21 septembre 2011

Le monde, terriblement malmené allait à vau l'eau et nos pauvres petits coeurs y étaient salement cabossées par les ardeurs sauvages des évènements impétueux...

Je flânai dans cette ville qui, désormais, ne me disait plus grand-chose. J’y flânai comme quelqu’un qui y avait habité, autrefois et qui l’avait aimée, beaucoup, sans doute trop. Mais nous avions bien changé, elle et moi. Surtout moi. Le « vieil » comme on l’appelait, celui qui avait assisté au dernier envol de l’immense Nicolas, (De Staël, pas l’autre, le minuscule… seulement capable de misérables vols) de sombre, sale, chantant, calabrais et vivant était devenu propre, presque aseptisé, triste, comme moqueté et parfaitement antipathique.
Il n’y avait plus, dans les ruelles menant vers le port, les invectives et les chants des pêcheurs, on y entendait que les bruits des clochettes des magasins de vêtements et les murmures cosmopolites des touristes qui y déambulaient une glace à la main.
En vrai, c’est le port qui s’était le plus transformé. Il avait envahi ce qui était avant un marécage, là où mon grand-père venait baigner son chien après la criée aux fleurs. De pêche, il était devenu de plaisance et s’était agrandi démesurément au point qu’on pouvait se demander qui donc avait les moyens de se payer autant de bateaux. Surtout pour les menotter à quais et donc qu'ils ne voient jamais la mer.
Je flânai comme on peut flâner dans un endroit de vieille connaissance, au sens de canaille, en posant ses yeux pile où on sait qu’il faut les poser. Ce qui était devenu un enfer d’adultes était resté pour moi, un paradis d’enfance ? Ca faisait beaucoup de remue ménage.
Mais ce matin là, il y avait une tension bizarre dans les rues, les gens ne souriaient pas, s’excusaient à peine quand ils se heurtaient, regardaient leurs chaussures en marchant et ne grignotaient rien…
Les deux premiers que j’ai surpris à s’engueuler c’est quand ils sont passés à ma hauteur. J’ai attrapé au vol :

___ Crotte, il faudrait, Mère, que vous vous disiez que je ne suis ni votre chauffeur, ni votre majordome. Savez vous que j’ai ma vie et ce week-end, j’avais prévu de recevoir mon petit-fils, vous savez celui dont vous avez toujours refusé de faire la connaissance sous des prétextes déplacés. Oui sa mère est une personne de couleur et alors…

___ Si tu vois comme un prétexte un enfant hors mariage c’est que tu as perdu tout sens moral, mon pauvre Jean Robert. C’est une tâche qui éclabousse notre famille et nous gâche la vie. 

___ Une tâche ?  Un enfant de six ans ? 

___Je persiste : une tâche et j’ajouterai bien sombre en plus. Si tu vois ce que je veux dire… Es-tu bien, et veille bien à la réponse que tu vas me donner, disponible ce week-end?
___ Mère vous êtes odieuse, je vous plante ici même. Et il avait tourné le dos en accélérant le pas, laissant la râleuse seule avec sa colère. C'est dire si ça allait mal puisque c'est en public qu'ils réglaient leurs comptes.... 
L’odieuse dans l’air de la place :
___ Hé bien tu n’auras rien, Jean Robert, m’entends-tu ? Rien ! De rien !
Quelques minutes après, un couple de jeunes gens flanqué d’une fillette :

___ Demande à ta mère, puisqu’elle sait tout, elle !

___ Hier, Rose, tu voulais savoir ce que veut dire exagérer, hé bien en voilà un exemple, ma fille, ton père exagère…toujours.

___ Ce que vous pouvez être chiants, tous les deux à vous disputer sans arrêt.

La mère en distribuant une gifle généreuse:

___ Dis, mais tu entends comment tu nous parles ?

Le père, en la prenant dans ses bras :
 ___ Tu avais besoin de la gifler pour ça ? Frapper une enfant, c'est moche.
___ Défends la bien, toi, Gros malin, tu ne viendras pas te plaindre quand elle te roulera dans la farine!
___ Tu ne vois pas que nous sommes déjà plongés dedans, jusqu’au cou?
Ce matin, les parents se criaient dessus devant leurs gosses. A deux pas, c’est à une terrasse de café que ça se passait : Le serveur s’enguirlandait en charabiant avec deux clients italiens qui surjouaient le drame. Ca s’est corsé quand des touristes russes s’y sont mis. Un équipage de marins américains fortement embierrés a voulu se joindre à la fête et commençaient à vouloir faire leur propre police avec leurs gros bras musclés et cela donnait un joli bordel. Pendant que certains, les plus malins, avaient plongé sous les tables et raclaient les pièces tombées par terre, la plupart gueulait dans toutes les langues et personne ne s’entendait plus rien dire, les verres prenaient leur envol. Les pleins aussi. Et les premiers coups se sont mis à pleuvoir. A cet instant, de derrière tout ce beau linge en furie, sautant par dessus les tables renversées, un jeune gars a jailli. Il était poursuivi par deux flics essoufflés et rouges qui criaient:
___ Arrêtez-le, arrêtez-le il a piqué des porte feuilles...
La foule comme électrisée par l'odeur de l’hallali, par celle du sang s'est mise à hurler mais ce n'était pas ce qu'ils attendaient:
___Y en a d'autres ! Y en a d'autres ! Pourquoi lui, pourquoi qu' on court pas après les banquiers!
___ Le jour où on va s’y mettre, ils ne l’auront pas volé ! On les brulera sur leurs guichets !
La foule :
___ Et on les fouettera, aussi.
Ça a bien fait rire. Jaune... Dans la rue, les rideaux de fer des boutiques se sont mis à descendre et, à toutes volées, les cloches de la cathédrale ont sonné. C'est après que le ciel a commencé à s'assombrir... Je flânai dans cette ville qui, désormais, ne me disait plus grand-chose. J’y flânai comme quelqu’un qui y avait habité, autrefois et qui l’avait aimée, beaucoup, seulement voilà, ce matin, l’ambiance n’y était plus. La crise passait par là et le monde se tendait comme un élastique à l’envers…
Un jour, c’était maintenant certain, c'est au plein milieu de notre gros nez qu’on se le prendra, l’élastoque. Alors, nous n'aurons plus que nos yeux pour pleurer... Dire que nous n’avions encore rien vu. Ce qui nous attendait était encore pire que ce que nous redoutions. Si nous avions été un tant soit peu raisonnables, si nous avions eu un peu de jugeotte, nous aurions tous dû mettre les bouts dare-dare vers les pays où il fait toujours beau où l’on passe sa vie à jouer sans songer à l’école en toute liberté pour rêver. Si nous avions eu un peu de bon sens nous nous serions entraînés, depuis longtemps à bouffer du manioc cru, pêcher du poisson avec une branche, et allumer du feu avec deux cailloux. C’est ce qui nous attendait, il ne fallait pas qu’on se leurre. La plupart allait prendre cher. Ceux qui n’avaient déjà rien auraient encore moins et ceux qui avaient juste un peu perdraient tout. Voilà comment ça allait se passer. On irait tous se faire voir comme chez les grecs. Du sang, de la sueur , des larmes et de l’eczéma en prime. Morflage à tous les étages. Sauf au rez de chaussée, évidemment. Comme d’habitude.
Voilà sans doute ce qui expliquait cette tension palpable dans toutes les rues de toutes les villes. Il parait que dans certains endroits, on commençait, déjà, à mettre en cabane tous ceux qui étaient pris avec un briquet dans la poche…
Pendant ce temps là, d’autres, sur le pont de leurs yachts continuaient d’allumer des cigares gros comme des cuisses avec leurs Dupont© en argent massif…





6 commentaires:

Tilia a dit…

Il semblerait que, vis-à-vis des banquiers, vous ayez la même opinion que moi. J'avais effleuré le sujet (de manière pas très adroite, il est vrai!) il y a peu chez Michel.

chri a dit…

Ce qui n'est pas très aimable c'est le système qui rend leurs méfaits possible... A la peine d'un côté, gavés de l'autre...

véronique a dit…

et c'est quoi la solution ?

chri a dit…

@Véronique: Une des? Mettre le mors aux banquiers! Qu'ils arrêtent déjà de jouer avec l'argent qu'on leur confie. Qu'ils nous le gardent et nous en prêtent quand on leur en demande!

véronique a dit…

bien sûr Chriscot que je suis d'accord avec vous ... mais depuis le temps... depuis que le monde est monde , pourquoi çà fonctionne pas !

chri a dit…

@Véronique Que ceux qui ont TOUT aient un petit peu moins que tout et que ceux qui n'ont pas grand chose aient un peu plus?
Qu'on puisse, quand on en a, au moins, vivre dignement du "fruit" de son travail?
Ca ne marche pas... Sans doute parce que ceux qui ont tout ne veulent rien lâcher...

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