22 avril 2011

Eaux douces.

C'est une chaude fin de journée de printemps, on avance dans le sirop de l’air comme dans une étuve étouffante, la rivière étale en langueurs aplanies sa fraîcheur sous terrienne, elle se donne des allures de jeune fille à l'approche de la ville pour qu'on oublie le gouffre d'où elle vient, elle offre sa nuque aux murs costauds des digues, une mère cane y surveille du coin d'un œil ses trois canetons curieux et agités, le vert des peupliers joue avec d'autres, ceux des algues ondulantes, une couleuvre d’eau comme une route de montagne s’insinue dans le clair de la vive, le soleil déclinant allume les dessous d’arbres d’un rose naissant, des bleus de libellules s'attardent sur des coupelles de verts, un souffle léger étincelle des tourbillons éphémères, un couple de hollandais rougis et ventrus s’en reviennent de baignade en parlant, comme ils savent, c'est-à-dire, haut et fort, des insouciances s’éclaboussent de leurs rires en cascades, d'un autocar géant débarquent des cyclistes belges au bronzage ridicule, un chien tout entier, fou follet charge une compagnie bruyante de poules d’eau, une cloche lointaine sonne les vingt heures et la tombée du jour, la mouche leurre de laine d’un pêcheur, droit dans ses cuissardes, habillé comme un sous-bois, planté dans le plein des draps du courant secoue, à grandes volutes, la moiteur de l’air, des intrépides crient en se pendant au bout d’une corde centenaire attachée à un platane aussi vieux qu'elle, puis se lâchent pour se bassiner dans le frais, quelques rainettes dérangées par les passages sautent dans la lumière et disparaissent à fortes cuisses sous les chevelures vertes et ondoyantes, les cigales amoureuses répètent pour le récital d’avant nuit, l’ombre d’un geai passe au tellement ras de l’eau que le bout de ses ailes s’enmouille, arrivent, de la guinguette, pas loin, portées par une brise légère, des odeurs de cuisine qui ensalivent les bouches et parle franc aux papilles, le bleu clinquant d’un Martin Pêcheur affole les alevins livides, une truite en chasse s’attarde derrière la cache d’une pierre, une chorale de crapauds en désirs accorde ses voix pour un concert rauque, des peaux  douces d'amants amoureux se caressent des souvenirs pour les soirs de disette, une femme d’un autre âge soigne son arthrose dans une flaque de lumière et d'eau, un large chapeau de paille sur la tête pour moins souffrir du chaud, des martinets joyeux planent et viennent flanquer leurs becs à la surface comme des canadairs miniatures, un canoë glisse, laissant derrière lui des vaguelettes silencieuses qui s’en vont s’adoucir sur les berges comme des mains de mère, le musclé du frais nous passe entre les jambes et pousse à l’étonnement, alors, rafraîchi, séché puis réchauffé au soleil encore donnant, une cigarette aux lèvres on se pense qu’on vit un bel instant, on remercie le Partage de l’avoir offert, on se congratule, en silence, de savoir le vivre et de derrière une île, arrivent les notes d’une musique chaloupée, elles atteignent les oreilles attentives, en les tendant davantage, on entend la voix d'un Claude épuisé qui, comme les pêcheurs du coin, fait mouche :

 "L’eau de cette rivière fofolle mais pas farouche, 
L’eau si fraîche et claire vous met l’eau à la bouche, 
Là on peut s’asseoir en l’écoutant jazzer, 
En cascadant sur les pierres usées… 
On s’y fond, on y ondule, là, quand on retrouve l’air libre,
On sent que rien n’est plus beau que vivre… "

Ici, on engrange, pour les jours plus difficiles, la peau douce du bain béni, le cul posé sur une pierre, le pied droit battant la mesure comme un Mingus d'Assise allumé par les derniers feux du jour, un sourire vaguement niais accroché au coin des lèvres, comblé, rempli, le coeur plein, satisfait, rassasié une fois n'est pas coutume...



8 commentaires:

véronique a dit…

serait ce un coin de paradis encore une fois ? je reconnais cet endroit, .. le Partage ! tous ces petits instants de vie me ravissent ! on aimerait que le temps s'arrête n'est ce pas !

chri a dit…

@Véronique, oui, parfois on aimerait... pour un siècle ou deux que rien de rien ne bouge...

Anonyme a dit…

Etre dans l'instant et la phrase et son sujet, pleinement espace que ne mesure aucun temps, enfin savoir la durée sans le décompte, et ne plus commencer ni rien finir qui ne soit mouvement plutôt que jour achevé.

Ces Eaux douces sont la parole donnée au lit de nos rivières secrètes ; la langue des Poètes.

slev

Tilia a dit…

Chanson douce d'un marin d'eau douce caressant doucement sa douce muse dansant sur la mousse.

Douces fêtes printanières, cher Chri.

odile b. a dit…

En cillant à travers la paille du canotier, les images paisibles d'une longue phrase tranquille dansent, en continu, sans point final
La photo agrandie est superbe.
Un Dimanche à la Campagne… Profitez bien !

chri a dit…

@Tilia; Odile: Merci à vous!!!
Mes voeux pour vos oeufs.

chri a dit…

@Slev.

...

María a dit…

Oh, Nougaro ! J'adore cette chanson et cet endroit dit avec ces mots, les vôtres, c'est magnifique et d'une douceur sans nom. Merci !

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