Pour tout dire, c’était un type plutôt
désagréable, mais quand on s’en rendait compte, il était déjà trop tard, on
avait succombé, on était sous le charme.
Il avançait dans la vie comme un renard se balade
dans un congrès de poules...
Ah ça, il était séduisant, on ne pouvait pas le
lui reprocher le contraire. À ce propos, il avait quand même un gros handicap
c’est qu’il était parfaitement au courant de la séduction puissante qu'il
diffusait, tant et si bien qu’il n’avait jamais à la forcer. Il savait l’effet
que produisait son regard et pas seulement sur les jolies femmes. Il savait que
c’est ce qu’on repérait chez lui en premier, avant même d’avoir eu affaire à
son sourire, bien avant, d'avoir aperçu son allure athlétique, élancée, bien
avant le plat de son ventre surprenant pour un gars de cet âge. Il savait sa
décontraction nonchalante, son élégance naturelle et sa mobilité féline. Il
pouvait encore marcher des heures, courir des heures, rester debout des heures
si c’était ce qu’il convenait de faire sans même que ses chevilles enflent d’un
centimètre. Une circulation retour exemplaire. Il ne se trompait pratiquement
jamais ni de lieu, ni d’acte, ni de phrases, ni même de mots. N’en eût-il fallu
qu’un seul, il se serait servi du bon...
Les vêtements qu'il portait tombaient juste même
s'il ne s'habillait pas haute couture. Il était du genre à s'enfiler un sac
poubelle et avoir fière allure. À part pour les ordures, ce n'est pas donné à
tout le monde.
Il était affable avec les affables, distant avec
les distants entreprenant avec les timides et apaisant avec les coléreux. Il
n'était pas seulement adapté, il était l'adaptation.
À toutes les situations, à tous les milieux, à
toutes les circonstances.
Pour couronner le portrait, il pouvait se poser
devant un piano, voire en jouer brillamment quelques mesures, il ne
maniait pas si mal une raquette de tennis et tripotait joliment le Rubik’s
cube. Il aimait les échecs, il pouvait s’asseoir à une table de bridge sans
être ridicule et au scrabble il gardait rarement le Q sur sa réglette.
Il savait, au goût, faire la différence entre un
Saint Estèphe et un Châteauneuf du Pape même s’il préférait le Sancerre rouge.
À condition d’avoir quelques œufs et le reste sous la main, il vous servait en deux temps
trois mouvements une omelette aux truffes et à la crème, il savait préparer les
jeunes pousses d’épinards et vous levait des filets de sole sans les esclaper.
Il n’avait aucune idée de comment élever un enfant mais dès qu’un chat était
dans la pièce où il entrait il cherchait ses genoux pour s’y lover en
ronronnant comme un diesel au point mort.
Il faisait partie de ces types qui n’ont peur de
rien, ni de personne, pas même d'eux. Eux ne peut pas les intimider puisqu'ils
l’aiment. Dix minutes après être entrés dans un bar inconnu, ils sont
capables d'aller derrière le comptoir, servir des coups à tous leurs nouveaux
amis pour la vie entière. Même si l’existence ici ne dure que deux, trois
heures. À l'aise avec un demi, une coupe, un shoot, une poire ou un ballon de côte... Ce que pas grand monde savait, il ne s'en vantait pas non plus, c'est qu'il avait toujours sur lui un petit carnet recouvert de cuir noir où, l'histoire terminée, il notait scrupuleusement de zéro à dix chacune de ses conquêtes avec une appréciation pour chacune ou presque...
Il ne rappelait jamais mais on l’appelait
toujours. J’aurais aimé être lui, mais je n'aurais pas voulu lui
ressembler. Au fond, à cause de tout ce qu'il était, je le détestais,
viscéralement. Mais pas seulement. Pour dire vrai, je le haïssais surtout parce
qu’il faisait naître en moi une violence qui me faisait peur.
En sa douloureuse présence, je n’avais qu’une
envie, celle le gifler abondamment et, ou de lui mordre les oreilles et le nez.
Aussi, je me demandais souvent : si
j’étais lui est-ce que je m’aimerais davantage ?
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