Le type avait du mal à s’en
remettre. Il venait de vivre la journée la plus épouvantable qu’il avait jamais
vécue depuis qu’il avait commencé ce boulot. Des journées délicates, il en
avait connues mais à ce point, jamais.
Elle n’avait pourtant pas
trop mal commencé.
Le matin, à la prise de
service, son chef de salle, un gars correct, ni bienveillant, ni vachard, avait
accepté de le libérer le soir à condition qu’il reste un peu après le service
de midi, ce qu’il avait accepté de bonne grâce. Rien n’est gratuit dans ce bas
monde pas même dans les restaurants du haut du panier s’était-il dit mais dans
ses lèvres pour ne pas rompre la douce harmonie qui avait suivi cet échange.
Cela faisait maintenant dix
années qu’il bossait dans cet établissement et c’était une performance tant les
gens avaient souvent tendance à aller
venir. Et plutôt aller que venir, du reste mais on se figurait ici qu’il
suffisait de les embaucher pour qu’ils soient contents. Il fallait les payer,
aussi. Surtout quand on n’était pas très regardant sur les horaires ni sur les
heures supplémentaires qu’on considérait avec des oursins dans les poches.
L’excellence était réservée aux clients, pas aux employés. Un mauvais calcul
que tous ou presque semblaient faire.
Bref, il lui avait filé sa
soirée. Et l’autre en était ravi.
Malheureusement, le midi,
il y avait eu cet esclandre table neuf, pendant lequel un des clients avait
balancé le saladier entier de lentilles du PUY sur la tête d’un autre.
Typiquement le genre d’incident qu’on déteste à peu près autant qu’une attaque
de salmonelle. Un vrai bazar. Il avait fallu nettoyer le ruisselant, porter sa
veste en urgence au pressing, nettoyer le champ de bataille, la moquette en
avait pris un coup. Une fois sa veste récupérée, l’autre était parti sans même
un merci, quant à un éventuel billet, il
pouvait oublier de suite. Ce qu’il a fait. Ça ne s’était pas arrangé quand le
chef de salle était revenu sur sa parole en lui balançant simplement :
___ Quand on n’est pas
capable de tenir ses tables on ne peut pas se faire la belle.
Qu’il n’y ait été pour rien
n’avait pas changé sa décision. Il serait attendu pour le service du soir. Et
si tu n’es pas content ton compte sera vite réglé. Avait-il ajouté, menaçant.
Voilà comment dix ans de
travail sérieux sont récompensés. Plus que déçu, il avait été meurtri. Et la
colère était montée. À celui là, il réservait un chien de sa chienne… Une
salière se vide assez vide dans un plat qu’on s’apprête à servir.
Il s’était déjà une fois ou
deux servi de cette arme, son efficacité était redoutable… En retournant à son service, il avait
murmuré :
Ah tu me sucres ma soirée…. T'inquiète, tu y auras droit et je te la promets salée... mon pépère…