___Ça
a commencé comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'était très
clair entre nous. J'ai jamais rien dit sur sa façon de vivre. Je la prenais
comme elle était. J'essayais pas de la changer. J'étais pas fou. Pas grand
monde y serait arrivé. Pas plus moi qu’un autre. De toutes manières, il valait mieux l'apprendre assez tôt, personne ne change personne. Tout ceux qui n'ont pas cru à cette loi sacrée mangent avec une paille, désormais. Se sont cassés les dents. Personne, jamais ne change personne.
Elle, je l'aimais, c'est tout....
Elle, je l'aimais, c'est tout....
J’entendais
cette litanie depuis deux jours. Elle finissait par me bassiner, elle
m'éreintait, elle m'exténuait, elle me courait sur le haricot. Mais c’est, pour
l'instant tout ce qui sortait de sa bouche de pourri. La saleté d’ordure, je ne
voyais pas d’autre noms pour ce genre de type qui lève la main sur leurs
femmes, ne savait que psalmodier ces quelques phrases. Et, cette enflure,
il l’avait, autre que levée, sa putain de main… Tout juste si de temps en
temps, ce salopard ne se mettait pas à pleurer comme un saule. Mais sur son
sort. Je l’aurais baffé. On l’avait alpagué au plein milieu du boulevard, un
marteau sanglant dans une main, quand même. Le légiste en avait compté trente
deux. Trente deux. Des coups. De marteau, les coups. Il l’avait démolie. On se
demandait encore à quel moment et pourquoi il s’était servi du tournevis.
Douze, des coups. La plupart dans le cou. Un cruciforme, mais lui, il l’avait laissé
sur place. Près du corps étendu, baignant dans une mare de sang à même le
carrelage glacé de la salle de bain. Va savoir ce qui se passe parfois dans
leurs têtes de déglingués...
___Prends
nous pour des passoires, vas-y mon gars ! Fais-toi plaisir ! Tu sais
quand même qu'à ce train là, tu es parti pour trente ans de cabane. Un par
coup, en somme.
Ce virus
nous servait des :
___Et
j’ai trouvé ma femme dans cet état, quand je suis entré, il n’y avait plus rien
à faire, j’ai ramassé le marteau machinalement, j’étais secoué et je venais
vous voir quand vous m’êtes tombé sur le dos…
___Le
téléphone, dis, pourriture, c’est que pour les papes, le
téléphone ?
___
J'avais les mains pleines de son sang, j'étais bouleversé.
Un putain
de bricoleur, aussi que ce gars là. On a fini par apprendre qu’il avait acheté
tout son matériel (dans le lot, il y avait aussi une pince multiple, une
coupante et une tenaille mais il ne s’en était pas servi de celles là,
heureusement, on en tremblait…), juste une petite semaine avant le crime
chez Mr Brico. Le vendeur qu’on était allé interroger se souvenait bien de lui.
Et pas dans des termes très élogieux. Un vrai casse couille avait-il témoigné
familièrement. Mauvais genre, mais bien vu... Il a repris: Du solide, il
voulait des outils solides, pas de ces trucs chinois qui pètent à la moindre
difficulté. Il a laissé tomber la sentence apprise par coeur: un bon outil,
c’est la moitié du travail fait… Putain, on lui demandait pas non plus une
thèse, à çui là… C’est bon, c’est bon… On va noter tout ça…
Nom de
Dieu de nom de Dieu, le monde était devenu un opéra fou et nous étions debout
aux premières loges. On y assassinait les petites filles à coups de couteaux
après deux verres dans le nez, on s'y déclarait la guerre pour un tuyau de gaz,
on y laissait mourir de faim des peuples entiers sous prétexte qu'ils étaient
loin, qu'on entendait pas leurs cris d'ici, on y frappait sur les femmes comme
on dégomme des chamboule tout à la fête foraine et cette sinistre liste
pourrait s'allonger encore de quelques pages sans qu'on arrive à en voir le
bout. Pire, on se contentait, la plupart du temps de compter les points. On se
le disait souvent ça : Nous sommes sur un paquebot ivre et on ne voit
pas les issues de secours. On avait posé nos fesses dans un train dément
dont les freins avaient lâché depuis belle lurette. On ne se demandait plus si
on allait s’écraser ou couler corps et biens, mais QUAND ça nous arriverait. Et
malgré cette conscience froide là, il nous fallait quand même continuer nos
enquêtes sur ces hordes de barbares menteurs comme des arracheurs de dents,
contre des voleurs escrocs et pour certains meurtriers sans foi, ni loi, ni
honte, ni remord, ni regret, ni sens moral… Nous avions dans la bouche, en
permanence une amertume. Pour nous, Le monde était amer... un torrent de
fange folle… Et nous devions le stopper avec les doigts. Nous en sommes
les dernières digues, avec les urgences et les pompiers. Si nous lâchons c’est
tout le système qui lâche…
___Ben
dis donc t’as pas trop le moral toi, aujourd’hui ! Tu devrais te reposer
un jour ou deux, filer à la campagne voir s’envoler les canards sauvages,
admirer les reflets bleus sur le miroir du lac, assister au passage
silencieux des nuages sur le dos des champs, entendre le silence étendu des
brumes, le chant des mésanges qui nous sauvera de tout, monter sur la colline
pour prendre un peu de recul, aller regarder l'ensemble, mais d’en haut… Ça te
ferait certainement du bien parce que là tu as mauvaise mine, gars…
__T’occupe
de ma mine ! Elle a un rat à débusquer, ma mine !
__ De qui
parles-tu ?
__ De la
crapule qui a trucidé sa femme à coups de marteau et de tournevis. Il nous fait
le coup de la blancheur candide ce saligaud…
__ Et
vous avez quoi contre lui ?
___Bien
sûr, il était un peu jaloux, comme tout le monde et lui, il avait de
quoi! Apparemment, elle, c’était une fille impossible à foutre en cage, comme
un joli courant d’air, un vol de passereaux, un banc de poisson. Tous ceux qui
avaient essayé de la grapinner s’en étaient mordus les doigts. Elle les avait
planté là, sur le champ. Celui qui allait réussir à l’entraver n’était pas né.
Lui, il s’était équipé une petite semaine avant en outils de bricolage
qui ont servi au meurtre.
___ Si on
doit arrêter tous les gusses qui passent leur samedi à Casto on a pas fini…
___Ah
oui, on l’a arrêté à peine deux heures après la mort présumée, une des deux
armes à la main, le marteau, ensanglanté, hébété, hagard… Pas net, quoi !
Depuis,
on cherche dans tous les coins, la routine. On cherche surtout à savoir où ils
en étaient les deux. Douze ans de mariage, douze piges de vie commune on
devrait trouver des traces de quelque chose, non ? Z’ont bien dû
s’engueuler un peu avant pour en arriver là, non ? Il n’est pas passé
directement du romantisme à l’âge de pierre, le lascar. Ils avaient bien un
contentieux, les deux tourtereaux !
___Et il
dit quoi, lui ?
___
Lui ? Qu’il l’aimait. A crane fendre! Qu’il n’avait jamais rien fait
contre elle, qu’il n’avait jamais protesté contre sa façon de mener sa vie,
qu’elle était libre d’elle même, qu’il savait qu’elle était comme une anguille
mais qu’il avait été prévenu, qu’il savait à quoi s’en tenir, qu’il l’avait
épousée en connaissance de cause et qu’il était juste heureux de l’entendre
rentrer le soir, enfin certains soirs, pas tous. Mais qu’il s’en foutait qu’il
préférait être avec elle comme ça que sans elle. Qu’il n’aurait jamais levé la
main dessus que ça n’était pas dans sa nature, alors un marteau, vous pensez
bien, encore moins… Qu’il donnerait cher pour qu’on attrape le fêlé qui
lui a fait ça et qu’il mériterait, celui-là, d’être en cabane pour le
restant de ses jours…
C’est
trois jours après les obsèques qu’on a arrêté le vrai meurtrier. Un des amants
de la belle qui ne supportait plus de ne pas l’avoir pour lui seul. On ne pense jamais vraiment à la peine des amants parallèles. On l’a
chopé défait, qui rôdait rongé de remords près de la tombe fraîchement refermée.
Putain
d’amour de merde ! Quand on a la chance de le connaître, on meurt de
peur de le perdre et quand il nous manque, on en crève...
___ Belle
épitaphe ! Dis, t’es sur que tu ne veux pas prendre quelques jours ?
Pour décompresser?
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