Celui-là, pour avoir ramé, il avait ramé. Un cador de l'aviron, un prince de la pagaie, un roi de la rame.
Et ça ne datait pas d’hier.
Depuis toujours en vrai. Il était venu au monde là où pas une personne un peu sensée n'aurait choisi de venir. Dans le Nord du pays, ça, encore, dans une de ces familles où
l’affection circule mal, pour ne pas dire qu’elle reste en plan. Dans un de ces endroits où
l’on a pas les mots pour dire. Alors, souvent on a les gestes. Et ils ne sont pas délicats.
Dès le cours préparatoire c’était devenu
compliqué, comme si à la naissance on lui avait collé une étiquette sur le
front et pas un ou une de tous ceux qu’il avait croisé n’avait voulu s'en affranchir. Ils s’étaient tous arrêtés à elle. Partout où il avait abordé
on avait scanné sa foutu petite étiquette blanche avec écrit dessus en rouge vif : N’aime pas l’école !
Remarque pour l’avoir
détestée, il l’avait bien détestée. En long, en large elle lui était restée
bien en travers. Jusqu’à l’âge légal où il avait pu s’en sortir comme on se tire d’un bagne à la nage.
Seulement, voilà, il était
dehors et après ?
Il en avait fait des
boulots de cons, comme il disait, juste pour ne pas devoir d’argent, à personne.
Il en avait connu des chefs arrogants certains de leur impunité, il en avait
côtoyé des patrons roublards qui profitaient de la situation pour s’asseoir
largement sur le code du travail. S’il avait été amoureux, il n’avait pas
rencontré une fille avec qui fonder une famille. Mais ils étaient peu nombreux
ceux qui tentaient l’aventure. Dans l’ensemble ils étaient tous embarqués dans
une survie plutôt qu’autre chose. Alors un bébé, pour la plupart, ils n’y
pensaient même pas. Dans la grande majorité, ils essayaient juste de sauver
leurs peaux.
Puis il avait fini par en
avoir marre de l’endroit et il avait pris la direction du Sud. Là-bas les gens
y vont en vacances c’est que ça doit être bien pour y vivre toute l’année
s’était-il dit. S’éloigner de sa soit disant famille ça avait aussi pas mal
joué dans sa décision. Il avait profité entre guillemet d’un énième
licenciement pour descendre. Il y avait débarqué en automne, vers la fin
d’octobre quand les jours y sont encore doux. Il en avait été content, il
n’allait pas tarder à déchanter. Surtout que le seul malheureux boulot qu’il ait trouvé ce
soit dans les vignes. D’abord, les vendanges. Un truc à vous casser les reins,
broyer les mains, briser les nuques.
Payé à coups de pieds aux fesses. Une fois le raisin récolté, il était resté.
Alors, Il avait connu le froid mordant des jours de mistral et les kilomètres en ligne droite des vignes à tailler avec pour seule compagnie le vol des
choucas et le gel venu droit d’Islande. Les mains en sang et les soirées dans une
caravane mal chauffée à moitié branlante posée en fond de parcelle boueuse. Les fins de semaine à
attendre que la suivante revienne pour voir du monde.
Le seul truc qui le faisait
vibrer, c’était la moto. Quand il était arrivé dans le coin, il avait décidé
que s'il avait une paye il en mettrait chaque mois de côté pour pouvoir s’en payer une. Ce
qu’il avait réussi à faire en quatre ans. Il s’était privé sur pas mal d’autres
choses mais sur celle-là, il avait tenu bon. Il avait acheté une occasion un peu déglinguée, une
vraie belle anglaise, une Norton commando huit cent cinquante de 74. Une
merveille de bicylindre en ligne quatre temps qui lui coutait les yeux de la tête en pièces. Elle était magnifique et on commençait à la connaître dans
le pays. On savait où il était, où il allait quand il était dessus. Au bruit. Il avait tout remis en marche lui même. Du kick aux rayons. Il était devenu tellement pointu qu'il avait fini par faire des piges puis se faire embaucher chez le concessionnaire d'anglaises de la région comme mécanicien. Comme il était compétent, bosseur et débrouillard il n'avait pas tardé à passer mécano préparateur et enfin chef mécanicien.
Il n'allait pas au boulot, chaque matin il montait au paradis. Avec ça était venu le salaire qui lui avait permis quitter les apparts pourris et de louer une petite maison dans un lotissement au pied du Ventoux.
Il n'allait pas au boulot, chaque matin il montait au paradis. Avec ça était venu le salaire qui lui avait permis quitter les apparts pourris et de louer une petite maison dans un lotissement au pied du Ventoux.
Son plus grand bonheur, après une journée de boulot bien crevante, après avoir pris la douche, était d’enfourcher son engin et de se faire la montée du Ventoux, le soir au
couchant. Il restait là haut une heure ou deux, s’enfilait une bière ou deux
qu’il avait glissées dans sa sacoche avant de partir puis il redescendait dîner
le plus souvent par l’autre versant.
C’était ce qu’il était
parti faire ce beau soir du début d’Aout. Il y était allé doucement au départ
puis après le long gauche du chalet Reynard, il avait ouvert davantage. Le haut
n’était plus très loin.
Il allait y
parvenir. Sur sa gauche une bande de nuages très aplatie allait laisser
ressortir les derniers rayons du
soleil.. En bas, tout au loin, la plaine s’inondait d’une pluie fine d’or fin.
Il était émerveillé de ce spectacle. Il en oubliait de regarder devant lui…
C’est sans
doute pour cette raison, ont dit les sauveteurs, qu’il n’a pas vu le vélo descendant vers lui à pleine vitesse…
La Provence.com.
Ventoux: deux morts dans une collision.
PUBLIÉ LE VENDREDI 02 AOÛT À 23H26.
Deux hommes ont perdu la vie ce soir, vers 19h30, sur les flancs du Mont Ventoux. Il s'agirait d'un cycliste et d'un motard qui se seraient percutés de plein fouet à environ trois kilomètres du point culminant. Ils sont décédés sur les lieux.
11 commentaires:
Monter... et des cendres.
o_O
@ Michel Oui, Michel coup sur coup! Deux belles! Bravo!
du coup, ils ont eu qu'à lui décoller l'étiquette du front pour la lui mettre au poignet...
Marie
@ Marie N'aime pas les cols? C'est ça?
@ Marie PS Coeur de granit!
Et dans le Dauphiné, ils parlent du moustique qui s'est noyé dans une flaque d'hémoglobine ? Encore que là haut, ils n'encombrent pas les routes...
@ M Non, non, dans le Dauphiné c'est la même brêve!
Coeur de granit ? Granit-smith alors !
Marie
@ Marie :O))
Tout ça pour ça ...Dur quand même ...
@ Brigitte C'est aussi la vie qu'est dure, parfois...
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