Oui, comment ? Après tout ce temps ? Voilà au moins deux ans
que je n’ai pas entendu le son de ta voix, j’ai dit.
Bonjour a-t-elle poursuivi, agacée.
Oui, bonjour, bien sûr mais, c’est que je suis surpris que ce soit toi qui appelles.
Je ne m’attendais pas du tout à entendre le son de ta voix.
Nous nous étions rencontrés dans
un restaurant végétarien et quinze jours après je l’avais suivie dans un de ces
stages d’été où pendant une semaine on allait se refaire la cerise bio et se
débarrasser des toxines de l’hiver. C’est ce qui avait causé notre perte en
tant qu’association. Ça se passait dans un hameau perdu au cœur de l’Ardèche
profonde. Ils avaient baptisé subtilement l'endroit : "Les bidons des sens", très drôle. C'était ravitaillé par des corneilles malades et toute la
journée on y buvait des infusions de serpolet en regardant la ligne des
montagnes au loin d’un air inspiré. Il y avait deux activités par jour du genre
mandala et conscience, cri primal et psychogénéalogie, toilettes sèches et
panneaux solaires, vous voyez le genre. Une semaine suffisait amplement même
tronquée de deux trois jours. Surtout que le cadre était magnifique et que
personne ne faisait l’appel dans les différents ateliers. Si tu voulais
t’offrir une semaine de siestes sous les châtaigniers, si le temps le
permettait, tu pouvais. Et comme dans ces coins là il fait un temps plutôt
clément, tout devenait plus facile. C’était mon cas et personne ne m’emmerdait
ce qui, somme toute, était cohérent avec le thème de la semaine. Ne pas
s’emmerder la vie. J’avais atterri ici en compagnie de Josiane qui, à dire vrai
m’avait vendu le séjour, entre autres avec piscine et chambres individuelles.
Parlons-en de la piscine. C’était une simple bâche agricole en plastique noir
posée dans un trou et remplie d’eau. On n’avait de l’eau pas plus haut que les
genoux. Pour s’y tremper entièrement il fallait s’allonger en chien de fusil ou
à plat ventre. Il n’y avait bien entendu aucun système de nettoyage, la bâche
était vidée tous les lundis ils arrosaient le potager méga bio avec la flotte
utilisée et remplissaient le trou le lundi soir. Roule pour une semaine. Même
les moustiques se retenaient d’y pondre. Heureusement qu’à un kilomètre du
hameau, en contre bas il y avait une rivière un peu propre et pas mal courante.
Il fallait avoir le courage d’y descendre, d’en remonter et n’avoir peur ni des
ronces ni des algues, ni des couleuvres d’eau, voilà tout. Nous avions fini par
nous engueuler parce qu’un soir, je n’avais pas voulu assister à une conférence
dont le thème était : Du nucléaire à la bougie, itinéraire d’un non progrès.
Depuis le temps qu'on aurait dû s'y coller, qu'attendaient-ils pour entamer le virement de bord?
Depuis le temps qu'on aurait dû s'y coller, qu'attendaient-ils pour entamer le virement de bord?
Et nous avions terminé le séjour à bonne distance l’un de l’autre. Nos
routes s’étaient séparées et je n’en avais pas souffert. Je n’avais plus eu de
ses nouvelles jusqu’à ce coup de fil.
Comment vas tu ? J’avais dit, faussement enjoué.
Ce n’est pas que je n’étais pas content de son appel c’est surtout que je
n’en voyais pas la raison.
Je me doute que tu te demandes pourquoi je t’appelle.
Je n’ai jamais rien pu te cacher, j’ai juste pu répondre. Ce qui était
vrai. Il arrive dans la vie qu’on croise des gens pour qui on est transparent.
Ils lisent, on ne sait où, ce que l’on pense, et parfois, plus fort, ce qu’on
va penser.
Au début d’une histoire amoureuse cela peut-être amusant voire
enthousiasmant mais après une certaine durée ça devient agaçant, puis furieusement
énervant. Et enfin définitivement assommant. Nous avions franchi ce cap depuis
belle lurette, elle et moi. À transparaitre, je n’existais plus.
Elle a continué : Je sais que tu t’es mis au yoga par ton blog,
figure-toi que je te lis, moi. Ce qui entre nous était une réflexion totalement
inutile puisqu’elle n’écrivait pas, elle.
Et je cherche un cours, moi aussi. Alors je me suis dit que le mieux
serait de t’appeler. Rassure-toi, j’ai bien compris que nous n’étions pas fait
pour vivre ensemble. Il ne suffit pas de s’aimer bien.
Décidément, j’avais eu raison de mettre un terme à cette relation, je me
suis dit. Cette fille est folle, j’ai
poursuivi dans ma barbe. Elle me parlait en reprenant des paroles de chanson.
Je n’avais pas du tout l’intention de la croiser entre deux postures.
Je lui ai menti que le cours où j’allais ne me convenait pas du tout, que
le yoga ne m’allait pas non plus et que d’ailleurs j’allais arrêter parce que
je m’étais brisé le dos à tel point que
je sors à peine de l’hôpital et que je n’ai pas l’intention d’y retourner et
que si c’est ça qu’elle cherche elle aussi, elle n’a qu’à s’inscrire à ce cours
ce que je ne lui conseille pas du tout, même si j’ai été ravi de t’entendre et
s’il te plait ne me rappelle plus je crains de ne pas te répondre si je vois
que c’est toi qui a composé mon numéro est-ce-que nos routes peuvent désormais
se séparer ?
Oh toi tu as rencontré quelqu’un qui t’intéresse là-bas, c’est pour cette
raison que tu ne veux pas m’y voir…
Transparent vous dis-je.
Ne t’inquiète pas, je ne vais pas venir déranger dans ta petite vie si
c’est comme ça. Puisque notre conversation, et notre relation prennent cette
forme je te quitte. Sblang.
Et elle a raccroché. Ouf en voilà une qui tenait à avoir le dernier mot.
Je te le laisse j’ai dit en regardant fixement l’appareil.
C’est qu’il me restait quelques postures à voir dans mon programme
accéléré. Je me suis demandé si ça se voyait tant que ça que j’avais un faible
pour Vimala ?
D’ailleurs en avais-je un, vraiment ? Je sais combien j’étais
capable parfois d’être comme tous les autres à se mentir soi-même et ne pas
vouloir voir l’évidence qui, pourtant, crevait l’écran.
Voilà deux bonnes questions à laquelle je devrais vite apporter une
réponse, je me suis dit en m’attaquant à la posture de l’Angle endormi ou Supta
Konasana…
10 commentaires:
et en plus, je suis certaine qu'il y a pour de vrai ce genre de stage de remise en forme et que vous n'avez absolument pas exagéré (c'est à se demander si vous ne l'avez pas fait ! mais non bien sûr, je suis bête, tout ça sort de votre pure imagination ! ) !
pauvres de nous ... "du nucléaire à la bougie " sujet d'actualité mais tout de même, faut pas pousser :o(
bref !
dites moi, notre héros semble vouloir persévérer .. il est courageux ! vraiment courageux !
@ Véronique Sait-il seulement où il va?
C'est très drôle ! Je vais lire la 6ème séance,que j'ai loupée je crois.
Papy René
@ Papy Si Papy aime, alors... On approche de la fin quand même encore un épisode et bim, la fin.
Je ne suis pas Ponson. :-)
Force est de constater que notre héro est fort vaillant à se battre sans arrêt contre l'adversité, les mauvaises ondes (l'univers, presque ! Espérons que Gisèle n'ait pas tout à fait tort mais j'ai un léger doute)...
Vivement la première séance (huit) qu'on sache enfin si le ciel se dégage !
@ M Mais se battre contre tout, c'est la vie qui veut ça! Heu huit ce sera la deuxième séance... Pour l'instant il n'en a vécu que le début d'une et après il s'est blessé... Enfin si je me souviens bien! :-)
Heu, une petite tisane au serpolet ? C'est le titre de la nouvelle ou je rêve ? La vie, la vie .... Heureusement qu'elle a aussi ses bons côtés !
@ M Alors je n'ai pas raison? Mince! Oui, oui, elle a des bons côtés mais ils sont rares et donc assez chers. Il faut vite en profiter...
Ah zut déjà la fin ,j'veux bien une tisane moi ...
@ Brigitte Au serpolet?
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