Depuis le temps que j'en avais les oreilles rebattues, qu'on en entendait parler ici ou là, qu’on nous en vantait ses
bienfaits et ses mérites, qu'on nous le vendait comme une panacée, bref que j’en avais attrapé l'envie, je m’étais enfin décidé. J’avais très vite, pour de
vagues histoires d’argent, renoncé aux cours donnés un peu à l’écart de la ville
dans la vaste et lumineuse chapelle d’une très ancienne abbaye cistercienne
transformée en CIR, Centre International de Rebirth, un complexe d’hôtel grand luxe
et restaurant vegan bio, hamman, spa, onglerie et massages à l'huile d'arbouses aux pierres chaudes
pour m’inscrire à un truc où tout se passait dans un demi sous sol, un garage aménagé, aux murs
repeints en orange, oui, le même que celui des robes de bonze, sous un pavillon quelconque d’un
lotissement de banlieue banal. Après tout ce n’était pas le lieu qui importait
mais ce qui s’y passait, non ? Et, par dessus tout, j’aimais voir le visage de mon banquier
approbateur et souriant.
Je m’étais inscrit fin Août
pour les cours débutant le premier Septembre. Tout était bien rangé. Ma
première séance c’était hier.
Il fallait garer nos
bagnoles un peu loin du pavillon pour soi disant ne pas gêner les voisins. Je
n’ai pas pu m’empêcher de penser que la yogi chef bossait au noir et qu’elle
préférait que ses voisins ne se doutent de rien et ne viennent pas mettre leurs
vilains nez dans ses affaires. J’avais déjà soupçonné ça quand elle avait
promptement encaissé dix séances d’avance en liquide. En même temps je me suis
dit qu’elle était un peu naïve parce que voir à heure fixe des grappes de gens en jogging entrer la mine défaite dans
son garage et en ressortir avec un sourire d’imbécile heureux devait, quand
même, soulever quelques questions. Pas d’histoire d’argent entre nous avait
elle argumenté, vous payez d’avance et on en parle plus, on laisse cette
matérialité éloignée de nos vies. Et lyrique avec ça... À cinq cours par soir et une douzaine de patients
heu… d’amis à chaque cours fais le calcul. Pas d’argent entre nous ? Tu
parles !
On était une petite dizaine
devant l’entrée à attendre le cours de dix huit heures… Bien qu’on soit en fin
de journée, on avait tous la tête de ceux qui sortent de leurs boulots crevés,
défaits, rincés mais aussi celle de ceux qui s’attendent à vivre un bon moment
et donc plutôt impatients.
La porte s’est ouverte et
une jeune femme, celle de l’inscription nous a accueillis en nous plongeant le
noir très foncé de ses yeux dans chacun des nôtres et se présentant : Je
m’appelle Sat Nam bienvenu chez vous et un petit namasté les deux mains jointes
pour bien faire genre yoga. On était dans le bon bain. En vrai, je l’avais vu
sur la sonnette, elle s’appelait Gisèle mais Sat Nam était son nom de
scène. Pendant ce temps là le groupe d’avant sortait par la porte du fond et
faisait le tour de sa baraque pour rentrer chez eux. La vache c’était bien
pensé. Comme chez le psy on ne croisait pas le sortant… On a accroché
nos vestes et nos manteaux aux trompes des têtes d’éléphants vissées au mur, on
a rangé nos chaussures au pied de nos manteaux et on s’est installé au milieu
de la salle. Il ne faisait ni chaud, ni froid, il faisait bon. Quelques uns
avaient gardé leurs chaussettes. Ils ont dû les enlever. Gisèle (Sat Nam) a
distribué un petit coussin rond tricoté de chez Nature et Découverte à chacun
d’entre nous, elle nous a répartis dans la salle, les plus anciens devant elle,
en nous recommandant de bien prendre nos aises ce qui n’était pas si facile à
faire parce que dans son garage, seule une smart miniature aurait pu
tenir.
Elle a enfilé un CD dans un lecteur et un air de cithare enregistré près d'une fontaine ruisselante, on entendait davantage le bruit de l'eau que la cithare, a envahi l'espace. On entendait aussi clairement, à l'étage au-dessus les cavalcades rieuses de deux gamins qui se couraient après en hurlant. Mais nous sommes ici, entre autre, pour nous extraire du réel a balancé Gisèle fort à propos. Et nous sommes partis. Le navire a quitté le quai, la loco s'est emballée, l'aéroplane a décollé du tarmac.
Elle a enfilé un CD dans un lecteur et un air de cithare enregistré près d'une fontaine ruisselante, on entendait davantage le bruit de l'eau que la cithare, a envahi l'espace. On entendait aussi clairement, à l'étage au-dessus les cavalcades rieuses de deux gamins qui se couraient après en hurlant. Mais nous sommes ici, entre autre, pour nous extraire du réel a balancé Gisèle fort à propos. Et nous sommes partis. Le navire a quitté le quai, la loco s'est emballée, l'aéroplane a décollé du tarmac.
C’est quand elle nous a
demandé de répéter son mantra que je suis revenu à la réalité et que, pour moi,
cette première séance s’est prématurément terminée. Répétez vous le cinq ou six fois dans votre tête et pensez-y qu'elle a dit d'une voix de grotte: :
Il est normal que le
changement soit source de peur et d’angoisse mais ces émotions ne constituent
pas mon être. L’univers fait toujours bien les choses et je lui fais confiance.
J’étais, disons,
moyennement d’accord avec la deuxième phrase mais on était pas là pour
discuter. L’univers fait toujours bien les choses et je lui fais confiance… Ça
tombait bien on était quand même là pour tenter de rendre un peu acceptable
notre misérable condition. On était là d’une certaine manière pour élever notre
âme. On était pas là pour pinailler. Mais quand même, son univers qui fait
toujours bien les choses m’est longtemps resté en travers du gosier, il fallait cependant gober l’ensemble.
J’ai fini en roue libre, en comptant les plis des rideaux orange sur le mur du fond du garage et en me demandant ce que pouvaient bien dire les mots qui faisaient une jolie musique et qu'une main maladroite avait peints en bleu sur l'orange: Vajrapradama Mudra.
Normalement, à la sortie, j’aurais dû me
sentir comme un sou neuf exactement comme le nombre de séances qui me restaient.
12 commentaires:
Bon, ça c'est fait !
Mais qui sait, peut être allez vous devenir " accro" !
La description une fois encore est parfaite, j'y étais aussi dans le garage.. Gratos !
@ Véronique Merci! Et vous ne savez pas encore presque le plus drôle...
Alors j'attends la suite avec impatience !!!
Comme c'est bien raconté ! On s'y croirait. Et puis ça me rappelle mon premier cours de yoga. Mais j'avais pris la précaution de ne prendre qu'une séance d'essai. J'ai bien fait. :)
Et je coince aussi sur le toujours.
le plus drôle ! ça l'était déjà beaucoup .... j'attends !
@ Brigitte Mais tout est là!
@ Pastelle Merci, merci.
@ Véronique Je n'ai jamais fait de yoga... Pas même une séance...
Vous faites rien que de nous embrouiller ! Une fois de plus, j'y ai cru moi , naïve que je suis !
@ Véronique Si vous y avez cru c'est que... c'est vrai. :-)
Mais c'est peut-être dans le comptage des plis du rideau que se tient la solution !!! J'attends avec impatience la suite. rhoooo, non mais quelle idée aussi de suivre de tels cours quand on a un esprit rebelle !!!
@ Laurence Peut-être une séance 2, je vais voir...
Les pigeonniers prennent toutes sortes d'aspect, mais les pigeons ne changent pas. Ils sont faits pour être plumés.
Belle fin d'été à toi.
Amitiés.
Roger
@ Roger N'est pas pigeon qui veut... Ca demande pas mal de travail d'être un bon pigeon... :-)
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