir? Si tu avais su à cet instant combien j'aurais encore roulé... C'était aussi pour que je te voie... À mon retour dans l'île... À mes doigts se promenant sur tes jambes presque nues pendant que tu essayais de regarder la route... À ces nuits, de jeunesse, flamboyantes et animées, où, emmitouflés à deux dans un seul duvet, nous nous sommes allongés sur le dos, la Lactée pour ciel de lit, la Polaire pile au-dessus de nos fronts, sur le sable encore chaud de cette plage désertée... À cette soirée parfaite dans un restaurant proche des Quinze Vingt où nous nous promettions une nuit entière de braille... À ce matin dans les îles, où j'ai débarqué de métropole par un avion de nuit, pour atterrir sur une terrasse ombrée de bougainvillées mauves et vous y apporter des croissants frais. A vos visages en ouvrant les volets. Au petit déjeuner qui a suivi... À ce trajet en voiture où d'un coup tu t'es retrouvée nue dans la voiture en m'intimant d'une voix grave et moqueuse: "T'occupe, conduis, j'avais chaud d'un coup"... comme s'il devait être normal, à cet instant, de garder la ligne droite... À cette tartine de confiture débordant d'un rouge fraise que tu as engloutie sur la terrasse d'un refuge de haute montagne, à tes babines souriantes et à ce sucre dégoulinant... À cette aube incroyable où ton corps est venu se glisser contre le mien en chuchotant: Tu dors? À cette chambre d’hôtel de l’autre côté de la Durance en face des Mées et la cloche qui sonnait les demi-heures… Ah, que j'y pensais, aussi, cette nuit là, à tes mains glissées rampement sous mes chemises devant tous ces films que nous avions oublié de voir... À cet hôtel de charme sage, au tien, fou, à ce désir que nous avons contenu tout le temps du repas, tout le temps de la soirée, à tes regards gourmands...même lors de la balade, le long du canal, jusqu'à ce que la nuit nous cache... À la conversation de nos jambes sous la table...de nos mains au bord de l'eau, de nos lèvres dans le vert de l'herbe...
À cette rencontre sur le chemin du marché où tu m'as dit: Si tu avais changé de trottoir, j'en aurais changé aussi... À ces balades sans fin dans ce pays béni, le noir d'une chienne cavalant devant nous, le rouge de sa langue pendant sur le côté de la gueule... À ces montées à la Chaume, le soir venu, où tu t'habillais d'une robe de soie légère qui s'ouvrait d'un doigt. Au couchant, qui nous enveloppait de chaud et que nous regardions en silence, nos hanches mêlées. À ces baignades langoureuses dans l'eau presque noire de ce lac étiré. A la fraîcheur de l'eau qui nous forçait au réchauffage... À cette après-midi, d'un été de braise, sur la terrasse en bois, où nos corps se sont parlés en silence. Elle en a manqué de prendre feu... À ces matins, où en sortant de la douche, tu m'as demandé d'un air entendu et faussement détaché: Aujourd'hui, je mets quoi? À ces caresses interminables que nos mains habiles se donnaient, en prétextant des courbatures douloureuses et à la tournure, inévitable, des évènements... À cette agitation fébrile devant un feu réchauffant dans une maison glaciale habitée par des fouines bruyantes... À ton sourire à ma vue dans cette ville de montagne, après mes quatre heures de fuite... À ces trois mots prononcés du bout des lèvres engageant les années à venir... À l'emmêlement, improbable et agité, dans cet appartement vide où nous venions d'emménager, au bruit qu'on y faisait, en ayant décidé de tester toutes les pièces, y compris la buanderie...À ces deux merveilles qui, souvent, illuminent mon gris... C'est à tout ça que je pensais, au ventre du noir de cette nuit en poussant mon engin en manque d'essence sur une route détrempée par la pluie fine d'un début de Juillet distrait. Je me disais, en soufflant dans la visière de mon casque embuée, que j'avais une chance infinie d'avoir vécu tout ça. Courbé sur la moto, ahanant, suant, évitant, comme un toréro fou, les rares camions qui me frôlaient les fesses et m'aspergeaient de flotte boueuse. Si les chauffeurs avaient pu voir la largeur de mon sourire se cognant aux deux côtés des parois du casque... Les deux heures de marche forcée m'ont semblé de paille, puisque c'est à ces bonheurs là que j'ai pensé. J'y pensais, ils nous poussaient, ma machine et moi.
J'ai aussi pensé à d'autres moments...
Dans les côtes…