C'est venu de la fin du film.
On était en bagnole, on sortait du ciné, la nuit était tombée, on rentrait.
En général, on n’aimait pas parler de suite en sortant de la salle des films qu’on venait de voir. Surtout des bons, de ceux qui nous avaient bousculés, on préférait se garder un peu les images à l’intérieur, se les revoir, se replonger dans l’ambiance, s’imaginer une autre fin quand il y avait la place, se demander mais pourquoi lui a-t-il dit ça à ce moment là, mais pourquoi est-elle quand même allée voir l’autre etc. Se refaire le film, presque. Sans en parler, sans le partager. Mettre des mots sur les sentiments était déjà les transformer. On n’aurait surtout pas aimé avoir été bouleversé par un film qui n’aurait pas touché l’autre ou l’inverse alors on ne se disait rien. Ça se faisait sans que la règle ait été édictée, c’était comme ça et ça nous allait. On en parlerait le soir, le lendemain ou dans quelques jours quand l’émotion nous aura quittés, quand on sera capable d’entendre sans s’emporter que l’autre a moins aimé ou pas aimé du tout ou bien qu’il s’est posé les mêmes questions que nous. Voire même que le film l'a laissé indifférent ce qui était rare mais pouvait arriver.
En général, on n’aimait pas parler de suite en sortant de la salle des films qu’on venait de voir. Surtout des bons, de ceux qui nous avaient bousculés, on préférait se garder un peu les images à l’intérieur, se les revoir, se replonger dans l’ambiance, s’imaginer une autre fin quand il y avait la place, se demander mais pourquoi lui a-t-il dit ça à ce moment là, mais pourquoi est-elle quand même allée voir l’autre etc. Se refaire le film, presque. Sans en parler, sans le partager. Mettre des mots sur les sentiments était déjà les transformer. On n’aurait surtout pas aimé avoir été bouleversé par un film qui n’aurait pas touché l’autre ou l’inverse alors on ne se disait rien. Ça se faisait sans que la règle ait été édictée, c’était comme ça et ça nous allait. On en parlerait le soir, le lendemain ou dans quelques jours quand l’émotion nous aura quittés, quand on sera capable d’entendre sans s’emporter que l’autre a moins aimé ou pas aimé du tout ou bien qu’il s’est posé les mêmes questions que nous. Voire même que le film l'a laissé indifférent ce qui était rare mais pouvait arriver.
L’intérieur de la voiture était chaud comme un ventre de femme ronronnant, tout autour les lumières de ci de là s’étaient allumées, on avançait maintenant en banlieue de ville, la rocade était bordée d’entrepôts désormais vides mais encore éclairés, un endroit sans âme à une heure entre chien et loup. On était au milieu de rien, plus la grande cité pas encore le village. Une campagne habitée. Le vent qui avait soufflé tout le jour n’avait pas cessé avec la nuit. De temps à autre il envoyait un coup d’épaule sur la voiture et l’obligeait à redresser la trajectoire comme l’aurait fait un marin avec la barre un peu raide. Je m’étais assis à la place du mort, je n’avais pas posé ma main gauche sur sa cuisse, elle n’aimait pas être distraite quand il fallait conduire de presque nuit. Nous nous étions dit que nous devrions acheter des lunettes aux verres jaunes comme nous l’avions vu dans des publicités sur le net. Je n’avais pas eu envie de conduire, elle avait pris le volant. Elle conduisait bien. Je me sentais en sécurité avec elle aux manettes. Du poste sortaient les glissades des guitares du Trio Rosenberg et leur Armando's Rumba de Chick Corea. En vrai, j’étais encore sous le coup de la fin du film, je n’arrivais pas à penser que les deux personnages allaient se remettre ensemble. Je n’arrivais pas à le concevoir comme ça. L’auteur nous avait pourtant offert un bon nombre d’indices qui allait dans ce sens mais je ne sais pas pour quelles sombres raisons, je ne les retenais pas. Pour moi, leur histoire était finie. Je n’avais pas envie de m’opposer à elle sur ce sujet là. Je ne savais pas ce qu’elle en pensait puisque nous n’en avions pas parlé mais en général elle voyait plutôt le bon côté des choses. Cette fois je n’y croyais pas. Pour moi, leur histoire c’était mort. Rien n’y ferait et ça m’attristait beaucoup, je les avais tellement aimé ensemble ces deux là. J’aurais aimé qu’ils continuent leur route unis et là, je ne voyais pas comment ils pouvaient s’en sortir. Ils étaient allés trop loin. Ils avaient passé des frontières. Ils s’étaient trop éloignés. Et puis ça m’a sauté au cœur. Le flou est devenu limpide, le vague s'est fait clair. Elle n’a rien vu mais je me suis mis à transpirer, il a battu plus vite.
J’ai vu, j’ai ressenti, j’ai compris.
J’ai vu, j’ai ressenti, j’ai compris.
Sans me tourner vers elle, d'une voix que j'ai voulu neutre, je lui ai demandé : Comment écris-tu ecchymose ?
Pourquoi tu me demandes ça ?
Pourquoi tu me demandes ça ?
Parce que je veux être certain de l’orthographe, je me souviens qu’il y a deux c mais je ne sais pas si le h est avant ou après le y, voilà tout!
Et pourquoi ce soir cet ecchymose, d’où vient que tu penses subitement à elle? Tu t’es cogné quelque part ?
Non, je pensais surtout à des ecchymoses au cœur… Y a un nom pour ça ?
En principe, dans la tiédeur douce de l’habitacle protégé du froid venteux de la nuit, j’aurais dû être comme dans un peignoir de palace chauffé. À l’abri des attaques du monde, apaisé, serein, tranquille. Il n’en était rien. Depuis plusieurs semaines déjà, quand nous ne nous disions rien, nous ne nous taisions plus de la même façon. Le silence entre nous s’était alourdi et toutes les tentatives pour le rompre étaient maladroites. Elles tombaient à l’eau. Elle faisaient pschiiit.
Un moment, alors qu’elle avait gardé sa main droite sur le pommeau du changement de vitesse, j’ai posé ma gauche sur la sienne d’un geste que je voulais affectueux. Elle l’a retirée comme s’il s’était agi d’huile bouillante. C'est là que j'ai vu clairement ce qui me broyait le coeur depuis plusieurs semaines que je n'avais pas réussi à saisir.
J’ai compris à cet instant là, dans la douceur vécue de ces minutes que nous finirions comme les deux du film, que la fin du notre n’allait pas tarder à s’amener et que je n'avais, décidément, aucune raison d'être optimiste.