Nous avions, obligés par le temps, décidé de lever le
pouce. De mettre le holà, d’arrêter ce qui avait fini par nous procurer plus de
déplaisir que de bonheur. Nous avions mis du temps à accepter cette décision
parce que nous avions fait comme les autres, comme tous les autres, depuis tout
le temps : nous avions tenté de faire durer, encore, un peu. Nous nous étions
échinés à nous raccrocher aux branches, du moins à celles qui dépassaient.
C'est-à-dire que nous avions fini par vivre dans le passé, dans le temps des «
Tu t’rappelles » et des « tu t’souviens », dans celui des premières semaines où
tout glissait où rien ne faisait accroc où le temps lui-même n’était pas
compté. Chacun pour soi, chacun dans sa bulle, chacun dans sa mémoire. Désormais,
nous ne partagions plus rien, pas même les souvenirs. Les siens n’étaient pas
les miens. Et quand on commence ainsi à ne plus se souvenir des mêmes choses
c’est que le silice a grippé la machine. Nous ne savions pas comment ça avait
commencé à merdouiller gentiment, mais le fait était là. Et nos épaules
n’étaient plus assez larges pour supporter le poids de tout cet ennui naissant,
ni de la crainte de ce qui nous attendait.
Oh, bien sur qu’on en était désolés, bien sur qu’on
aurait préféré le contraire mais il nous avait fallu nous rendre à cette
terrible évidence : plus grand-chose ne nous attachait l’un à l’autre. Nous
nous étions lassés, fatigués, épuisés, englués.
Parfois, il nous était arrivé d’échanger à ce propos
pour essayer de comprendre comment cela avait pu nous arriver. A nous. Nous
pensions tellement que nous n’étions pas comme les autres, nous nous croyions
tellement plus forts, tellement plus liés, tellement plus solides. Nous avions
tort.
Tout ce gâchis…
Nos débuts avaient été si prometteurs… Ces toutes
premières semaines à perdre la notion de l’heure, puis du jour puis des
semaines… Ces longues soirées passées à ne rien nous dire, allongés sur un
hamac à même le frais de la nuit… Tu te souviens c’est toi qui a proposé de
dormir dehors… Ah mais non, j’ai suivi ton idée qui n’en n’était pas une bonne, du
reste. Ce sont les moustiques qui, eux, s’en sont donnés à cœur
joie… Ces matinées, volets grands ouverts pour laisser le chaud nous éblouir,
ces siestes d’après petit déjeuner où le sommeil remettait le couvert… Ces
bains au Partage dans la fraîcheur des perles… Ces fins d’après-midi à guetter
l’heure du premier verre d'alcool… Ces pans entiers de journées passés à vivre, juste vivre,
lire, manger, dormir, s’aimer, sentir, voir, écrire, photographier, marcher, se
baigner… Ces jours complets à chercher l’ombre et le sombre… Ces heures passées
à être. À être soi et plus ce personnage du centre de l’écran. Nous allions, la
séparation effective nous retrouver à nouveau dans la lumière et le bruit, dans
les rôles et la fatigue… Le cirque allait reprendre. Dans quelques jours,
quelques heures, le décompte était amorcé. Je n'arrivais pas à en trouver un ou
une que cela ravisse, qui soit heureux de ça, qui envisage cette échéance avec
plaisir, envie, attente heureuse... Tous ceux ou presque que je croisais étaient
à peu de choses près dans le même état et espéraient un évènement particulier
qui nous sortirait de là, qui empêcherait que cela arrive, ou bien qui
repousserait un peu la date. Mais ils savaient bien, et moi avec, qu’il n’y
avait rien d’autre à faire qu’à le vivre le moins mal possible. Et pourtant,
secrètement nous nous disions : On ne sait jamais… Si cette année, pour une
fois, juste une fois… Juste un septembre à Ré, quatre petites semaines de rien
dans cette île encore tiède de l’été, revenue au calme de jours plus courts,
évidemment mais d’une telle sérénité… Ses aubes tranquilles et ses douces
après-midi… Juste ça. Une fois, dans notre vie…
Au lieu de ça, nous allions devoir remettre nos
montres à l'heure et aux poignets, enfiler nos costumes gris de fonction, faire
attention à notre rasage, être à nouveau tenus, serrés, engoncés, rigides... Nous allions devoir donner, donner encore,
pressés comme des agrumes... Nous allions devoir nous surveiller, nous contraindre, nous
gendarmer, nous battre...
Ainsi, donc, nous en étions arrivés là nous deux: Nous allions nous
séparer.
Nous allions devoir rentrer. Les vacances et moi, c’était terminé, rincé, fini.
6 commentaires:
Alors là si tu crois que je vais sourire, tu as raison ! Bonne rentrée à toi :-)
@ M Pour l'instant ça se passe bien, je ne suis pas affecté... Au propre et au figuré...
Et les grandes vacances définitives ? la retraite, c'est pour quand ?
@ Tilia Les définitives? Le plus tard possible. La retraite Pfoula j'en suis loin encore c'est que je suis si jeune...
Tu m'as bien eue, bravo, j'y ai cru jusqu'au bout. :)
@ Pastelle Chui ben content que ça marche!
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