Ce n'est surement pas de briller qui nous empêchera de tomber.
Pierre Lapointe. Chanteur Québecquois.
Il était resté de longues minutes assis sur le bleu électrique du tartan tout neuf, une serviette sur la tête.
Après ce que lui avait soufflé son entraineur, sa décision était prise mais il avait encore besoin de se concentrer sur son possible dernier saut. Dans quelques secondes il devrait se lever, s’emparer de son engin, ils avaient opté pour une perche un peu plus dure que la précédente, donc plus délicate à manier mais qui renverrait une énergie plus grande. C’était sa préférée, celle à laquelle il devait l’or des Jeux, l’année passé. Avec elle, pendant ce magnifique concours final des Olympiques, il avait battu ce qui se faisait de mieux au monde et le record, en plus. Un an déjà…
En vrai, s’il avait su ce
qui s’est passé après, cette médaille, il ne l’aurait pas gagnée. Il pouvait
dire, maintenant, qu’il l’avait payée très cher cette victoire. Et elle n’y
était pour rien, tout était de sa faute à lui. Après le podium, il avait perdu
la raison, comme si une escouade de diables s’était emparée de lui. Les jours
suivants, les semaines suivantes, il avait fait tout et n’importe quoi. Comme
un adolescent explosé, il était devenu inaccessible, imbuvable. Ses proches ne
le reconnaissaient pas et pas un n’a été capable de mettre un frein à ses
bêtises. Il était parti en vrille et ça avait duré trois bons mois. Il était
sorti, beaucoup, il avait bu, beaucoup, il avait régalé tout le monde, beaucoup
dépensé, il avait testé beaucoup de substances, il les avait toutes essayées.
Il était devenu en quelques mois l’ombre pâle du champion qu’il avait été. Un
boxeur en pleine descente. La Motta des sautoirs. Il s’était payé de quinze ans
de privations, de disciplines, de rigueur et de privation. Il avait tout envoyé
promené et, à la fin du bout, c’est lui qui était allé se faire voir. Un petit matin
en rentrant de virée une fois de plus vaguement saoul, il avait trouvé son appartement
vide. Sa femme était partie leur enfant sous le bras. Elle l’en avait menacé
plusieurs fois si les choses ne changeaient pas. Elles n’avaient pas évoluées. Pour couronner le tout, ne voulant plus être associés au désastre, un à un ses sponsors l'avaient lâché. Il avait touché des dix doigts l’idée que le succès peut causer davantage de
dégâts que l’échec. Il l’avait vérifié, cruellement. De très près, la vie lui avait botté le
derrière, il en avait encore les fesses rouges. Alors il n’avait plus eu que le
choix entre continuer à s’enfoncer ou revenir. Heureusement pour lui, il avait
opté pour la deuxième voie et il avait repris le chemin du stade et de
l’entraînement. Sous certaines conditions, son entraineur aussi l'avait repris. Et ça avait payé. Il avait retrouvé son niveau au prix d'un travail acharné. Il
en était là, ce soir. Après neuf mois d’une rigueur retrouvée, il n'était qu'à UN saut
d’une médaille en or.
Il était maintenant temps
de se mettre en bout de piste, d’attendre un signe de son entraineur, de
laisser son cerveau sous la serviette et de se mettre à courir. Il lui restait
un essai à cette hauteur. Le bulgare, lui, avait déjà échoué à son premier. Il
avait tout emporté en montant puis était retombé comme une flaque dans les
tapis, le regard noir. Maintenant, c’était l’or ou rien. S’il échouait, le
concours était fini. S’il passait, il se retrouvait seul premier. Et l’autre
avait encore deux essais mais avec ce qu’il avait montré sur le saut précédent
il faisait plus peine que peur. Son engin posé sur une épaule, il a demandé à
la foule de l’encourager en frappant ses deux mains en rythme au dessus de sa
tête. Elle a répondu avec entrain. Il en a souri. Elle était avec lui, il
sentait son souffle dans sa nuque.
Il a levé son engin droit
au-dessus de sa tête et il a attaqué la première des vingt foulées. Bonne
course, ample, je me sens bien il s’est dit. Il a planté sa perche dans le
butoir. Longtemps que je ne l’ai pas si bien chopé celui-là. Pour une fois qu'il me parait large.
Il a plié la perche, tiré sur les bras et il
s’est renversé les pieds sont montés droit au ciel. La vache ça n’a jamais si
bien fusé. C’est super, tout va bien…
Il s’est retourné, calmement, il était
un bon demi-mètre dessus la barre. Ne pas lâcher trop tôt, pousser encore un peu sur la perche, penser à finir le
saut. Il était entièrement passé. Il allait réussir. Dans le temps de suspension, il a revu
l’année qu’il venait de vivre. Plus jamais ça. Il ne s’accordait aucune
confiance pour résister à nouveau. En redescendant, alors que le saut était une magnifique réussite, il a regardé intensément la barre puis il l'a poussée avec son index afin qu’elle tombe…
Pas grand monde n’a pu
comprendre son geste parce que là-haut, sur les sommets, si très peu y accèdent, encore moins en
reviennent…
2 commentaires:
Ils sont trempés dans quoi ces athlètes magnifiques ? Certains ressemblent à une des perséides comme MJ Perec, c'est vrai que ce doit être difficile toute cette pression qu'on leur met, qu'ils se mettent aussi eux même pour une bolée d'endorphines et une autre d'adrénaline. Pour l'amour du sport, pour celui de la compétition, pour le tutoiement avec les sommets... Attention, pas de négatif dans ce com !
Je retiens que c'est l'index qu'il utilise et surtout quelle maitrise de soi dans cette micro nanoseconde !!!
@ M Hé oui, l'adrénaline... pour qu'elle revienne!
Hé oui, comme un grand, il s'est mis à l'index tout seul, par lui même!
Doivent quand même le payer cher, le "petit" Meyer plutôt que le sommet avait l'air d'avoir bien touché le fond...
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