Pour les Impromptus de la semaine, il fallait écrire à partir de: poussières et balais...
Ils sont là, les têtes
baissées, presqu’en cercle sous une pluie violente et glacée, une de début
Novembre. Ils sont là sur un parking de cimetière, entourés d’immeubles, au
cœur pollué d’une banlieue sinistre d’une ville sans âme. Ils sont quatre, ils
sortent comme allégés d’un crématorium (Quel joli mot qui vous a un petit côté caramel...). L’un allume une cigarette, deux qui
peuvent être jumeaux se parlent en douce, l’une, la plus jeune, toute de noir
vêtue tient entre ses deux bras une urne funéraire contre laquelle elle semble
se réchauffer. L’un, l’ainé sans doute, celui de la clope, dégoulinant de
flotte, les épaules trempées, dans un souffle, parlant assez fort pour couvrir
le bruit des gouttes sur les capots des voitures :
__ Ah ça on peut pas dire,
elle nous aura bien fait chier jusqu’au bout.
__ Un peu de respect quand
même fait l’un des deux sans trop y croire.
__ Quoi dis moi que j’ai
tort ? Calancher en Novembre alors que ça fait deux ans qu’on attend, elle
n’aurait pas pu faire ça en Juin ? Au moins on se les gèle pas, en Juin. Et puis si un jour on m'avait dit que je devrais casquer pour la récupérer, merci bien...
__ Arrête, c’est notre mère
malgré tout, tu pourrais modérer… Au moins aujourd’hui…
__ Notre quoi, as tu dit ?
Notre mère ? Elle ? Ah ça si il y a un truc qu’elle n’a jamais été
c’est bien notre mère ! Tu as vu où que c’était ça une mère ? Qui t’as élevée, toi ? C’est elle ou c’est
moi ? Notre mère ? C’est la meilleure de la journée ! Il faut
que je te rappelle tous les soirs de toutes les semaines de tous les mois de
toutes ces années où elle foutait le camp, où elle disparaissait dans les valises
d’un type de passage et qu’elle nous laissait seuls au monde à nous démerder avec rien. Combien de
fois elle t’a emmené en vacances, ta soit disant mère ? Combien de fois
elle est venue te chercher à l’école ? Combien de goûters t’a-t-elle préparés ? Combien de chansons
pour s’endormir elle t’a appris ? Combien de fois es-tu allé quelque part
avec elle ? Cette femme là, elle vivait de temps en temps avec nous, de passage. Entre
deux hommes, entre deux boulots, entre deux amours. Tu te rappelles que notre
père en est mort de chagrin et qu'on s'est occupé de tout parce que Madame était ailleurs ? Tu t’en souviens de ça ? Dis ? Tu
sais Prune il y des choses qu’on ne peut pas oublier. La seule chose un peu
jolie qu’elle t’ait donnée cette femme là, enfin ce qu’il en reste et que tu
tiens dans tes bras, c’est tes yeux verts. Pour le reste tu n’as rien reçu
d’elle, pas même ton prénom. Prune c’est moi qui t’a appelé
comme ça. Elle, figure-toi qu’elle avait choisi Cindy. Alors,
tu vois bien. Je n’exagère pas, je ne dis pas du mal, je ne charge pas la
barque, je fais le bilan. Et il n’est pas très jojo le bilan, si tu veux mon
avis. Et ne va pas t'imaginer qu'elle nous a donné davantage à nous trois. Elle a été équitable. Nous avons reçu exactement la même chose que toi, c'est à dire, rien.
Les deux autres qui
n’avaient rien dit se sont approchés d’elle, ils ont entouré Prune de leurs bras solides et
lui ont soufflé à l’oreille :
__ Il a raison tu sais.
C’était pas une bonne mère parce que ce n’était pas une mère. Regarde, elle ne nous a
rien laissé d’autre que quelques dettes et deux, trois manteaux pourris. Tout
ce qu’on possède aujourd’hui, le petit peu qu'on a c’est à nous que nous le devons, pas à elle.
L’un a essuyé une larme qui
venait de naître au coin de l’œil de Prune et puis il a lancé :
__ Bon, si on rentrait, maintenant ?
Ils se sont engouffrés dans
la bagnole et sont partis sur les chapeaux de roues. Pendant le trajet, ils ont
gueulé ensemble sur un truc qui passait à la radio, qu’ils aimaient chanter à
tue-tête. Pour une fois ça tombait bien. Et puis, ils ont ri, aussi.
Arrivés chez eux, ils se
sont un peu bousculés dans l’entrée et Prune a lâché l’urne qu’elle tenait dans
les mains. En tombant, en arrivant au sol, elle s’est ouverte et une bonne
partie du gris des cendres s’est répandue en pluie fine sur le lino blanc de l’entrée...
__ Oh merde !
Prune a filé dans la cuisine.
Elle est revenue un balai et une pelle à la main.
Alors, l’ainé dans un éclat
de rire a lancé :
__ C’est le comble : Elle
qui a toujours détesté tout ce qui est ménage, de près ou de loin, finir dans une pelle… En cendres et poussières, brossées par les poils d’un balai. Quelle
misère. C’est à pleurer.
Les trois autres étaient pliés.
Au bout d’un moment d’une
petite voix mais toute ferme, à genoux:
__Va chercher l’aspi, tu
veux, a dit Prune, je m’en sors pas avec la pelle…
20 commentaires:
C'est quand même drôle de découvrir les associations d'idées qui ont fait naître en toi ce récit. Poussière et balais ... J'avoue que je ne m'attendais pas à la chute !!
@ Laurence Parfois dans une vie un grand coup de balai peut-être nécessaire :-)
Elle n'y va pas avec le dos de la cuillère,
Prune ! Ni toi de main morte...
@ M Oui, M Bravo :-)
Il bien torché ce coup de balai, bravo !
Question inspiration, on voit que Novembre approche à grands pas.
Pour le reste c'est vrai que toutes les femmes n'ont pas la fibre maternelle.
Pareil pour les hommes d'ailleurs ; il n'y a pas que des mères indignes.
Petite remarque en passant, les crématoriums ne sont plus autorisés à rendre les cendres à la famille, vu qu'il est désormais interdit de les garder chez soi.
Autrement dit, on est obligé de casquer pour les entreposer dans un columbarium, ou pour les disperser en mer, ou dans un "jardin du souvenir".
Car il est également interdit de les balancer en pleine nature.
@ Tilia Merci aussi pour les précisions... Vrai que je ne suis pas bien au courant de comment ça marche!
Terrible et tellement possible aussi !!!
Belle semaine quand même
@ Brigitte Terrible! Oui.
Oh my God !
Un billet glacial, grinçant et décapant qui me fait froid dans le dos :((
C'est la saison des feuilles mortes, des souvenirs et des regrets qu'on ramasse... "à la pelle" !... Sous la neige, la pluie, comme sous le soleil de "L'Étranger", la mort, les enterrements, comme les crémations, en hiver comme en été, c'est jamais le bon tempo : souvent trop tôt, toujours trop froid ou bien trop chaud...
Quelle que soit la vie dure que ces grands mômes dégoulinants de pluie et de larmes reprochent à la mère de leur avoir procurée (hormis les jolis yeux verts légués à Prune => Merci, Maman !), leur amertume et rancœur implacable fait mal aux tripes.
De A à Z, la scène est bien campée : [...] "sur un parking de cimetière, entourés d’immeubles, au cœur pollué d’une banlieue sinistre d’une ville sans âme" [...]
Hystérie collective souvent vécue, dans ces moments de survoltage, qui fait passer des larmes au rire...
Tout y est. C'est parfaitement écrit et décrit. N'empêche que, une trop belle plume, c'est parfois dérangeant, sombre, scabreux, voire cynique... :((
Dans le rite religieux du Mercredi des Cendres, il est rappelé à chacun des mortels la vanité de l'existence : "Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière"... Il n'est pas question d'occulter la mort, ni de l'expédier à coup de balai - ou d'aspirateur ! - pas plus, du reste, que de lui réserver des obsèques "de deuxième classe", ou de lui accorder, à l'inverse, selon le rang, des funérailles en "grande pompe"...
En dehors de considérations religieuses, la rėserve apportée pour la conservation des cendres chez soi vise, sans aucun doute, à ne pas laisser libre le triste choix d'expédier les cendres de sa mère - ou de quiconque - d'un simple coup de balai... :( Les pelles, les balais et les aspi, c'est fait pour les ordures et la poussière... Pas pour la poussière d'homme !
Les cendres, ça se respecte...
@ Odile Quand j'ai lu le thème c'est balais et poussière c'est ce qui m'est venu d'un trait! Jusqu'au prénom de Prune. Ce n'est qu'après que j'ai eu à la conscience que Prune c'est voisin d'urne! C'est amusant le cerveau n'est-ce-pas!
C'est sacrément écrit et géniale la chute. Cet aspi là, en avalant la poussière, crache son venin.
@ Slev Content de te lire ici! Il vous a décoiffés sévère ou pas?
Je t'avais lu sur le site des Impromptus, je te retrouve ici. Ce qu'ils y ont gagné, ces quatre révoltés en deuil, c'est quand même une solidarité fraternelle. Il a assuré, le frère aîné, et il a donné aux plus jeunes l'attention que la mère n'a pas su donner. Alors oui, un coup d'aspi, ça me va, et je suis sûre qu'il en feront une histoire drôle qu'ils se raconteront à l'avenir.
Cela dit je savais comme Tilia qu'on n'a plus le droit aujourd'hui de repartir avec son urne sous le bras pour l'emmener chez soi.
Bon, la prochaine fois tu nous fais une histoire gaie ?
@ Nathalie J'essaie, tu sais à chaque fois ça devrait partir bien et puis je ne sais pas pourquoi ça se gâte en route! Je me demande! :-)
Mais oui, il y a l'amour de ces quatre là et la force de l'aîné qui a tout pris en mains...
C'est tragique, c'est drôle, c'est bien écrit. Un vrai bonheur de lecture. Petit détail, les cendres d'un défunt sortant du crématorium, sont grises.
Belle soirée, et à bientôt.
Amitiés.
Roger
@ Roger Dautais Merci, merci pour... Tout :-)
çà a du être une très mauvaise mère alors ... pour en arriver là !
moi, je suis pour le pardon ... parfois !
@ Véronique
Sans doute a-telle fait comme tout le monde, comme nous tous: Ce qu'elle a pu, avec ce qu'elle avait reçu...
Oui au bout du compte, le pardon.
c'est ce que je dis moi aussi, souvent à mes enfants " j'ai fait comme j'ai pu, tout ce que j'ai pu " pas toujours bien j'en suis bien certaine ... ils comprennent mieux je crois, maintenant qu'ils sont parents à leur tour !
@ Véronique De toutes façons, on ne fait jamais BIEN et heureusement! On fait comme on peut!!!
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