Il s’est levé vers les huit
heures trente. Il était beaucoup moins pressé qu’avant maintenant qu’il avait
perdu son boulot. Ce sentiment de solitude alors qu’il savait qu’il n’était pas
le seul. Et de loin. Surtout dans cette partie du centre de la France. Tulles
en Corrèze où l’emploi était depuis
quelques années une denrée rare. Un sentiment doublé de celui terrible d’être
abandonné. De tous. Ou presque.
Il a écouté les infos sur
son poste déglingué acheté chez Emmaüs. Elles étaient comme les autres jours.
Mauvaises.
Du temps où il avait une
famille, ils vivait dans un petit pavillon d’écart de ville, acheté à crédit.
Bien sûr les fins de mois étaient difficiles mais au moins, il y en avait.
Maintenant c’est dur dès la
première semaine. Et puis ce foyer. Pardon. Pour le confort et l’intimité,
pardon. Ce n’était pas l’endroit idéal. Sale et bruyant. Un endroit pour les
pauvres, en fait. Depuis qu'il l'était devenu il avait fini par remarquer qu'ils sont toujours, ou presque, partout ou presque installés dans des endroits
sales et bruyants. Cette étrangeté était quasiment universelle.
Ce qui l’énervait le plus,
ce qu’il n’arrivait pas à comprendre c’est comment cette situation
insupportable, était, dans tout le pays,
si banalement acceptée. Comment tous et chacun s’accommodaient de cette misère
latente qui peu à peu gagnait le pays, comment l’ensemble de la société
restait paisible malgré les annonces
sans cesse répétées des licenciements, des fermetures d’usine, des plans de
restructuration, de ces foules entières mises au chômage, autant dire balancées
à la trappe, jetées en pleine mer, sans grand espoir de retrouver un boulot un
jour, comment tout le monde se satisfaisait de ça. Comment aucune révolte ne
semblait sourdre. Ça oui, le choquait profondément.
Mais aujourd’hui était un
jour un peu spécial. Il allait à un entretien d’embauche. Le premier depuis six
ans.
Aussi, quand on lui a
proposé de porter une pancarte et se balader en ville quatre heures par jours
pendant une semaine pour célébrer l’ouverture d’un restau indien en centre
ville, entre parenthèses s'il a trouvé quelque peu ironique de devenir
homme sandwich pour ne plus avoir faim, il n’a pas hésité bien longtemps. Il
n’a pas pensé humiliation, il a juste calculé que cette modeste paie, lui
permettrait, ce mois-ci, d’au moins payer son loyer, à peu près, en temps voulu.
Et puis, dans sa situation refuse-t-on deux repas au restaurant ? Fût-il indien? Le
salaire, (en était-ce un vraiment ? Une aumône?) n’était pas merveilleux, mais en
attendant un miracle…
En signant le contrat il a
souri en pensant :
Indien vaut mieux que Dieu... Tulles l’aura.
7 commentaires:
"devenir homme sandwich pour ne plus avoir faim".
Ventre creux et plein le dos : ouble et triple ironie de faire la pub pour un restau indien... Dur à avaler, pour un crève-la-faim ! De quoi devenir boit-sans-soif...
Double ironie
@ Merci Odile! Double ironie pour une histoire malheureusement si simple!
"Ce qui l’énervait le plus, ce qu’il n’arrivait pas à comprendre c’est comment cette situation insupportable, était, dans tout le pays, si banalement acceptée."
Qu'ajouter ?
Pour la forme, en voilà une consigne qui n'a jamais aussi bien été blackboulée !
@ M Merci M! Oui, je lui ai mis une petite claque à la consigne mais c'est affectueux!
on dit pas Un claque ? mettre son claque à la consigne ?
bon retour au boulot.
Marie.
@ Marie Un claque c'est un haut de forme... Un chapeau claque. C'est aussi un bordel il me semble...
Merci pour tes voeux, ce sera pour demain.
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