19 décembre 2018

Retour de flammes

                          J’étais sur la terrasse, allongé sur un transat à moitié déglingué mais que j'avais  gardé pour services rendus et parce que je n'aimais pas jeter. J’avais posé mon verre, dans lequel fondaient encore deux ou trois glaçons, à même le bois blond un peu branlant et je regardais devant moi. Loin. Ailleurs. Je connaissais le paysage par cœur, j’aurais pu le décrire les yeux fermés. Nous l'avions tant contemplé. En vrai, j'étais comme échoué et je m’emmerdais.
La chaleur lourde de ces derniers jours avait pratiquement disparu. Elle avait fait place à une douceur caressante venue avec le vent d’Ouest chargé d’iode et des odeurs précieuses des immortelles. On supportait maintenant un pull léger. Entre deux gorgées, j'avais somnolé gentiment. Je n'arrivais pas à me décider de me lever pour m’en verser un autre, je sentais que les trois premiers avaient directement échoués dans les genoux et que ce serait une difficulté d’atteindre la cuisine. Comme j’avais arrêté de fumer depuis quelques mois, je mâchonnais un bâton de réglisse. Le bout en était déchiqueté, en bouillie, j’en avais des fibres humides entre les dents mais je m’en foutais pas mal. Je n’attendais personne. Je n’avais plus à être présentable. J’avais autour de moi, posés par terre, ouverts et renversés, deux ou trois bouquins mais je n’arrivais pas à lire. J’attrapais une phrase ici où là que j’étais obligé de relire plusieurs fois pour la comprendre et je ne les comprenais pas. Je n'étais plus atteint par rien. Au fond, je m’ennuyais. Mais c’était un ennui profond, douloureux, palpable. J’étais un bloc pur d’ennui. Mais ça ne me dérangeait pas, au contraire. J'étais au calme. Rien à faire, rien à penser. Plus envie de rien, plus de désir donc pas de frustration. J'étais juste vivant comme un lombric. J’attendais que la journée se termine, que le soir vienne, que la nuit s'impose. Je n’étais même pas certain de pouvoir admirer le couchant qui, ici, pouvait être sublime. De la terrasse on voyait loin devant, plein Ouest. Les ombres des grands arbres commençaient en s’allongeant à gagner sur le châlet. Je redoutais plus que les autres ces heures là parce qu’elles annonçaient la nuit à venir et depuis son départ théâtral voilà six mois, j'avais arrêté de dormir. Il y a des absences qui remplissent une vie. On avait essayé de tenir le coup mais on avait raté. J’avais pu vérifier à cette occasion de l’injustice du truc c’est pile poil ce qui l’avait séduit chez moi qui l’avait lassée. J’avais beau tourner ce truc dans ma tête je n’en sortais pas et surtout je n’en voyais aucune issue favorable. Ça devait être le même bazar dans tous les couples. Il faut dire que statistiquement qu’au fur et à mesure des années, on avait peu de chance de s’en sortir avec les honneurs.
Finalement je me suis déplié, je me suis levé, je suis allé vers le frigo. À chaque pas ou presque mes genoux s'affaissaient et c'était comme une punition divine. Arrivé tant mal que bien devant la porte blanche, j’ai commencé à m’en servir un. Un dernier pour le doute. J’ai tordu la bouche avec la première gorgée du nouveau verre. Je l’avais raidi celui-là. J’avais bien fait.
C’est à ce moment là qu’une voiture s’est approchée du châlet. Quand on les entendait monter c’est qu’elles venaient là. Il n’y avait pas d’autre chemin où se perdre. Je l’ai entendue s’arrêter. Une porte s’est ouverte puis refermée et l’engin est reparti après un demi-tour difficile. J’ai entendu nettement des pas sur le gravier avant les premières marches, ils ont monté les trois et la porte s’est ouverte violemment comme sous l’effet d’un coup de savate.
Elle se tenait là debout dans l’entrée, la lumière dans le dos, les jambes écartées que je devinais sous le léger tissu de sa robe, ses deux sacs de cuir noir qui semblaient bien lourds encore pendus aux bouts des bras. J'étais planté devant elle comme une bécasse face à un renard affamé. Après un long, très long silence, que je n’ai troublé par aucun geste, en les montrant du menton, elle a juste demandé :
Je peux les poser, c'est qu'ils pèsent?

J’ai attendu quelques secondes et, en évitant de croiser son regard, j’ai répondu à sa question


7 commentaires:

Brigitte a dit…

Un retour inattendu auquel il a répondu oui ?
Belles fêtes de fin d'année pour toi et les tiens

chri a dit…

@ Brigitte Ah ça Brigitte c'est vous qui voyez!
Merci de tes voeux, les miens en retour!

M a dit…

La réponse dépend de l'état de la soute et surtout de celui de la pompe de cale !!!

chri a dit…

@ M Oui oui. On peut préférer: Un dernier pour le doute!

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Je me demandais où allait m'emporter ce texte et comme d’habitude, pas là où je pensais.
Tu sais, parfois, il y a des gens qui te découvrent et qui te disent, par-dessus l'épaule. Pas mal. Tu devrais écrire.
Moi, j'ai simplement envie de te dire , continue.

Bon j'ai trouvé une chute à ta nouvelle. Il faut que j'en trouve au moins une autre, histoire de.

Belles fêtes de fin d'année, mon cher Christian.
Fraternellement. Roger

chri a dit…

@ Roger C'est toujours un vrai plaisir quand je lis des signes de ton passage ici et si tu aimes c'est encore plus gratifiant!
De belles fêtes à vous aussi et vive 76!
Amitié.

chri a dit…

@Roger Un recueil de nouvelles: DU SUD va sortir en Mars. Je suis comme un gamin impatient!

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