24 septembre 2018

Le monde s'effondre et nous prenons le temps de laver nos voitures.

Je savais comment lui couper l’envie d’une manière quasi définitive, je ne m’en suis pas privé. Je l’ai regardée dans le blanc de son magnifique regard bleu et après un long silence calculé, j’ai dit :
Tu sais, je vis seul depuis si longtemps que je suis prêt à me mettre, oui, j’ai bien dit me mettre, avec n’importe qui…
Et comme pour l’achever, pour lui porter l'estocade léthale, j’ai ajouté :
Le ou la première venue fera l’affaire, je ne serai pas très regardant, tu sais, fais moi confiance pour n’être pas très exigeant. Je l’ai été toutes ces années pour quel résultat ?
Evidemment, j’avais touché dans le rouge du milieu. Je l’ai sentie au-delà de vexée comme une armée de poux, mais elle  était d’une telle fierté qu’elle n’a absolument rien montré. Pire que vexée, je l’avais blessée. Restait à savoir jusqu’à quelle profondeur la lame s’était enfoncée. Allais-je devoir désormais être obligé de me priver d’elle complètement où me conserverait-elle un semblant d’amitié au moins le temps de fomenter à mon égard une vengeance que je jugeai déjà amplement méritée. Tout a un prix, surtout les méchancetés gratuites.
Les semaines suivantes nous le préciseraient. Dire que j’avais hâte de savoir serait exagéré.
Pour tenter de ne pas perdre complètement la face, pour essayer de rester un temps encore dans l’aire de jeu, pour ne rien laisser présager de ce qu’elle ferait, le moment venu, elle a juste éclaté de rire. Un rire dont nous savions parfaitement tous les deux qu’il sonnait faux comme une Rolleix de Vintimille. Mais c’était le jeu, nous avons fait comme si nous étions deux gentils plaisantins en train de  vider nos comptes en espiègleries, en niches, en taquineries infantiles et donc innocentes. 
Alors que, sans en avoir trop l’air, c’était nos vies pour plusieurs années qui se jouaient. 
Elle devait commencer à regretter salement tous les signes positifs qu’elle m’avait adressés ces derniers mois. Quant à moi, je m’en voulais de n’avoir pas mis le holà dès le départ, d’avoir laissé la porte entre ouverte, de n’avoir pas su sauter sur les freins avant que la machine prenne de la vitesse et s’emballe.
Tout ce qui n’est pas fait avant peut encore l’être après mais c’est alors plus délicat. Au lieu de piloter une petite berline, un engin à deux places, on se retrouve à la barre d’un pétrolier géant et pour viser le bon quai dans le bon port, l’affaire n’est plus la même.
Nous en étions là, sans nous en apercevoir, nous nous étions dangereusement approchés de la falaise. Nous n’allions pas tarder à avoir un pied dans le vide.

Alors, sans se concerter, ils ont fait comme le mistral qui avait soufflé tout le jour en balançant des gifles à tous les coins de rue. Ils ont calé, d’un coup. Ils se sont tus et tout s’est apaisé. Le silence a repris ses aises et tout s’est détendu. Même l’air s’est ramolli. Leurs gardes ont fichu le camp. Ils ont pu se  regarder avec toute la tendresse dont ils étaient capables. Ils ont juste voulu en rester là comme s’ils étaient arrivés à un point précis. Jusqu’à une fois prochaine, pas un des deux n’a eu envie de faire le moindre pas.
Toutefois, quand il s’est levé du canapé en ouvrant la bouche, il a bien vu l’inquiétude se pointer illico dans son regard. Alors pour la rassurer il a simplement proposé :
Avant de partir, veux que je te prépare un thé ? Pour la route ?



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