Seul dans cette île, voilà
trois jours qu’il se gavait de couchants à tomber, en voilà quatre qu’il se
régalait d’aubes magnifiques. Et des cieux de nuages pavés, et des bleus
d’outre envie et des landes balayées par le vent… Enfin il était sur elle comme
à son habitude, un avant goût du paradis. Entre ces merveilles du matin et du
soir,, il passait le temps à arpenter de long en large les miroirs des marais,
à se repaître du spectacle des hérons dansant dans la lumière de cette fin
d’été….
Les autres étaient rentrés au
chagrin, pas lui. Il avait joué les prolongations, pour quelques jours. Il
s’était offert l’illusion qu’il allait rester tout un hiver… On était en
Septembre et l’idée de poursuivre la vie ici jusqu’à Noël le plongeait dans un
bain de bulles douces. La solitude ne lui faisait pas peur. Il s’entendait
plutôt bien avec elle. Il finissait après quelques jours par parler tout seul
mais à voix basse. Il avait toujours un livre à portée de main qu’il lisait à
voix haute mais surtout il y avait ces paysages comme des compagnons. Alors,
quand il s’ennuyait un peu, il allait leur rendre visite comme on débarque à
l’improviste chez des amis, pour partager un verre, une conversation ou mieux : des
silences.
Ici, dans certains endroits
de l’île, on pouvait tourner la tête sur trois cent soixante degrés et
découvrir encore des choses à voir. Il fallait ne pas craindre les torticolis… voilà
tout. Ici, le ciel était une partie du paysage, Il changeait à la vitesse des
vents. Tu regardais cinq minutes tes lacets défaits, tu levais la tête et,
clic, tu en avais un autre sous les
yeux. Tu partais sous une pluie battante, tu arrivais au plein dessous d’un arc
en ciel. Un ciel de surprises et d’émerveillements. Clic clac à cette allure
là !
Le ciel était changeant comme
un vol de papillon. Ce matin là, il était venu rôder au levant près des marais
de la Houssière. Il était sorti de la bagnole malgré les lancers de couteaux
d’un force cinq venant droit de l’embouchure du Saint Laurent. Il avait posé
ses regards sur le ciel de traîne qui dessinait dans le bleu des balles de
cotons gigantesques. Comme à l’accoutumée, il s’était émerveillé. Il avait
l’émerveillement facile. Mais le froid a vite eu raison de son plaisir. Il est
rentré dans son engin et a tourné le bouton de la radio. Un type s’est mis à
chanter. C’est ça qui l’a décidé.
Le temps de la chanson, il
était à la maison. Il a attrapé vite fait quelques affaires qu’il a enfouies
dans son sac de voyage, il a fermé l’eau, le gaz, les portes et les volets. Il a balancé le sac
poubelle dans la poubelle et refermé le portail.
Il a calculé que s’il se
démerdait bien, s’il n’avait pas trop de bazar ce soir en arrivant à la
capitale, il serait un poil en avance à la sortie de son boulot.
Il allait lui faire la
surprise de venir la chercher. Il serait sur le trottoir avec un bouquet à la main comme dans les films un peu cons. Ils iraient ensuite manger dans un restaurant du
quartier. Ensemble, ils seraient ensemble. Aucun paysage au monde ne console
d’y être seul. Voilà ce qu’il s’est dit tout le temps du trajet. Il a passé une
journée magnifique parce que pour une des rares fois dans sa vie, il était pile
à l’endroit où il voulait être. Tous comptes faits il n’y en a pas tant que ça.
Malgré les embouteillages de fin de journée en arrivant à la capitale, il est
arrivé à la bonne heure, il a garé l’engin près de la sortie de sa boîte. Il est sorti s’en
fumer une.
Puis, il l’a vue. Puis il a vu son sourire le voyant:
___ Qu’est-ce-que tu fais là toi ? C’est ce qu’elle lui a dit.... Elle semblait heureuse de l’embrasser.
Puis, il l’a vue. Puis il a vu son sourire le voyant:
___ Qu’est-ce-que tu fais là toi ? C’est ce qu’elle lui a dit.... Elle semblait heureuse de l’embrasser.
Ce qu’il ne savait pas
encore, c’est que ce soir là, précisément, il l’a perdue.
21 commentaires:
Un très beau texte qui, pour moi, pose l'éternelle question de la vie en solitaire.
Il me semble que s'en accommoder n'est donné qu'à quelques privilégiés qui ont réussi à trouver leur moitié d'orange en eux-mêmes.
Mais les humains ne sont pas programmés pour ça, il leur faut perpétuer l'espèce. Et une fois le devoir de procréation accompli, impossible de modifier le programme, même quand on se retrouve seul, pour la plupart d'entre nous, le besoin de l'autre persiste jusqu'à la fin.
oh non Chri, c'est une histoire triste. Jusqu'au bout j'ai cru que tu nous emmènerais vers un ailleurs d'espoir ! Et tu sais pourquoi ? Parce que tu as écrit que pour la première fois ton héros se savait à la place qu'il fallait qu'il aie à la sortie du travail de son "amoureuse". Et tous comptes faits, et bien non, il n'aurait pas dû y être. Ceci dit, c'est un très très beau texte dont j'apprécie énormément la simplicité de langage. Vraiment j'adore ! Merci Chri pour tous ces bons moments passés en ta compagnie :)
Et quand tu perds, est ce que tu gagnes ?
Lou
@ Lou Hé non, c'est le sel de la vie quand tu perds... Tu perds...
@ Laurence Merci merci... Suis rouge comme une poire!
@ Tilia Merci... Oui heureusement qu'on a tendance à recommencer...
"vous avez vécu dans le souvenir du bonheur, Karim. Or, rien n'empêche le bonheur comme le souvenir du bonheur".
G. Sinoué, Les nuits du Caire.
(Pas d'acc avec "quand tu perds tu perds")
Lou
@ Lou Sans doute mais c'était pour le mot!
Enfin, il vaut quand même mieux apprendre vite à perdre...
Un des plus beaux que je connaisse (mais je n'en connais pas beaucoup!) D'elisabeth Bishop.
Un art
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître ;
tant de choses semblent si pleines d'envie
d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.
Perds chaque jour quelque chose. L'affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l'heure gâchée qui suit.
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.
Puis entraîne toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis
le projet d'aller. Rien là qui soit un désastre.
J'ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l'avant-dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.
J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre.
Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j'aime) je n'aurai pas menti. A l'évidence, oui,
dans l'art de perdre il n'est pas trop dur d'être maître
même si il y a là comme (écris-le !) comme un désastre.
je l'ai toujours dit, en amour faut être détaché...
Marie
@ Marie Oui, oui du genre: Détache moi que j'm'accroche!
Merci pour ta visite, Chri !
Bonne journée (bonnes vacances ?)
@ Michel C'était plaisir pour moi! Non pas encore tout à fait, ce sera pour lundi soir...
"Il était pile à l'endroit ou il voulait être ",Je me suis dit c'est gagné et puis en fait pas du tout comme quoi ...
Bon week et surtout bonnes vacances
@ Brigitte Hé oui dans ces affaires là on est deux!
Merci de tes voeux. Les miens en retour!
tres bel article
A qui perd gagne, où l'inverse, une fois la surprise partie, on se dit que la robinsonnade n'a pas que de bons côtés... Un petit air de déjà lu, non ? Et la photo qui en dit tant entre attachés, plongeon de l'ombre même si on se tient bien droit dans le soleil... Tant !
@ M J'ai changé le titre mais oui c'était du déjà lu... Enfin pas comme ça!
A force de me la creuser pour essayer de faire coller texte et photos, j'ai la tête toute vide!
Aaah que voilà un beau titre !
Il me fait penser à cette pièce: " Si tu me quittes, est-ce que je peux venir aussi?"
Chris, tu t'escrimes- si je puis dire-à te montrer plus romantique allemand et désabusé que tu n'es ! On confine au cliché et au piège à filles ! Mais quel texte !
La Mami etc...
@ Mami Echevelé, tu as oublié échevelé...
je pouffe ! Oui échevelé ! Tu es un poète échevelé !
Bon, revenons-en au réel : as-tu fait un chèque pour le Sarkoton ? C'est une cause quand même ! de !Tu sais que c'est déductible à 67% de tes impôts? Donc que l'ensemble des contribuables va payer ? Une affaire, hein? Mieux que les soldes !
@ Mami Sur facebook, à mon Gran qui s'offusquait j'ai répondu: "Vous tombez très très mal, les gars, j'ai pas un sou de monnaie... Ziad, Ziad t'aurais pas dix euros? C'est pour JFC il a un souci..." Ils se comportent comme un vrai cartel.
Oui ! Sur fb j'ai vu le top 10 des meilleurs détournements sur le sujet, c'est assez drôle!
Et guère de journalistes pour dire que le CC est très majoritairement de droite et que l'Attendu ne parle pas que du meeting de Villepinte....
Non, ça ne sent pas la violette !
@ Mami Les entendre chanter L'emmerdant c'est la rose Un truc de 81... Mille neuf cent quatre vingt un c'est dire leur modernité...
Enregistrer un commentaire