Pour les impromptus littéraires. Le thème imposait de citer les quatre points cardinaux.
On faisait du bon Nord
depuis environ une semaine quand c’est arrivé. En plein après-midi, d’un coup
pendant qu’on dormait ou pas loin. Il faut dire qu’il faisait une chaleur accablante.
Heaven’s, une goélette de belles lignes au roof en acajou, filait bon train sous pilote. Et pour une fois, aux dires de Paul le skipper
dans ce coin, c’était plutôt rare. Enfin, ça tapait bien un petit peu mais
après les endroits où nous étions passés, après avoir connu ce que nous avions
connu, rien de bien méchant. On faisait désormais partie de ceux qui en ont vu
d’autres. Et ça nous plaisait. L’un était affalé en bas sur sa couchette et
ronflait, l’autre alangui sur le pont sur un matelas de mousse, le troisième
tout à l’avant du bateau faisait… essayait de faire une lessive et moi, j’étais
à la barre mais je ne touchais à rien, je lisais. Je levai bien de temps en
temps la tête pour jeter un œil sur le mat, pour qu’il ne pense pas qu’on ne
s’occupe pas de lui, qu’il ne se vexe pas mais en vérité, je me la coulais franchement
douce. Je crois même qu’il m’arrivait de m’endormir de temps en temps.
A ma décharge, nous étions
sur le chemin du retour et la tristesse commençait gentiment à nous saisir les
chevilles. Nous devions rentrer mais aucun de nous n’en avait vraiment envie.
Nous venions de passer les dix mois les plus merveilleux de notre existence.
Dix mois entre mer et ciels, dix mois entre gens de belle compagnie, dix mois
hors du monde et des ses tragédies épouvantables. Dix mois d’autruches…
Donc tout ce petit équipage
naviguait tranquillement, en pères peinards… quand c’est arrivé. Ça n’a pas
duré très longtemps, ça a même été plutôt bref, mais d’une violente et terrible
intensité…
En quelques secondes, avec
ce chambardement, ils étaient revenus au monde, ils avaient tout déballé et ça
n’avait pas été joli joli à entendre. En moins de temps qu’il n’en faut pour
l’écrire, ils avaient refait surface au monde réel et à ses tragiques vérités.
Plus rien ici ne serait comme
avant… Tout était laminé, broyé. Il avait fallu qu’il l’ouvre. Du dedans du
bateau. Il lui avait suffi de deux trois phrases pour mettre le feu aux
poudres. Il savait bien pourtant qu’il valait mieux se la fermer, mais non, il
n’avait pas pu s’empêcher de parler. Il s’était tenu jusque là et puis ça avait
été plus fort que lui, il avait lâché…
Et voilà l’affligeant
résultat.
Tout était bouleversé. Le
fragile équilibre s’était bel et bien cassé la gueule dans un fracas
tonitruant. La preuve c’est que chacun allait reprendre sa route et repartir
d’où il venait mais avant cela il faudrait accoster. Unanimement ils ont décidé
très vite de faire de l’Est pour en déposer trois sur l’archipel le plus proche
seulement distant de quelques miles. L’un remontera vers le Nord, deux
redescendraient au Sud. Tous finiraient
le voyage dans un silence glacé, ils n’échangeraient plus rien. Mais désormais
le silence serait lourd alors qu’il y a quelques jours, il était encore fait de
plume. Le bateau, lui regagnerait l’autre continent en tirant de l’Ouest barré
par un homme seul.
Ainsi, ce qui avait été une
belle aventure finirait dans un souffle éparpillée, dispersée, fragmentée comme
au cœur d’une explosion terrassante.
Les quatre ventilés aux
quatre coins de la terre.
A jamais irréconciliables.
On avait récupéré le bateau
vide, un mois après, drossé sur les côtes. Sans doute avant de passer par
dessus bord en plein océan, le dernier qui restait avait écrit une énigmatique
dernière phrase sur le livre de bord qu’on avait retrouvé enveloppé dans un sac
étanche:
6 commentaires:
Franc-maçons trois points
Cardinaux quatre
Chacun son compte
Un point c'est tout
Dur dur le retour ...
Ben voilà ! Ciselé... J'étais perplexe :-)
Ne pas confondre Dix mois et Dis nous !
@ M Ce qui est bien c'est qu'ici on peut y revenir et y travailler... Le premier manquait sans doute de pistes... Ici, j'ai semé davantage de petits cailloux...
Oui, je crois voir les petits cailloux: ce ne sont pas nos 2 kayaks sur la Dordogne?!Une stupide dispute? Ah Chriscot, tu en fais une tragédie ordinaire avec beaucoup de réalisme! Tu redonnes un peu d'épaisseur humaine à cette triste médiocrité: c'est gentil et c'est de l'art!
Tu nous sauves de la malveillance!
Pétard ,qu'est-ce qu'on aurait envie de râler sur eux sinon !!!
Mamy
@ Mamy Merci merci Mamy que cette douce bienveillance m'est pommade :-)
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